Hyacinthe. Assollant Alfred. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Assollant Alfred
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066087401
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le déjeuner, pour le dîner, pour le lunch (une invention de ces chiens d'Anglais qui ne savent quoi faire pour tourmenter le pauvre monde!), balayer par-ci, balayer par-là, faire les lits, lacer madame qui est faite comme une tour et qui veut paraître mince comme une guêpe (l'autre jour j'ai cassé deux lacets, à force de tirer; elle criait comme une brûlée, et moi je serrais toujours plus fort, ça m'amuse, quand elle crie); ensuite il faut faire la cuisine, et quand on l'a faite, entendre dire à madame qui ne saurait pas seulement mettre un rognon de veau à la broche: «Mihiète, vous ne comprenez donc rien? Vous jetez le sel à poignées; vous poivrez tout que c'est une bénédiction; vous mettez trois livres de beurre dans le macaroni, comme si le beurre ne coûtait rien, ou comme si on le ramassait sur les grands chemins; il faut faire attention, ma fille, ou je vous mettrai à la porte!...»

      En parlant, Mihiète imitait de son mieux le ton et la colère de sa maîtresse, et les autres domestiques riaient aux éclats.

      A la fin, le chef de cuisine lui dit:

      —Est-ce que vous ne lui répondez rien?

      Mihiète se redressa fièrement:

      —Moi! Je lui dis d'aller dans son salon pour faire la gracieuse et de me laisser dans ma cuisine, où je veux être maîtresse de mes fourneaux. Je ne veux pas que personne vienne goûter mes sauces avant qu'elles soient sur la table. Alors elle m'appelle de tous les noms et crie qu'une «dame de député comme elle» ne peut pas se disputer avec un «torchon» comme moi. Mais moi je lui réplique qu'il y a des torchons qui valent mieux que des dames de députés, que les torchons savent faire le dîner et que les dames de députés ne savent que le manger; que si j'avais de quoi, je saurais bien me coucher à moitié sur mon canapé pour recevoir les messieurs et lever les yeux en l'air pour en montrer le blanc, comme font les tanches dans la poêle à frire. L'autre jour, elle s'est avancée vers moi, la main levée pour me donner un soufflet, en m'appelant «carogne»...

      —Qu'as-tu fait? demanda Pierre.

      —Rien que de bon. C'était un quart d'heure avant dîner. J'ai plongé ma grande cuiller dans le pot-au-feu; je l'ai retirée pleine de bouillon et j'ai dit «Madame, les «carognes» sont faites comme vous, et si vous me touchez, mon bouillon est brûlant, je vous en marquerai pour la vie.» Et voilà!

      Elle était en toilette; elle allait faire des grimaces devant ses invités; elle a eu peur et s'est sauvée.

      Le chef de cuisine demanda:

      —Elle ne vous a pas renvoyée?

      Mihiète répliqua d'un air profond:

      —Renvoyée! Elle s'en garderait bien. J'en sais bien trop long sur son compte!

      Les assistants essayèrent vainement de la faire parler.

      —Non, non, répondit Mihiète; voilà vingt ans que je suis dans la maison. J'y suis entrée huit jours après la naissance d'Hyacinthe. Ce n'est pas à moi de dire des choses qui ne sont pas à dire et qui feraient du tort.

      —A qui? demanda une curieuse.

      —A ton bonnet, bavarde! Elle le sait bien, et ce n'est pas elle qui me renverra jamais! Ah! quand elle était jeune! Ce pauvre M. Forestier n'était pas toujours content...

      Puis elle se mordit la langue, heureuse d'avoir excité la curiosité publique, heureuse aussi de ne pas la satisfaire, ce qui lui donnait une réputation de discrétion et faisait soupçonner bien des mystères.

      —Mais vous, demanda le chef de cuisine, si elle ne vous renvoie pas, est-ce que vous ne la quitterez jamais?

      —Moi! répliqua Mihiète d'un air capable, ça dépend... Quand nous aurons marié notre Hyacinthe, on verra.

      —Elle est jolie, votre Hyacinthe! Ah! ma foi, c'est tout ce qu'il y a de plus joli à Creux-de-Pile et aux environs.

      —Et dans tout le département! s'écria Mihiète avec transport. C'est moi qui l'ai élevée, cette enfant, et je m'en vante! Ce n'est pas elle qui m'appellerait «carogne», comme sa mère a fait l'autre jour, ni qui me menacerait d'un soufflet! Ah! la pauvre chérie! Elle est bonne comme le bon pain. Elle ne ferait pas de mal à une mouche, et elle est gaie comme un petit chat gris. Tenez, savez-vous ce qu'elle me disait hier:—«Écoute, ma bonne Mihiète, tu ne peux pas t'accorder avec maman, veux-tu venir avec moi? Je vais me marier, tu sais, avec Michel...—Ah! oui, un joli garçon, ai-je répondu.—N'est-ce pas, Mihiète? Et que j'aime comme il m'aime... Eh bien, tu feras notre ménage. Veux-tu?»

      J'ai dit:

      «—Mais ton père va se fâcher, lui qui ne trouve de bon que mes sauces...

      «—Eh bien! papa viendra dîner souvent chez nous. Ça le changera!»

      Et alors ma foi, j'ai dit: oui, et dans trois jours je vais quitter la cambuse. Je rendrai mon tablier à madame et je dirai:

      «—Madame Forestier, au plaisir de ne jamais vous revoir!»

      Le discours de Mihiète étant fini, je frappai à la porte et l'on ouvrit.

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