– Et cette révélation, par la suite, ne fut faite qu’à toi ?
– Oui.
– Et toi, tu ne t’es confié qu’à M. Kesselbach ?
– À lui seul. Mais, par prudence, tout en lui montrant la feuille des signes et des lettres, ainsi que la liste dont je vous ai parlé, j’ai gardé ces deux documents. L’événement a prouvé que j’avais raison.
– Et ces documents, tu les as ?
– Oui.
– Ils sont en sûreté ?
– Absolument.
– À Paris ?
– Non.
– Tant mieux. N’oublie pas que ta vie est en danger, et qu’on te poursuit.
– Je le sais. Au moindre faux pas, je suis perdu.
– Justement. Donc, prends tes précautions, dépiste l’ennemi, va prendre tes papiers, et attends mes instructions. L’affaire est dans le sac. D’ici un mois au plus tard, nous irons visiter ensemble le château de Veldenz.
– Si je suis en prison ?
– Je t’en ferai sortir.
– Est-ce possible ?
– Le lendemain même du jour où j’en sortirai. Non, je me trompe, le soir même… une heure après.
– Vous avez donc un moyen ?
– Depuis dix minutes, oui, et infaillible. Tu n’as rien à me dire ?
– Non.
– Alors, j’ouvre.
Il tira la porte, et, s’inclinant devant M. Borély :
– Monsieur le Directeur, je ne sais comment m’excuser…
Il n’acheva pas. L’irruption du directeur et de trois hommes ne lui en laissa pas le temps. M. Borély était pâle de rage et d’indignation. La vue des deux gardiens étendus le bouleversa.
– Morts ! s’écria-t-il.
– Mais non, mais non, ricana Lupin. Tenez, celui-là bouge. Parle donc, animal.
– Mais l’autre ? reprit M. Borély en se précipitant sur le gardien-chef.
– Endormi seulement, monsieur le Directeur. Il était très fatigué, alors je lui ai accordé quelques instants de repos. J’intercède en sa faveur. Je serais désolé que ce pauvre homme…
– Assez de blagues, dit M. Borély violemment.
Et s’adressant aux gardiens :
– Qu’on le reconduise dans sa cellule… en attendant. Quant à ce visiteur…
Lupin n’en sut pas davantage sur les intentions de M. Borély par rapport au vieux Steinweg. Mais c’était pour lui une question absolument insignifiante. Il emportait dans sa solitude des problèmes d’un intérêt autrement considérable que le sort du vieillard. Il possédait le secret de M. Kesselbach.
3
La grande combinaison de Lupin
– 1 –
À son grand étonnement, le cachot lui fut épargné. M. Borély, en personne, vint lui dire, quelques heures plus tard, qu’il jugeait cette punition inutile.
– Plus qu’inutile, monsieur le Directeur, dangereuse, répliqua Lupin… dangereuse, maladroite et séditieuse.
– Et en quoi ? fit M. Borély, que son pensionnaire inquiétait décidément de plus en plus.
– En ceci, monsieur le Directeur. Vous arrivez à l’instant de la Préfecture de police où vous avez raconté à qui de droit la révolte du détenu Lupin, et où vous avez exhibé le permis de visite accordé au sieur Stripani. Votre excuse était toute simple, puisque, quand le sieur Stripani vous avait présenté le permis, vous aviez eu la précaution de téléphoner à la Préfecture et de manifester votre surprise, et que, à la Préfecture, on vous avait répondu que l’autorisation était parfaitement valable.
– Ah ! Vous savez…
– Je le sais d’autant mieux que c’est un de mes agents qui vous a répondu à la Préfecture. Aussitôt, et sur votre demande, enquête immédiate de qui-de-droit, lequel qui-de-droit découvre que l’autorisation n’est autre chose qu’un faux, établi, on est en train de chercher par qui, et soyez tranquille, on ne découvrira rien…
M. Borély sourit, en manière de protestation.
– Alors, continua Lupin, on interroge mon ami Stripani qui ne fait aucune difficulté pour avouer son vrai nom, Steinweg ! Est-ce possible ! Mais en ce cas le détenu Lupin aurait réussi à introduire quelqu’un dans la prison de la Santé et à converser une heure avec lui ! Quel scandale ! Mieux vaut l’étouffer, n’est-ce pas ? On relâche M. Steinweg, et l’on envoie M. Borély comme ambassadeur auprès du détenu Lupin, avec tous pouvoirs pour acheter son silence. Est-ce vrai, monsieur le Directeur ?
– Absolument vrai ! dit M. Borély, qui prit le parti de plaisanter pour cacher son embarras. On croirait que vous avez le don de double vue. Et alors, vous acceptez nos conditions ?
Lupin éclata de rire.
– C’est-à-dire que je souscris à vos prières ! Oui, monsieur le Directeur, rassurez ces messieurs de la Préfecture. Je me tairai. Après tout, j’ai assez de victoires à mon actif pour vous accorder la faveur de mon silence. Je ne ferai aucune communication à la presse du moins sur ce sujet-là.
C’était se réserver la liberté d’en faire sur d’autres sujets. Toute l’activité de Lupin, en effet, allait converger vers ce double but : correspondre avec ses amis, et, par eux, mener une de ces campagnes de presse où il excellait.
Dès l’instant de son arrestation, d’ailleurs, il avait donné les instructions nécessaires aux deux Doudeville, et il estimait que les préparatifs étaient sur le point d’aboutir.
Tous les jours il s’astreignait consciencieusement à la confection des enveloppes dont on lui apportait chaque matin les matériaux en paquets numérotés, et qu’on remportait chaque soir, pliées et enduites de colle.
Or, la distribution des paquets numérotés s’opérant toujours de la même façon entre les détenus qui avaient choisi ce genre de travail, inévitablement, le paquet distribué à Lupin devait chaque jour porter le même numéro d’ordre.
À l’expérience, le calcul se trouva juste. Il ne restait plus qu’à suborner un des employés de l’entreprise particulière à laquelle étaient confiées la fourniture et l’expédition des enveloppes.
Ce fut facile.
Lupin, sûr de la réussite, attendait donc tranquillement que le signe, convenu entre ses amis et lui, apparût sur la feuille supérieure du paquet.
Le temps, d’ailleurs, s’écoulait rapide. Vers midi, il recevait la visite quotidienne de M. Formerie, et, en présence de Me Quimbel, son avocat, témoin taciturne, Lupin subissait un interrogatoire serré.
C’était sa joie. Ayant fini par convaincre M. Formerie de sa non-participation à l’assassinat du baron Altenheim, il avait avoué au juge d’instruction des forfaits absolument imaginaires, et les enquêtes aussitôt ordonnées par M. Formerie aboutissaient