Bien sûr, Leiris, c’est aussi le texte sur les races, mais commandité par l’Unesco, bref selon l’une de mes thèses, le développement est un beau cadeau que le capitalisme nous fait, et puis le Leiris des 121, dont Copans a salué pour ces deux occurrences le comportement.
Mais chez lui, le dur du politique, c’est l’Afrique du travail, celle des changements économiques2, de la matière sociale réelle du monde paysan et des classes ouvrières.
Pas étonnant qu’il fut choisi pour traiter de l’Afrique australe pour le Dictionnaire Bonte et Izard.
Mentionnons du côté du politique, les essentiels : sur les guerres paysannes, qui se nourrissent de la famine, et le tourisme3, qui disaient ce qu’il fallait avec une manière qui serait celle des Temps modernes où je ne lui connais pourtant pas d’article.
C’est sans doute que Copans qui dans les années 2000 et 2010 s’occupe encore du Sénégal (là encore fidélité), devine plus que la revue ne serait capable de le faire, et plusieurs de ces petits camarades, ce que dans les circonstances générales, ou la conjoncture, on appellera ça comme on voudra, ce que ne pouvait qu’être – dans la situation, un mot qu’affectionne la revue – par exemple le cas historique de Laurent Gbagbo – celui Pol-pot, etc.
Cette perspicacité étant la pierre angulaire de tous ces propos politiques, on comprend que Jean Copans se soit jeté sur les Écrits politiques de Mauss qui comme Paul Rivet se méfiait des résultats futurs de la révolution russe, mais dont il a dû sortir bien déçu, car l’histoire avance toujours du mauvais côté, ce qu’en optimiste, il s’efforce d’ignorer et c’est ce qui nous séparerait.
Si connaître les classiques modernes et les oublier est une constante chez Jean, ainsi il connaît Foucault sans jamais en faire une référence surmoïque, il y a aussi que notre intellectuel est remarquablement absent des évènements mondains (ainsi par exemple à l’inauguration du quai Branly), qu’il a continué à résider à Amiens et que l’évènement présent me semble être l’unique occasion de paillettes.
C’est ainsi que, plutôt que mondain, notre Jean est un bourreau de travail sur le mode du mineur de fond. Comment qualifier autrement les traductions4, les éditions et comités de direction, son travail pour Politique africaine ou encore la direction de la collection « Homme et société » (chez Karthala) avec ces dizaines de titres qui sont autant de pierres dans la connaissance et qui resteront, mais qui ne relèvent certainement pas des best-sellers ; le Monde et d’autres ne les mentionnent jamais et rares sont les comptes rendus, y compris dans nos Cahiers. Ça a d’ailleurs commencé tôt avec ces « Dossiers africains » dans lesquels ma génération a appris à lire et dont Jean était l’artisan quand l’apport du second directeur était plus de réseau.
C’est en 1963 que M. Copans est présent au Centre d’études africaines pour la première fois, il suit les cours d’Henri Brunschwig où ils ne sont que sept inscrits, alors que Balandier dont il suit aussi les cours en compte 90. Parmi eux et aussi pour la première fois, Jean-Loup Amselle ou Pierre-Philippe Rey qui présente un exposé sur la monnaie, quand Jean parle des « Théories politiques proposées par les auteurs africains : à partir de Kenyatta et Cheik Anta Diop. » Chez Paul Mercier et Denise Paulme, les mêmes présences et mentionnons, car souvent oubliés, les Pollet et Pierre Smith.
Ce sont l’année suivante deux exposés d’un Jean étudiant : l’un portant sur les vieilles villes africaines, l’autre intitulé : « Pression démographique et contrainte au changement : besoin de terre et rébellion paysanne chez les Kikuyu ». Déjà le Kenya.
Ce que je dirai sur ce point, mais il y aurait beaucoup plus à dire, est que Copans ou Amselle sont les premiers étudiants du CEA, car si le Centre voit formellement le jour cinq ans plus tôt, c’est comme satellite voulu par Lévi-Strauss et comme on sait, ça s’est mal passé.
Ainsi, à l’exception de Claude Meillassoux, jusqu’en 59, les présents, tels Michel Izard, Robert Jaulin, ou Ariane Deluz, sont des levi-straussiens venus recevoir un peu de formation africaniste.
C’est d’ailleurs Jean qui rédige la nécrologie de Claude pour les Cahiers et honte à L’Homme si comme je le crois, il n’y a rien. Après les levi-straussiens arrivent les jeunes gens que Balandier recrute à l’Institut d’études politiques et à l’École normale supérieure.
Copans s’inscrit dans la vague très différente qui est permise par la création de la thèse de troisième cycle et ceux qui la composent sont des étudiants en quelque sorte vierges, et qui seront strictement le produit du Centre.
Et puis ensuite, une remarquable fidélité au maître. Et pourtant, Balandier en avait, des défauts, mais Copans lui resta fidèle aussi bien affectueusement que théoriquement, et même jusqu’à un livre de plus de 300 pages après la disparition5. Et on ne peut pas dire que cette fidélité lui ait rapporté, car c’est bien tardivement qu’il accède à la Sorbonne et derrière des Maffesoli ou des Affergan.
Africaniste complet jusqu’au bout des ongles et presque strictement africaniste, à l’exception de rares écarts surprenants, tel Aux origines de l’anthropologie française (La Société des observateurs de l’homme6), ce n’est que tardivement que Copans nous donne un peu autre chose avec, par exemple, les deux petits 128 composant un exercice de synthèse sortant totalement du style convenu de ce genre de manuel et d’abord en situant historiquement les choses.
Peu d’insistance sur le boire et le manger de l’enseignant que sont le don et la kola, mais la liste chronologique des premiers terrains7.
La « connaissance » est à mon sens une passion très Troisième République, celle de l’héritage des Lumières. Mais « à part ça », en quoi qualifier Jean Copans de Héros de la IIIe ?
Elle a de multiples visages, notamment l’abandon à Pétain, mais on oublie souvent que les députés communistes étaient déjà exclus de l’Assemblée depuis un moment et que 80 députés ont voté contre, ce que je trouve personnellement ne pas être un si mauvais score et je pense qu’aujourd’hui ce serait plus tragique.
Mais pour vous, pour moi, pour chacun la IIIe ce sont d’abord les instituteurs à la conquête des campagnes, lire, écrire, penser, exercer son esprit critique en homme libre.
Croire au progrès, à l’humanité et savoir que c’est très lent, très lent, n’est-ce pas ici le discours de La Longue marche de la modernité africaine.8
Tiens : « longue marche » : c’est comme un écho.
Si je ne partage pas son optimisme, c’est à Jean Copans que j’ai pensé lorsqu’il m’a semblé que j’arrivais à l’âge de soutenir une habilitation et bien que nous ayons et avions peu en commun, il m’a accueilli avec une générosité dont je le remercie, il y aurait plus à dire et il faudrait plus de temps.
1 Édition, choix, adaptation avec Philippe Couty, Contes wolof du Baol, d’après une traduction de Ben Khatab Dia, Paris, Union générale d’éditions, 10/18, « La voix des autres »,