– Penche-toi… applique ta bouche à ce tube, comme si c’était un porte-voix…
– Ça y est.
– Appelle… Appelle : « Steinweg !… Holà ! Steinweg !… » Inutile de crier… Parle simplement… Eh bien ?
– On ne répond pas.
– Tu es sûr ? écoute… On ne répond pas ?
– Non.
– Tant pis, c’est qu’il est mort… ou hors d’état de répondre. M. Formerie s’exclama :
– En ce cas, tout est perdu.
– Rien n’est perdu, dit Lupin, mais ce sera plus long. Ce tube a deux extrémités, comme tous les tubes ; il s’agit de le suivre jusqu’à la seconde extrémité.
– Mais il faudra démolir toute la maison.
– Mais non… mais non… vous allez voir…
Il s’était mis lui-même à la besogne, entouré par tous les agents qui pensaient, d’ailleurs, beaucoup plus à regarder ce qu’il faisait qu’à le surveiller.
Il passa dans l’autre chambre, et, tout de suite, ainsi qu’il l’avait prévu, il aperçut un tuyau de plomb qui émergeait d’une encoignure et qui montait vers le plafond comme une conduite d’eau.
– Ah ! Ah ! dit Lupin, ça monte !… Pas bête… Généralement on cherche dans les caves…
Le fil était découvert ; il n’y avait qu’à se laisser guider. Ils gagnèrent ainsi le second étage, puis le troisième, puis les mansardes. Et ils virent ainsi que le plafond d’une de ces mansardes était crevé, et que le tuyau passait dans un grenier très bas, lequel était lui-même percé dans sa partie supérieure.
Or, au-dessus, c’était le toit.
Ils plantèrent une échelle et traversèrent une lucarne. Le toit était formé de plaques de tôle.
– Mais vous ne voyez donc pas que la piste est mauvaise, déclara M. Formerie.
Lupin haussa les épaules.
– Pas du tout.
– Cependant, puisque le tuyau aboutit sous les plaques de tôle.
– Cela prouve simplement que, entre ces plaques de tôle et la partie supérieure du grenier, il y a un espace libre où nous trouverons… ce que nous cherchons.
– Impossible !
– Nous allons voir. Que l’on soulève les plaques… Non, pas là… C’est ici que le tuyau doit déboucher.
Trois agents exécutèrent l’ordre. L’un d’eux poussa une exclamation :
– Ah ! Nous y sommes !
On se pencha. Lupin avait raison. Sous les plaques que soutenait un treillis de lattes de bois à demi pourries, un vide existait sur une hauteur d’un mètre tout au plus, à l’endroit le plus élevé.
Le premier agent qui descendit creva le plancher et tomba dans le grenier.
Il fallut continuer sur le toit avec précaution, tout en soulevant la tôle.
Un peu plus loin, il y avait une cheminée. Lupin, qui marchait en tête et qui suivait le travail des agents, s’arrêta et dit :
– Voilà.
Un homme – un cadavre plutôt – gisait, dont ils virent, à la lueur éclatante du jour, la face livide et convulsée de douleur. Des chaînes le liaient à des anneaux de fer engagés dans le corps de la cheminée. Il y avait deux écuelles auprès de lui.
– Il est mort, dit le juge d’instruction.
– Qu’en savez-vous ? riposta Lupin.
Il se laissa glisser, du pied tâta le parquet qui lui sembla plus solide à cet endroit, et s’approcha du cadavre. M. Formerie et le sous-chef imitèrent son exemple.
Après un instant d’examen. Lupin prononça :
– Il respire encore.
– Oui, dit M. Formerie, le cœur bat faiblement, mais il bat. Croyez-vous qu’on puisse le sauver ?
– évidemment ! Puisqu’il n’est pas mort, déclara Lupin avec une belle assurance.
Et il ordonna :
– Du lait, tout de suite ! Du lait additionné d’eau de Vichy. Au galop ! Et je réponds de tout.
Vingt minutes plus tard, le vieux Steinweg ouvrit les yeux. Lupin, qui était agenouillé près de lui, murmura lentement, nettement, de façon à graver ses paroles dans le cerveau du malade :
– écoute, Steinweg, ne révèle à personne le secret de Pierre Leduc. Moi, Arsène Lupin, je te l’achète le prix que tu veux. Laisse-moi faire.
Le juge d’instruction prit Lupin par le bras et, gravement :
– Mme Formerie ?
– Mme Formerie est libre. Elle vous attend avec impatience.
– Comment cela ?
– Voyons, monsieur le juge d’instruction, je savais bien que vous consentiriez à la petite expédition que je vous proposais. Un refus de votre part n’était pas admissible…
– Pourquoi ?
– Mme Formerie est trop jolie.
2
Une page de l’histoire moderne
– 1 –
Lupin lança violemment ses deux poings de droite et de gauche, puis les ramena sur sa poitrine, puis les lança de nouveau, et de nouveau les ramena.
Ce mouvement, qu’il exécuta trente fois de suite, fut remplacé par une flexion du buste en avant et en arrière, laquelle flexion fut suivie d’une élévation alternative des jambes, puis d’un moulinet alternatif des bras.
Cela dura un quart d’heure, le quart d’heure qu’il consacrait chaque matin, pour dérouiller ses muscles, à des exercices de gymnastique suédoise.
Ensuite, il s’installa devant sa table, prit des feuilles de papier blanc qui étaient disposées en paquets numérotés, et, pliant l’une d’elles, il en fit une enveloppe – ouvrage qu’il recommença avec une série de feuilles successives.
C’était la besogne qu’il avait acceptée et à laquelle il s’astreignait tous les jours, les détenus ayant le droit de choisir les travaux qui leur plaisaient : collage d’enveloppes, confection d’éventails en papier, de bourses en métal, etc.
Et de la sorte, tout en occupant ses mains à un exercice machinal, tout en assouplissant ses muscles par des flexions mécaniques, Lupin ne cessait de songer à ses affaires.
Le grondement des verrous, le fracas de la serrure…
– Ah ! C’est vous, excellent geôlier. Est-ce la minute de la toilette suprême, la coupe de cheveux qui précède la grande coupe finale ?
– Non, fit l’homme.
– L’instruction, alors ? La promenade au Palais ? Ça m’étonne, car ce bon M. Formerie m’a prévenu ces jours-ci que, dorénavant, et par prudence, il m’interrogerait dans ma cellule même – ce qui, je l’avoue, contrarie mes plans.
– Une visite pour vous,