Les invisibles de Paris. Gustave Aimard. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Gustave Aimard
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066328313
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      — Nous connaissons ces messieurs, Monsieur de Mauclerc.

      — Ah! il paraît que vous me connaissez aussi moi-même, fit de Mauclerc; c’est à merveille. Maintenant, je l’espère, vous voudrez bien, pour que la partie soit égale, me faire savoir à qui j’ai affaire, d’abord comme adversaire, ensuite à qui ces messieurs auront à parler en qualité de témoins.

      — A quoi bon tout cela? répondit le premier domino; l’un de nous vous a insulté, l’un de nous vous rendra raison. Désignez celui qu’il vous conviendra de prendre à partie, et soyez sûr qu’on fera droit à votre demande.

      — Charmant! s’écria Mauclerc en riant du bout des lèvres. Un de ces messieurs me fait un de ces outrages qu’on ne pardonne pas...

      — Dites le mot, monsieur, vous avez été souffleté.

      — Parfaitement, dit Mauclerc, qui, sur le terrain, avait retrouvé son sang-froid de duelliste consommé. Parfaitement, et soyez tranquille, dans cinq minutes je laverai ma joue dans le sang du fou qui me l’a salie. Je ne vous demande même pas le motif de cette attaque. Mais je ne veux pas tuer Pierre, si c’est Paul qui est le fou en question. Voyons, messieurs, lequel de vous est le Paul demandé ?

      — A la bonne heure! fit une voix amère; on voit que le déshonneur est une vieille connaissance pour M. de Mauclerc. Il rit sur les ruines de son honneur.

      — Finissons-en. Lequel de vous est l’insulteur? Lequel?

      — Choisissez.

      — Est-ce votre dernier mot?

      — Notre dernier.

      — Alors, messieurs, j’en passerai par où vous voulez. Je ne comptais tuer que l’un de vous; je vous tuerai tous les trois, voilà tout.

      — Est-ce moi que vous prenez pour votre premier adversaire? fit le premier domino.

      — Vous? soit! Seulement, comme je veux que la chance soit égale, vous m’avez reproché le soufflet que j’ai reçu, mon bon ami, tenez, voilà qui nous met au même niveau.

      Et en moins de temps qu’il ne nous en a fallu pour écrire ce peu de mots, Mauclerc se précipita sur son interlocuteur, lui arracha son masque, et le frapppa de son gant au visage.

      L’autre ne poussa pas un cri, ne dit pas un mot, mais, sautant sur une épée, il se trouva en garde, avant même que Mauclerc eût pu prononcer son nom:

      — René de Luz!

      — Moi-même! En garde! Et vous, messieurs, à bas les masques! Il convient que M. de Mauclerc sache maintenant en face de qui il se trouve. Bas le masque, Mortimer! bas le masque, San-Lucar! —Êtes-vous content, monsieur? ajouta-t-il en couvant Mauclerc d’un regard de feu, et sommes-nous dignes de croiser le fer avec un misérable, un traître et un vendu comme vous?

      — Mortimer! San-Lucar! de Luz!... On sait tout! pensa de Mauclerc, qui par contenance faisait plier son épée, dont il avait piqué la pointe en terre.

      — Exigez-vous d’autres explications? dit René de Luz, qui n’avait même pas l’air de se souvenir de l’outrage qu’il venait de subir, tant cet outrage partait de bas.

      — Non, je suis à vos ordres.

      — Messieurs, faites votre office, dit René de Luz aux témoins.

      — Pardon! repartit le baron d’Entragues., avant d’aller plus loin il faut bien poser ceci: c’est que si M. de Mauclerc, qui est renommé la plus fine lame de Paris, met hors de combat ces trois messieurs, il lui faudra également nous passer sur le corps, à Rioban et à moi pour se tirer tout à fait d’embarras.

      — Que voulez-vous dire? s’écria Mauclerc en taisant trois pas en arrière.

      — Nous voulons dire ceci, répondirent en même temps de Rioban et d’Entragues.

      Et tous deux ensemble s’avancèrent vers Mauclerc, et tous deux, l’un après l’autre, lui murmurèrent à l’oreille quelques mots qui lui firent pousser un cri étouffé.

      — Eux aussi! murmura-t-il, eux aussi! je suis perdu.

      Instinctivement, il jeta les yeux autour de lui comme pour trouver un refuge, un secours, une éclaircie par où fuir. Mais rien! Ces cinq hommes, dont l’un venait d’être mortellement insulté par lui, se tenaient devant lui, derrière lui et autour de lui, impassibles comme la Justice, terribles comme la Vengeance, inexorables comme la Destinée.

      Mauclerc eut peur.

      Mais cette peur ne dura qu’un éclair. Presque aussitôt il redevint maître de lui-même, et, serrant les dents, il laissa échapper ces mots que René de Luz seul entendit:

      — Tas d’imbéciles! Ils pouvaient m’assassiner et ils font les généreux! Tas d’imbéciles!

      — Nous tuons, mais nous n’assassinons pas, monsieur, lui répondit de Luz avec mépris. C’est moi qui ai demandé qu’on vous fit l’honneur de croiser le fer avec vous. Nous étions en droit de vous assommer comme un chien enragé au coin d’une borne. Cette justice sommaire n’est pas dans les usages de notre patrie. Vous avez manqué à tous vos serments, vous alliez vendre vos frères!...

      — Ce n’est pas vrai.

      — Vous deviez les vendre demain. Vous aviez sur vous la liste de la délation, Ne niez pas, vous l’avez sur vous... là, tenez... là.

      Et, du bout de son épée, le jeune homme désigna la poche de gauche de l’habit de Mauclerc.

      — Vous mentez! vous mentez!

      — C’est ce que nous allons voir.

      Et René de Luz, qui avait eu le temps de se débarrasser de son domino, tomba en garde, la main haute, la pointe au corps et son œil dans l’œil de son adversaire.

      Mais, nous l’avons dit plus haut, Mauclerc était un maître en fait d’armes.

      Son premier soin fut de rompre. Puis, se recueillant, se ramassant bien sous son épée, il attendit, n’offrant à son adversaire qu’une série de contres, faits avec une rapidité prestigineuse.

      René de Luz ne bougeait pas d’une semelle. Cherchant un jour, il se contenta deux ou trois fois d’allonger le bras, de faire deux ou trois feintes de coup droit qui, toutes, rencontrèrent la parade de Mauclerc.

      Chaque fois Mauclerc riposta. La première, il effleura René de Luz au visage; la seconde, il le toucha à l’épaule gauche; la troisième, à la main droite.

      Les quatre témoins ne laissèrent échapper ni un cri, ni un souffle, quelle que fût leur anxiété.

      C’était bien un combat mortel. Toute blessure non mortelle ne devait pas arrêter le combat.

      René de Luz avait passé son épée de la main droite à la main gauche.

      Son sang coulait par trois égratignures, mais sa volonté et la confiance en son droit le soutenaient.

      Enfin, il parvint à saisir le ter de Mauclerc.

      — Alors, se fendant à fond, il tira en pleine poitrine après un battement de précaution.

      Une retraite de corps, de gauche à droite, fit dévier son épée, qui fila entre le bras gauche et le flanc de Mauclerc.

      Alors il se passa quelque chose d’atroce.

      Mauclerc, qui serrait l’arme de son adversaire de façon à paralyser toute attaque nouvelle, au lieu de rompre et de se mettre en garde, comme tout combattant loyal aurait fait, prit son temps, choisit bien sa place et plongea son épée jusqu’à la garde dans la poitrine du malheureux jeune homme.

      — Lâche! aussi lâche que traître! murmura celui-ci en tombant, lâche!

      —