Hyacinthe. Assollant Alfred. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Assollant Alfred
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066087401
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la fin elle me dit:

      —Mon père est allé dîner chez M. Forestier, à l'occasion du contrat, n'est-ce pas?

      —Oui, mademoiselle.

      —Eh bien! il me laisse dans un embarras terrible. Je suis invitée, moi, à prendre le thé; il y aura sans doute beaucoup de monde; quelle robe dois-je mettre?

      Et comme j'hésitais, elle reprit impétueusement:

      —Voyons, ne me dissimulez rien, monsieur Trapoiseau. Une robe de soie, une robe d'organdi, une robe de satin, une robe de brocart brodée d'or?... Répondez: mais répondez donc, puisque mon père n'est pas là pour répondre!

      Je baissai la tête, en étendant les bras, pour indiquer mon embarras:

      —Mademoiselle je suis perplexe; je suis vraiment perplexe... Je suis au fond de la plus profonde perplexité.

      —Alors vous ne savez pas si je dois être en blanc, en rose, en bleu, en gris ou en noir?

      —Comment pourrais-je le savoir, mademoiselle?

      —En étudiant la question dans les bons auteurs, monsieur Trapoiseau!

      Elle fit quelques tours dans l'étude comme un chardonneret dans sa cage, en ayant l'air de regarder les livres de la bibliothèque et de faire un choix; puis, elle s'arrêta, appuya sur mon bureau ses deux belles mains, un peu grandes et même un peu rouges, mais bien faites et demanda:

      —Vous serez des nôtres, ce soir, chez madame Forestier?

      Je répondis modestement:

      —Oui, mademoiselle;... c'est-à-dire que je suis invité à porter le papier timbré, le contrat, l'encrier et les plumes...

      Elle répliqua d'un air de douce autorité:

      —Vous êtes invité; je le sais. Hyacinthe me l'a dit. On dansera. Vous me ferez vis-à-vis...

      —Ah! mademoiselle!... Mais personne ne m'a dit que je fusse invité...

      —Eh bien! je vous le dis, moi... Vous me ferez donc vis-à-vis, à moins...

      Ici elle hésita, ou fit semblant.

      Je demandai, le cœur palpitant:

      —A moins?...

      —A moins que vous ne préfériez me demander vous-même la première contredanse.

      O joie! ô bonheur! J'avais une terrible envie de tomber aux pieds d'Angéline et de les baiser avec la piété qu'on doit aux anges du Seigneur; mais elle s'en aperçut et s'écria tout à coup:

      —Qu'est-ce que vous faisiez là, quand je suis entrée?

      —Mademoiselle, je rédigeais ou plutôt je me préparais à rédiger le contrat...

      —D'Hyacinthe?

      —Oui, mademoiselle.

      Elle se pencha anxieusement, et, ne voyant rien qu'un papier timbré privé de toute souillure, me dit:

      —C'est ça le contrat?

      —Oui, mademoiselle.

      —Et vous n'avez rien fait?

      —J'allais commencer.

      —Alors, je me sauve.

      En effet, elle ouvrit la porte et me dit à demi-voix:

      —N'oubliez pas de venir en habit, avec des gants... Hyacinthe compte sur vous..., toutes ces dames aussi.

      Elle fit une pause et ajouta:

      —Moi surtout... A ce soir, monsieur Félix!

      —A ce soir, mademoiselle!

      La porte se referma, et je restai seul avec mon contrat à rédiger.

      Eh bien, me croira qui voudra, cet «à ce soir, monsieur Félix?» m'avait rendu le plus heureux des hommes. C'est la première fois qu'elle m'appelait de mon nom de baptême. Jusque-là j'avais été Trapoiseau, premier clerc de maître Bouchardy. Du coup je venais de passer «Félix». Sentez-vous la différence?

       Table des matières

       Table des matières

      Je perdis bien encore quelques minutes à bercer dans mes rêveries cette douce pensée que deux jeunes demoiselles,—les plus belles à mon avis, et les plus riches de la puissante cité de Creux-de-Pile,—m'avaient mis souvent en tiers dans leurs conversations, et que l'une d'elles parlait dans l'intimité de «Félix», tandis que l'autre répondait en parlant de «Michel».

      Hé! hé! n'a pas ce bonheur-là qui veut!

      Enfin, il fallut prendre la plume et commencer gravement:

      «Par devant maître Bouchardy et son collègue...»

      Après quoi j'allai tout d'un trait et sans débrider jusqu'à la fin, tant j'étais rempli, pénétré, saturé des clauses du contrat.

      Quand tout fut prêt, je rentrai chez moi pour souper et prendre un habit noir et une cravate blanche.

      Chez moi, je veux dire chez ma mère, et quoiqu'on se doute bien que la veuve de l'huissier Trapoiseau n'était pas une grande dame et n'habitait pas un palais, on imaginera difficilement la vérité.

      Ma mère occupait au second étage et de plain-pied avec la rue, la maison étant adossée au rocher (notez cette coïncidence), une grande chambre et un petit cabinet qui dominaient tous les deux la rivière de plus de cent pieds de haut. Le pavé de la chambre était fait de terre battue, comme celui des granges. Le cabinet, plus heureux, avait un plancher de bois. Mais la chambre servait à tout.

      D'abord, ma mère y couchait. Ensuite elle y faisait sa cuisine (maigre, très maigre cuisine!) composée le matin d'une soupe à l'oignon, à midi d'un ragoût de mouton et de pommes de terre qui durait trois jours. Le quatrième jour, on le remplaçait par une omelette mêlée de pommes de terre. A dire vrai, les pommes de terre étaient le légume favori de ma mère et sa nourriture principale; aussi les fourrait-elle au hasard dans toutes les sauces, et telle est la douce influence d'un bon appétit que j'avalais avec plus de plaisir une omelette aux pommes de terre qu'un banquier n'avale une dinde aux truffes.

      Le souper, régulièrement servi à sept heures du soir, se composait, en hiver: le lundi, d'une soupe aux choux; le mardi d'une soupe aux raves; le mercredi, d'une soupe aux choux; le jeudi, d'une soupe aux raves; le vendredi d'une soupe aux choux; le samedi d'une soupe aux raves; et le dimanche,—jour de fête, de luxe, de magnificence et de prodigalité, d'une soupe aux choux mêlés de raves et de pommes de terre.

      Pour faire couler le tout, une eau délicieuse puisée à la fontaine voisine, au pied du rocher sur lequel la maison était bâtie. Quant au vin, il était né dans le pays, c'est-à-dire plus âpre et plus difficile à digérer qu'une condamnation à trois mois de prison et 6.000 francs d'amende. Au reste, ma mère n'en a jamais goûté; pour moi, j'en buvais avec une extrême modération. Un litre tous les dix jours que ma mère allait chercher dans la boutique du cabaretier d'en face. Cinq sous en gros et six sous au détail.

      Vous me croirez si vous voulez, ce régime, aidé du grand air et de beaucoup d'exercice, vaut mieux que celui des Parisiens. Mon grand-père Trapoiseau qui n'a jamais goûté ni vin ni viande a vécu quatre-vingt-quinze ans.

      Vous voyez maintenant le logis de ma mère et le mien. Quant à ma mère elle-même, figurez-vous une coiffe de paysanne, une figure taillée à coups de serpe dans un chêne, des