La cohabitation entre les quatre membres bordelais et les nombreux membres parisiens n’était pas un fleuve tranquille. Ici un quatuor de politistes appartenant tous à une même structure, le Centre d’études d’Afrique noire de Bordeaux (CEAN-IEP Institut d’Études politiques de Bordeaux), qui a sa propre politique de reproduction institutionnelle, la poursuit résolument, et bénéficie d’un appui administratif. Et là, des membres disséminés entre diverses institutions (EHESS, Paris VIII, Paris X, Amiens…), puis d’autres sans aucun attachement institutionnel du tout qui leur permettrait de faire coïncider travail alimentaire et activité de recherche. Mais ils recherchaient pour savoir quelle est la méthode de la folie apartheid, afin de ne pas finir en victime de leur propre engagement – comme moi, si mon script de 1976 avait été publié avant mon mois sur le terrain. Deux trois photos diffusées par la propagande sud-africaine auraient suffi pour anéantir ma crédibilité. Ou comme Georges Marchais à la télévision dans les années 1980, quand il a véhémentement condamné comme propagande une émission télévisée donnant à voir un millionnaire noir à Soweto. Depuis mon étude FAO avec Meillassoux et Lachartre de 1981, je savais qu’il y a des millionnaires noirs, qui sont, et se sentent, victimes de l’apartheid : leur appétit du gain est restreint aux parties pauvres du pays, à savoir les townships et les bantoustans. Ces membres sans titres universitaires, chercheurs inorganisés, ayant de bonnes relations avec des organisations anti-apartheid et de solidarité (églises), étaient un solide soubassement pour nos activités. Ils avaient écrit déjà avant le GDR, et lui ont permis de recruter des chercheur.es de valeur.
Quant aux membres parisiens avec attachement institutionnel, ils étaient en partie enseignant.es-chercheur.es, ce qui limitait leur disponibilité pour la recherche. Et la logistique au sein du GDR était précaire, les tâches d’intendance ne tournaient pas, une fois attribuées, elles tendaient à coller. Du coup, plus personne ne faisait preuve d’empressement pour prendre le relais : cercle vicieux. Ainsi, j’ai assuré la permanence du séminaire encore et toujours, mais aucun bureau d’accueil ni de travail à ma disposition, tous les coups de fil à ma charge. Être membre d’un GDR implique de faire des recherches et publier. Mais quelles recherches sur quoi, comment et quand publier ? Dans ces conditions, délibérer n’est pas évident. Les thèmes généraux Villes et Démocratie n’étaient pas assez tracés, et le thème de l’ethnicité, chéri par les membres bordelais qui travaillaient sur les pays lusophones en Afrique australe, nos lusos, était mal perçu par les Parisiens qui y voyaient avant tout l’outil de manipulation de l’apartheid. Le contact entre lusos et anglos, pourrait-on dire, n’était pas suivi. C’est le séminaire qui était le seul lieu d’échange, limité, mais réel entre les membres. J’avais l’impression qu’il était le seul lieu d’existence permanent du GDR.
On était censé écrire des articles pour revues scientifiques. Mon projet de livre sur la Namibie contemporaine. Les premiers jalons d’une société post-apartheid ne cadraient donc pas. Mais depuis que des géographes de Nanterre, ayant arrêté leurs travaux sur la Côte d’Ivoire, s’étaient tournés vers la Namibie et l’Afrique du Sud, ce projet de livre avait le vent en poupe. C’est avec Olivier Graefe, jeune géographe brillant de Nanterre recruté par le GDR, que j’étais parti en duo de terrain. Trouver et motiver des Namibiens, surtout non blancs, pour écrire sur un domaine de leur compétence se heurtait à un net refus : « on se fiche de votre livre français, nous voudrions cela comme une contribution à nos propres débats ». D’accord, comme la plupart des chapitres seraient de toute façon en anglais, on traduirait en français tout ce qui sera en anglais ou en allemand. Karthala pour le français, et Gamsberg Macmillan de Namibie pour l’anglais. Ces deux petits éditeurs étaient même partants pour co-éditer les deux versions. Mais ils ne pouvaient pas attendre jusqu’à ce que chacun d’eux ait reçu la subvention demandée, celle de l’Unesco pour Karthala et celle de l’Ifra pour Gamsberg, condition pour une sortie simultanée à Windhoek et à Paris. Un beau scoop de coopération culturelle franco-namibienne de raté2.
À l’approche de la date pour le renouvellement ou non du GDR en été 1985, les membres bordelais annoncèrent d’urgence que Dominique Darbon serait le nouveau directeur du GDR : le seul moyen pour satisfaire encore dans les délais les conditions pour ce renouvellement par le CNRS. C’est finalement avec le soutien d’universités parisiennes, susceptibles de joindre le GDR, que Jean Copans avait été déposé et remplacé par Dominique Darbon. Pas de putsch, dit-on à Bordeaux. Une bonne année plus tard (21/3/97), le CEAN annonce la création d’un autre « Groupe de recherche Pouvoirs et Identités, religions, ethnicité, cultures. Groupe Informel des Luso-Africanistes. » Le GDR n 846 expire fin 1999. Le GDR était devenu une bonne carte de visite – même si on n’en avait longtemps pas. Me présenter sur le terrain namibien et sud-africain comme émissaire d’une structure française nommée National Center for Scientific Research m’a d’emblée valu écoute et estime, et était par la suite une référence que certains chercheur.es sur place n’ignoraient plus.
La suite présente quelques documents du séminaire (programmes, comptes rendus), avec quelques annotations ou mises en exergue, et surlignements couleur :
p. 8 : Calendrier 1985-1986 : introduction des séances pédagogiques et séances de recherche ;
p. 9 : Calendrier séances du premier semestre 87/88 ;
p. 10 : Lettre Ingolf Diener de juin 1999 aux membres de l’ex-GDR Calendrier des séances ;
p. 11 : Calendrier séances 2e et 3e trimestres 1999-2000 : ex-groupe de recherche CNRS ;
p. 12 : Calendrier séances 2e et 3e trimestres 2001-2002 : nouveau trépied institutionnel ;
p 13 : Jean Copans dans sa Petite contribution à la « dernière séance » [du séminaire] ;
p. 14 : Les Afriques à Paris 8 ;
p. 15 : Dernière affiche du séminaire, année 2012-2013 sur http://www.ipt.univ-paris8.fr/cerasa/ ;
p. 18-19 : Annexe compte rendu de l’année 2012-13.
« Les intervenant.es de janvier sont de jeunes chercheur.es mozambicain.es formé.es par Michel Samuel par une pratique de terrain et venu.es poursuivre leur formation théorique en France jusqu’au niveau de la maîtrise. » [ID déc 2019]
Afrique Australe :
quel nouveau support institutionnel ?
[Lettre Ingolf Diener aux membres de l’ex-GDR] Séminaire [juin 2000]
Le séminaire du GDR-CNRS AFRIQUE AUSTRALE tiendra ses dernières séances fin mai/début juin 2000. Co-fondé il y a 18 ans par Claude Meillassoux, Antoine Bouillon, Christine Messiant, Roger Meunier et moi-même, le GDR est arrivé à sa fin en décembre 1999. Le sort du séminaire dépend d’un nouveau support institutionnel. Jean Copans et moi-même, Roger Meunier aussi, nous sommes disposés à le reconduire. Jean Copans en a parlé avec Jean-Pierre Dozon, directeur du CEA de l’EHESS, qui semble bien disposé à l’accueillir comme séminaire du CEA, comme par le passé. On en parlera avec Jean-Pierre Dozon et Didier Fassin courant juin, occasion aussi de débattre de nouveaux axes de recherches Afrique australe. Quel nouveau support institutionnel pour le séminaire ?
Constat :
Le séminaire fonctionne depuis 1982/3, sur le principe du bénévolat des intervenants