– Enfin, dit-il, nous y sommes.
Il sortit d’une cachette une fiole minuscule, la déboucha, humecta l’extrémité de son index avec le liquide qu’elle contenait, et passa son doigt sur la troisième feuille du paquet.
Au bout d’un moment, des jambages se dessinèrent, puis des lettres, puis des mots et des phrases.
Il lut :
Tout va bien. Steinweg libre. Se cache en province. Geneviève Ernemont en bonne santé. Elle va souvent hôtel Bristol voir Mme Kesselbach malade. Elle y rencontre chaque fois Pierre Leduc. Répondez par même moyen. Aucun danger.
Ainsi donc, les communications avec l’extérieur étaient établies. Une fois de plus les efforts de Lupin étaient couronnés de succès. Il n’avait plus maintenant qu’à exécuter son plan, à mettre en valeur les confidences du vieux Steinweg, et à conquérir sa liberté par une des plus extraordinaires et géniales combinaisons qui eussent germé dans son cerveau.
Et trois jours plus tard, paraissaient dans le Grand Journal, ces quelques lignes :
« En dehors des mémoires de Bismarck, qui, d’après les gens bien informés, ne contiennent que l’histoire officielle des événements auxquels fut mêlé le grand Chancelier, il existe une série de lettres confidentielles d’un intérêt considérable. Ces lettres ont été retrouvées. Nous savons de bonne source qu’elles vont être publiées incessamment. »
On se rappelle le bruit que souleva dans le monde entier cette note énigmatique, les commentaires auxquels on se livra, les suppositions émises, en particulier les polémiques de la presse allemande. Qui avait inspiré ces lignes ? De quelles lettres était-il question ? Quelles personnes les avaient écrites au Chancelier, ou qui les avait reçues de lui ? était-ce une vengeance posthume ? Ou bien une indiscrétion commise par un correspondant de Bismarck ?
Une seconde note fixa l’opinion sur certains points, mais en la surexcitant d’étrange manière.
Elle était ainsi conçue :
« Santé-Palace, cellule 14,2e division.
« Monsieur le Directeur du Grand Journal.
« Vous avez inséré dans votre numéro de mardi dernier un entrefilet rédigé d’après quelques mots qui m’ont échappé l’autre soir, au cours d’une conférence que j’ai faite à la Santé sur la politique étrangère. Cet entrefilet, véridique en ses parties essentielles, nécessite cependant une petite rectification. Les lettres existent bien, et nul ne peut en contester l’importance exceptionnelle, puisque, depuis dix ans, elles sont l’objet de recherches ininterrompues de la part du gouvernement intéressé. Mais personne ne sait où elles sont et personne ne connaît un seul mot de ce qu’elles contiennent
« Le public, j’en suis sûr, ne m’en voudra pas de le faire attendre, avant de satisfaire sa légitime curiosité. Outre que je n’ai pas en mains tous les éléments nécessaires à la recherche de la vérité, mes occupations actuelles ne me permettent point de consacrer à cette affaire le temps que je voudrais.
« Tout ce que je puis dire pour le moment, c’est que ces lettes furent confiées par le mourant à l’un de ses amis les plus fidèles, et que cet ami eut à subir, par la suite, les lourdes conséquences de son dévouement. Espionnage, perquisitions domiciliaires, rien ne lui fut épargné.
« J’ai donné l’ordre aux deux meilleurs agents de ma police secrète de reprendre cette piste à son début, et je ne doute pas que, avant deux jours, je ne sois en mesure de percer à jour ce passionnant mystère.
« Signé : Arsène LUPIN. »
Ainsi donc, c’était Arsène Lupin qui menait l’affaire ! C’était lui qui, du fond de sa prison, mettait en scène la comédie ou la tragédie annoncée dans la première note. Quelle aventure ! On se réjouit. Avec un artiste comme lui, le spectacle ne pouvait manquer de pittoresque et d’imprévu.
Trois jours plus tard on lisait dans le Grand Journal :
« Le nom de l’ami dévoué auquel j’ai fait allusion m’a été livré. Il s’agit du grand-duc Hermann III, prince régnant (quoique dépossédé) du grand-duché de Deux-Ponts-Veldenz, et confident de Bismarck, dont il avait toute l’amitié.
« Une perquisition fut faite à son domicile par le comte de W. accompagné de douze hommes. Le résultat de cette perquisition fut négatif, mais la preuve n’en fut pas moins établie que le grand-duc était en possession des papiers.
« Où les avait-il cachés ? C’est une question que nul au monde, probablement, ne saurait résoudre à l’heure actuelle.
« Je demande vingt-quatre heures pour la résoudre.
« Signé : Arsène LUPIN. »
De fait, vingt-quatre heures après, la note promise parut :
« Les fameuses lettres sont cachées dans le château féodal de Veldenz, chef-lieu du grand-duché de Deux-Ponts, château en partie dévasté au cours du XIXe siècle.
« À quel endroit exact ? Et que sont au juste ces lettres ? Tels sont les deux problèmes que je m’occupe à déchiffrer et dont j’exposerai la solution dans quatre jours.
« Signé : Arsène LUPIN. »
Au jour annoncé on s’arracha le Grand Journal. À la déception de tous, les renseignements promis ne s’y trouvaient pas. Le lendemain même silence, et le surlendemain également.
Qu’était-il donc advenu ?
On le sut par une indiscrétion commise à la Préfecture de police. Le directeur de la Santé avait été averti, paraît-il, que Lupin communiquait avec ses complices grâce aux paquets d’enveloppes qu’il confectionnait. On n’avait rien pu découvrir, mais, à tout hasard, on avait interdit tout travail à l’insupportable détenu.
Ce à quoi l’insupportable détenu avait répliqué :
– Puisque je n’ai plus rien à faire, je vais m’occuper de mon procès. Qu’on prévienne mon avocat, le bâtonnier Quimbel.
C’était vrai. Lupin, qui, jusqu’ici, avait refusé toute conversation avec M. Quimbel, consentait à le recevoir et à préparer sa défense.
– 2 –
Le lendemain même, Me Quimbel, tout joyeux, demandait Lupin au parloir des avocats.
C’était un homme âgé, qui portait des lunettes dont les verres très grossissants lui faisaient des yeux énormes. Il posa son chapeau sur la table, étala sa serviette et adressa tout de suite une série de questions qu’il avait préparées soigneusement.
Lupin y répondit avec une extrême complaisance, se perdant même en une infinité de détails que Me Quimbel notait aussitôt sur des fiches épinglées les unes au-dessus des autres.
– Et alors, reprenait l’avocat, la tête penchée sur le papier, vous dites qu’à cette époque…
– Je dis qu’à cette époque, répliquait Lupin…
Insensiblement, par petits gestes, tout naturels, il s’était accoudé à la table. Il baissa le bras peu à peu, glissa la main sous le chapeau de M. Quimbel, introduisit son doigt à l’intérieur du cuir, et saisit une de ces bandes de papier pliées en long que l’on insère entre le cuir et la doublure quand le chapeau est trop grand.
Il déplia le papier. C’était un message de Doudeville, rédigé en signes convenus.
« Je suis engagé comme valet de chambre chez Me Quimbel. Vous pouvez sans crainte me répondre par la