Hyacinthe. Assollant Alfred. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Assollant Alfred
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066087401
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dans une famille honorable, nous verrons si cette fille elle-même y consentira, nous verrons surtout si sa mère, madame Rosine Forestier...

      M. Bouchardy, mon patron, avait le souffle puissant et pouvait parler plusieurs minutes sans reprendre haleine, ce qui est, dit-on le signe distinctif des grands orateurs; mais M. Saumonet l'interrompit, car il était sec et piquant autant que l'autre était verbeux et majestueux.

      —Enfin, demanda-t-il, que voulez-vous dire? Parlons franchement, et que chacun lâche son dernier mot, car cinq heures vont sonner. Avez-vous des pleins pouvoirs pour traiter?

      —J'en ai, répondit M. Bouchardy, subjugué par cette impétuosité.

      —Moi aussi... Qui est-ce qui fait des difficultés pour ce contrat? ce n'est pas le jeune homme, je pense?

      —Michel! Ah! Dieu, non! Il ne demande qu'à conclure, n'importe à quel prix, et qu'à emporter la jeune Hyacinthe au pays où fleurit l'oranger.

      —Alors, c'est madame Bernard? Je comprends ça... Elle avait l'argent de son fils et les clefs. Il faut les rendre. C'est dur. Le père en mourant avait laissé la jouissance de la moitié de sa fortune à sa femme, mais seulement jusqu'au mariage de son fils. S'il se marie, il faut y renoncer. C'est 6.000 francs par an, au moins. Demander une dot de 200.000 francs à M. Forestier, père de la future, c'est rompre le mariage, en feignant de soutenir avec trop de zèle les intérêts de Michel. Voilà pourquoi, Bouchardy, vous mettez des bâtons dans les roues. C'est l'ordre de la vieille dame que vous suivez?

      M. Bouchardy se mit à rire et répliqua:

      —Vous l'avez deviné Saumonet. Madame Bernard ne veut pas remettre à une bru le gouvernement de la maison; elle veut encore moins lâcher la jouissance de 6.000 francs de rente que lui assure le testament de son mari, jusqu'au mariage de son fils, et si elle était forcée de laisser Michel se marier, elle veut lui vendre son consentement le plus cher possible.

      —Michel le sait-il?

      —Comme vous et moi. Mais, par respect, il feint de ne rien deviner de tous ces calculs. En revanche, il m'a chargé, lui aussi, de ses pleins pouvoirs, et s'il ne tient qu'à lui, tout sera bientôt terminé... A votre tour, maintenant, Saumonet, je vais confesser vos clients, comme vous avez confessé les miens.

      —Faites, répliqua l'autre notaire.

      —Qu'est-ce que le père Forestier donne pour dot à sa fille? 100.000 francs. Pas davantage.

      —Sans doute, dit M. Saumonet, mais il en garde à peine autant pour lui-même.

      —Et la fortune de sa femme, qui est de plus de 400.000 francs?

      —Madame Forestier fait bourse à part. Elle administre elle-même ses revenus et n'en rend compte à personne. En revanche, elle se fait expliquer jusqu'au moindre centime l'emploi de l'argent de son mari. Elle le tient même si serré que le pauvre homme est obligé, de temps en temps, d'emprunter cinq ou six francs qu'il rembourse comme il peut, en faisant croire à la dame que ce sont des dépenses électorales.

      —Donc, Saumonet, la femme ne voulait rien donner et le mari ne pouvant pas donner plus de cent mille francs, le mariage est rompu?

      —Je le crains.

      M. Bouchardy se mit à siffler en regardant le jardin, l'horizon bleu, d'un air de réflexion profonde:

      —Au diable, les femmes poétiques! s'écria-t-il enfin.

      —Êtes-vous sûr, répliqua l'autre, que les femmes prosaïques vaillent mieux?

      —Et cependant, Seigneur, mon Dieu! il en faut, comme disait saint Augustin.

      Cette pensée du plus éloquent et du plus inspiré des Pères de l'Église ramena une douce gaieté sur le visage des deux notaires.

      —Voyons, dit M. Bouchardy, c'est bien votre dernier mot, n'est-ce pas?

      —Le dernier des derniers, cher confrère.

      —Eh bien, que votre volonté soit faite et non la mienne. Je consens à la ruine de mon client.

      Saumonet se récria:

      —J'y consens, reprit M. Bouchardy, mais c'est par son ordre. Michel qui a tout prévu, car c'est un homme de bon sens dans tout le reste, et qui, par respect pour la mémoire de son père ne veut pas plaider contre sa mère, m'a chargé d'acheter son consentement. Il lui en coûtera 6.000 francs de rente, jusqu'à la mort de la brave dame, mais, à ce prix, je m'en suis assuré, toutes les difficultés seront levées, elle ne figurera au contrat que pour approuver et signer, et elle serrera mademoiselle Hyacinthe sur son cœur comme une fille bien-aimée!...

      —J'en suis touché jusqu'aux larmes, dit M. Saumonet.

      —Mais vous, ne ferez-vous aucune concession?

      —Pas la moindre! Madame Forestier qui est une femme poétique, un sylphe, un gros sylphe à la vérité, un sylphe de quatre-vingt-dix kilogrammes, a déclaré que les jeunes filles devaient se marier sans dot ou ne jamais se marier; que demander une dot à mademoiselle Hyacinthe, c'était lui faire une offense impardonnable; que si M. Forestier son mari, voulait doter sa fille, il le pouvait, mais à ses frais, et qu'elle ne donnerait pas un centime: qu'il était libre de se ruiner, lui, mais à ses risques et périls (Mange ça tien, tu ne mangeras pas ça mien), comme disent toutes les saintes femmes du pays: qu'elle n'était pas folle, elle, et qu'elle avait de la prévoyance pour toute la famille; qu'elle avait résolu de garder toujours sa fortune intacte et de la réserver pour ses enfants ou mieux encore pour ses petits-enfants, et surtout pour ses arrière-petits-enfants (qu'elle adore par avance, les pauvres chérubins); que c'était pour elle un devoir de conscience et ne transigerait jamais... J'ai voulu hasarder quelques observations; mais la grosse dame plus poétique et plus tragique que vous ne l'avez jamais vue, s'est écriée:

      »Ma fille, ma chère fille, ma douce et tendre Hyacinthe, cette gracieuse hirondelle que j'ai réchauffée dans mon sein, sait bien qu'elle peut compter sur moi!... Quelles que soient les déceptions de la vie, quelque chagrin que dans l'avenir puisse lui donner son futur mari, (et il lui en donnera des multitudes, j'en vois déjà trop les signes précurseurs!) mon cœur de mère et mes bras lui seront toujours ouverts.

      »Je mettrai tout en commun avec ma fille!... Mais pour son mari, non! Il n'aura pas un centime de moi! Pas un centime!»

      Vrai, mon ami, c'était si touchant que j'avais peine à retenir mes larmes.

      —Comme ça, répliqua l'autre notaire, elle garde tout?

      —Parfaitement. Et madame Bernard?

      —Presque tout, répondit Saumonet.

      —Deux vrais cœurs de belles-mères, conclut M. Bouchardy qui était philosophe.

      Puis se tournant vers moi:

      —Tu as bien entendu, Trapoiseau?... A toi d'arranger de ton mieux les termes du contrat. Tu nous rejoindras à huit heures, chez M. Forestier... Nous, Saumonet, allons dîner, et dépêchons-nous, car il est cinq heures cinq... La forte Mihiète doit grogner sur ses fourneaux.

      Et tous deux s'en allèrent bras dessus, bras dessous, en chantant le joyeux refrain:

       Gloria tibi, Domine,

      Que tout chantre

      Boive à plein ventre

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      Enfin la porte du jardin se referma