22 . Jean signera son évangile du pseudonyme « le disciple bien-aimé » ou « le disciple que Jésus aimait » (Jean 21.20). « Jean lui-même, le disciple bien-aimé en qui l’image du Sauveur se trouve le plus parfaitement reproduite, ne possédait pas naturellement de dispositions particulières. Non seulement il était impérieux et ambitieux, mais encore impétueux et irritable sous l’offense. Toutefois, […] la force et la patience, la puissance et la tendresse, la majesté et la douceur qu’il contemplait dans la vie quotidienne du Fils de Dieu remplissaient son cœur d’admiration et d’amour. Jour après jour, son âme était attirée vers lui et le ‘moi’ absorbé par l’amour de son Maître. […] L’amour du Sauveur transforma son caractère » (E. G. White, Le meilleur chemin, Dammarie-les-Lys : Vie et Santé, 2015, p. 82.
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L’invitation
Les voyageurs arrivent à Bethsaïda le cœur partagé. D’une part ils sont contents de rentrer à la maison. D’autre part il leur en coûte de se séparer du maître qui poursuit sa route vers la Galilée.1 Partager un moment de sa vie fut une expérience inoubliable qu’ils aimeraient prolonger. Parviendront-ils à le faire rester avec eux, ne fût-ce qu’un jour de plus ?
Le village encaissé entre le lac et la colline les accueille de sa large étreinte. Le long de la côte parsemée de hameaux, de petits champs en friche alternent avec le vert tendre des cultures. Cyprès noirs, caroubiers tordus et grenadiers en bordent les terrasses. Dans la paix du matin les coups de houe des paysans, frais et profonds, résonnent contre les murs et dans les puits, rythmant par à-coups le vacarme des mouettes.
Ceux qui sont en chemin s’arrêtent à peine un instant dans les premiers jardins pour boire à une vieille noria. Ils sont pressés de présenter le maître aux leurs.
Le Galiléen est un compagnon de route passionnant. Un esprit libre. Ses actes et ses dires imprévisibles déstabilisent quelque peu. Sa pédagogie, aux antipodes de celle des maîtres locaux, est si ouverte et si nouvelle que chacune de ses propositions semble un défi. Presque une protestation. Pour lui, qu’est-ce que la liberté ? Certes pas agir à sa guise, mais l’occasion de choisir le meilleur.
Le maître aspire à transformer le monde, les gens, un à un, comme s’il voulait tenter de produire un nouveau genre d’être humain.2 Pourtant ce n’est ni un rêveur ni un illuminé : il est aussi réaliste que la vie. C’est pourquoi, malgré qu’il déconcerte ses disciples, il suscite en eux à la fois confiance et respect.3
Chacune de ses paroles clame comme une évidence la différence entre enseigner et être maître. Les docteurs de leur entourage prétendent toujours enseigner. Avec lui, tous veulent apprendre.
Ses disciples sont surpris qu’il accepte des gens si peu préparés qu’eux. Il leur laisse entendre que dans l’âme de l’ignorant, il y a toujours place pour une grande idée.4 Voilà pourquoi il se défie des érudits arrogants, si imbus de leur propre savoir qu’ils sont incapables d’apprendre quoi que ce soit de neuf. Que leur reproche-t-il ? De posséder la clé de la connaissance qui ouvre la porte du royaume de Dieu, mais « sans savoir en user ni la laisser utiliser par d’autres ».5
Il a clairement laissé entendre depuis le début qu’il n’a pas besoin de locaux pour installer sa chaire ni pour rencontrer Dieu. En chemin, sous les palmiers d’un jardin, parmi les amandiers et les oliviers, en pleine montagne, partout il s’empare de l’instant présent pour transmettre l’objet de ses réflexions à ses disciples et leur faire sentir la proximité du ciel.
De retour chez eux, André et Jean expriment leur impérieux désir de suivre à plein temps ce maître si singulier.
Son école est ouverte à tous et gratuite. Sans classes ni horaires. Sans autres manuels que la révélation divine et l’univers infini. Sans autres épreuves que celles de l’existence. Sans diplôme de fin d’études. Car personne n’est jamais diplômé à l’école de la vie.
L’enthousiasme de ces apprentis disciples est tel qu’ils ne cessent de partager leur découverte avec leur entourage.6 Marqués par la personnalité du maître, désireux de continuer à apprendre de lui, ces cœurs assoiffés exultent en découvrant la richesse de leurs premières leçons.7
André partage sa joie avec son frère Simon qu’il présente à Jésus. Et la nouvelle passe de l’un à l’autre.
C’est ainsi que Jésus rencontre Philippe.
À peine a-t-il croisé son regard perçant, qu’il lui dit :
« Suis-moi. »
Jésus ne semble pas voir les gens comme ils sont mais comme ils peuvent devenir.
Ébloui par son guide, le nouveau disciple court à la recherche de son ami Nathanaël8 pour partager avec lui la joie de la découverte.9 Il lui communique la nouvelle le cœur bondissant d’émotion :
« Je crois que nous avons trouvé le Messie !10 Ce maître n’est pas un rabbi quelconque. »
Impatient et désireux que son ami connaisse leur nouveau maître, Philippe résume en une seule phrase le fond de toutes leurs conversations au sujet du libérateur attendu.
« Ce doit être l’envoyé de Dieu, celui qu’ont promis les prophètes. Il s’appelle Jésus c’est-à-dire “sauveur”, bien que les gens le connaissent comme le “Nazaréen” parce qu’il est fils de Joseph, le charpentier de Nazareth. »
Mais son ami Nathanaël11 réplique avec sa rude franchise habituelle d’un geste moqueur empreint de méfiance :
« Un autre messie ? Ne crois-tu pas que nous n’ayons pas eu assez de désillusions comme cela ? En plus, peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth ?12 Comment peux-tu croire en un “sauveur” galiléen ? Cherche dans les Écritures et tu verras qu’aucun prophète n’est jamais venu de Galilée. »13
Nathanaël est un idéaliste sérieux et engagé. Mais même les meilleurs croyants ont des préjugés et risquent de se tromper.
Ces paroles blessent Philippe. Mais il ne trouve rien pour les réfuter. Comme il tient Nathanaël en grande affection, il renonce à discuter avec lui à ce sujet. Convaincu de sa justesse, il recourt à l’unique raisonnement irréfutable, le même qu’avait esquissé le maître face à ses premiers disciples et qui deviendra l’argument principal de la campagne de recrutement en faveur du Nazaréen :
« Viens et vois. Abandonne ton figuier et suis-moi jusqu’à lui. Convaincs-toi toi-même. »14
Nathanaël le suit sans envie.
Face à Jésus sa désillusion se renforce. L’allure et les vêtements du jeune rabbi ne cadrent pas avec l’idée qu’il s’est faite d’un personnage aussi important que le Messie. Il lui en coûte de voir en lui un maître digne de confiance. Ce n’est qu’un simple et pauvre marcheur, humblement vêtu.15
Mais quand Jésus observe Nathanaël s’approcher de lui avec réticence, affichant scepticisme et suffisance, il lui dit avec un sourire intriguant :
« Eh bien, si tu n’es pas au clair sur moi et que tu ne me considères même pas comme un bon Juif, moi, je vois en toi un authentique Israélite, sans la moindre ombre de tromperie. »
Ce qui équivaut à lui dire :
« Ta sincérité et ta franchise me plaisent. Mais ne te fie pas trop aux apparences… »
« D’où me connais-tu ? » s’exclame Nathanaël, ébahi.
Le maître est