Un peu plus tard, après avoir observé Jésus de plus près et écouté ses paroles incisives, une étrange certitude venue du ciel illumine son esprit et le pousse à confesser :
« Tu dois être le Fils de Dieu, le roi attendu d’Israël. »
Radieux d’avoir trouvé un disciple au potentiel aussi prometteur, Jésus lui répond :
« Crois-tu parce que je t’ai dit t’avoir vu sous le figuier ? Tu verras de bien plus grandes choses que celle-là ! Je vous promets qu’à partir de maintenant, si vous savez regarder, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre sur nous. »
Autrement dit : « ma présence va vous mettre en contact direct avec le ciel. »
« Vous souvenez-vous de l’histoire de notre père Jacob ? En fuyant les menaces de son frère, épuisé d’angoisse, loin de tout ce qu’il aimait, il s’était égaré en terre étrangère. Mais Dieu était à ses côtés, au milieu de la solitude. Parce qu’il ne nous abandonne jamais. Ah ! Si vous laissiez la foi ouvrir vos yeux ici, maintenant, à côté de ce figuier, vous verriez aussi le ciel ouvert sur le chemin qui conduit directement au trône de l’univers ! Si vous ouvriez tout grands les yeux de votre âme, ‘vous verriez alors les cieux ouverts pour toujours’.16 Tout endroit où l’on cherche Dieu est un Béthel, ‘la maison de Dieu et la porte du ciel’ ».17
À l’instar de Jacob en fuite, Nathanaël croit aussi émerger de la torpeur d’un rêve et glisser dans une nouvelle réalité où le divin inaccessible se trouve, grâce au Maître, à la portée d’un battement de cœur. Dans son for intérieur résonne l’écho du cri du patriarche en fuite :
« Certainement, Dieu est en ce lieu et je ne le savais pas ! » 18
Et il se fait la réflexion que beaucoup d’autres se sont faite lorsque le Maître les a découverts :
« Christ m’a vu sous le figuier. Il en sait sur moi bien plus que moi-même, bien plus que ce que ne pourra jamais m’apprendre l’analyse. »19
C’est que le Maître possède la rare faculté de voir au-delà des apparences, de détecter la présence du divin dans l’humain et du céleste dans le quotidien. Voir par ses yeux transcende le vieux en neuf, revitalise le regard usé inutilement posé sur les nouveautés. Son incroyable capacité à aimer lui permet de discerner de radieux papillons dans les plus laides chenilles et d’admirables saints dans les pires pécheurs. Parce qu’aimer vraiment « est voir la vraie beauté du cœur de l’autre ».20
Certains maîtres enseignent leurs élèves en les guidant comme des chevaux : pas à pas. La plupart d’entre nous avons besoin d’un guide qui respecte notre rythme. D’autres maîtres enseignent en confirmant ce qu’ils trouvent de bon chez leur disciple, en l’encourageant à avancer et à croître. Car nous apprenons tous mieux lorsque nous sommes encouragés. Le nouveau maître enseigne des deux manières : en s’ajustant à chacun et en motivant tout le monde, en stimulant avec franchise le moindre progrès.
Le maître est aussi à l’écoute des rêves de ses disciples. Parce qu’il est capable de les rêver tels qu’ils ne sont pas encore, d’imaginer ce qu’ils peuvent réellement devenir. Il sait que l’être humain grandit quand il se sait rêvé. 21
C’est ainsi que ces premiers jeunes disciples, comme tant d’autres qui les suivront en partageant entre eux les nouvelles perspectives que leur rencontre avec Jésus apporte à leur vie, vont partager son invitation à le suivre et accroître peu à peu leur petit groupe. Ces porte-parole pleins d’enthousiasme vont étendre l’œuvre du maître insolite en prenant hommes et femmes là où ils se trouvent, tels qu’ils sont et en les transformant peu à peu en êtres nouveaux pleins d’incroyables possibilités.
Comme Nathanaël, chacun de nous a ses propres critères dont certains sont faux.
Il nous en coûte de comprendre que Dieu propose des chemins différents de ceux que nous connaissons. Ce qui rend déconcertants les questionnements du Maître, d’une simplicité évidente.
Tous admirons d’habitude ce qui est extraordinaire, les grandes réalisations de l’humanité, les grands personnages de l’histoire.22 En même temps, comme il est évident que nous ne pouvons tous être les premiers en tout et que très peu peuvent réaliser leurs délires de grandeur, la plupart d’entre nous sommes condamnés à nous satisfaire d’appartenir à la masse. Cette réalité semble avoir activé chez une infinité d’êtres humains certains mécanismes de défense qui les retiennent dans ce que les classiques appellent aurea mediocritas 23, « la philosophie du passable ».
Dans toutes les sociétés, les pénuries économiques, l’ignorance, les injustices de la vie, la difficulté d’étudier certaines carrières ou de trouver un travail intéressant, etc., minent l’optimisme naturel de l’enfance et l’idéalisme de l’adolescence. Au fur et à mesure que la jeunesse passe et que la vie adulte se complique, les circonstances poussent les découragés vers l’évasion, la résignation ou l’inhibition. Les vies qui en résultent sont souvent ternes, routinières, conformistes, désillusionnées, vouées à l’échec.
Depuis toujours beaucoup de jeunes perdent rapidement leurs ambitions légitimes, tant en matière d’études, de travail ou de réussite personnelle que dans la sphère spirituelle des idéaux et des valeurs. Dans tous les domaines de l’existence, l’inertie les entraîne à se contenter de résultats médiocres ou de les justifier.24 La peur de l’effort ou la commodité les empêche de se compromettre, de se risquer à tenter quelque chose de nouveau. Ils vivotent entre l’improvisation et le découragement alors qu’ils pourraient s’offrir une réalité hautement motivante avec une petite dose d’effort et de volonté.
C’est en ceci que Jésus se distingue des autres maîtres.25 Bien sûr, il prêche un mode de vie simple et modeste. Mais il suscite des aspirations élevées. Il enseigne une philosophie de l’existence profonde. Sa personne irradie « une puissance cachée pourtant visible. »26 Même ses ennemis doivent reconnaître que « jamais homme n’a parlé comme lui ».27
S’il y a une chose qu’il exprime clairement aux siens, c’est son désir de les mener à l’excellence :
« Que faites-vous d’extraordinaire ? » demande-t-il à ses disciples, prouvant par là qu’il ne se contente pas de peu. Il se risque même à les encourager à être « parfaits ». C’est-à-dire à développer jusqu’au bout les innombrables possibilités latentes, enfouies en eux.28
Il transforme leur vie en leur montrant de quoi ils sont capables, à quoi ils peuvent arriver s’ils s’ouvrent au pouvoir de la grâce divine.
Dès le début de son ministère, le maître appelle jeunes et moins jeunes à troquer leur vie ordinaire contre une vie extraordinaire. À échanger cette existence médiocre dont ils sont insatisfaits contre quelque chose de grand, noble, beau. À s’enrôler dans une mission d’engagement, consacrée à une grande cause. Son appel les arrache à leur train-train quotidien et les lance dans une aventure. Une aventure fabuleuse, risquée, intense, difficile, héroïque même. Une aventure sans place pour le non sens ni pour la superficialité.
Ceux qui veulent suivre Jésus abandonnent vite leur appartenance à la masse. Son exemple touche le tréfonds de leur être, en fait jaillir la réponse à l’appel de l’idéal et prédispose à le suivre dans son passionnant cheminement.29 En donnant sens à l’existence, Jésus confère une dimension extraordinaire à la vie ordinaire.
Le maître pressent que son ministère sur cette terre pourrait être