Un Misanthrope à la Cour de Louis XIV: Montausier, sa vie et son temps. Amédée Roux. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Amédée Roux
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 4064066080181
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de fait pendant l'hiver, reprit avec acharnement au printemps de 1630, et l'armée de Spinola, qui depuis un an avait succédé à Gonzalve de Cordoue, envahit encore une fois le territoire du Montferrat. Toiras, après avoir débloqué Casal à la tête de quatre mille hommes [12], y était resté comme commandant en chef, et c'était là que par une défense aussi intelligente qu'intrépide, il devait mériter les éloges de Richelieu et la faveur du roi. Cet habile général résolut de tenir la campagne aussi longtemps que possible, afin de ménager la capitale et ses habitants, qui n'avaient que trop souffert pendant le blocus de 1629. Quoique ses troupes fussent de beaucoup inférieures en nombre à celles de l'ennemi, il ne les en posta pas moins hardiment dans la plaine, dans le but de fatiguer l'armée espagnole par des escarmouches continuelles. Mais la situation était difficile, et en dépit de quelques engagements heureux, Toiras voyait se resserrer peu à peu le cercle de fer qui l'entourait. Forcé de se replier devant des forces dont la supériorité numérique était écrasante, et voulant retarder pourtant le plus possible le moment où Casal se verrait bloqué de nouveau, il sema autour de la ville une chaîne de postes fortifiés à la hâte, avec ordre aux détachements qui les occupaient de résister à tout prix. Entre tous ses officiers, le général avait tout d'abord distingué le marquis de Montausier, que sa rare intelligence avait déjà tiré de la foule; il lui confia la défense de Rossignano, petite place délabrée qui couvrait la capitale, et dont Toiras connaissait si bien le misérable état, qu'il crut devoir lui dire que d'un autre il n'attendrait que trois jours de défense, mais que de lui il en attendait le double, surtout en le voyant secondé par un frère qui montrait tant d'envie de lui ressembler. Les deux intrépides enfants ne trompèrent pas l'attente de leur chef: entourés immédiatement par la puissante armée du marquis de Spinola, mal abrités par des remparts à demi croulants, qu'il fallait réparer sous le feu de l'ennemi, ils résistèrent victorieusement d'abord à de furieuses attaques, et ce ne fut qu'au bout de quatorze jours, après que les Espagnols eurent tiré quinze cents coups de canon et perdu cinq cents hommes [13], que le marquis de Montausier consentit enfin à parlementer. L'ennemi, frappé de sa bravoure et pressé d'emporter ce dernier obstacle, accorda aux assiégés une capitulation des plus honorables [14]. Les Français quittèrent Rossignano avec armes et bagages, et les deux frères se replièrent sur Casal, où ils reçurent de leur général et de leurs compagnons d'armes un triomphant accueil. L'intrépidité dont ils venaient de donner un si brillant témoignage ne se démentit pas pendant toute la durée d'une campagne qui fut longue et meurtrière. L'acharnement des Espagnols était extrême: le marquis de Spinola disait tout haut qu'il fallait nettoyer l'Italie des Français, et ses soldats n'accordaient point de quartier. Cette conduite barbare ne faisait qu'animer davantage l'ardeur des assiégés, qui, dans des sorties impétueuses renouvelées presque chaque jour, s'efforçaient d'entraver et de détruire les travaux d'investissement. Dans un de ces combats où le marquis de Montausier chargeait vaillamment à la tête des siens, il fut grièvement blessé; et peu de jours après, son jeune frère, brisé par des fatigues au-dessus de ses forces, fut saisi par une fièvre maligne du caractère le plus alarmant, et qui le mit aux portes du tombeau. Sa vigoureuse constitution l'emporta pourtant, et il surmonta son mal en dépit des nombreuses imprudences que lui faisait commettre sans cesse une ardeur de vingt ans. A peine, en effet, était-il hors du lit, que, tout faible encore, il voulut reprendre un service qui, par suite des progrès de l'ennemi, devenait chaque jour plus écrasant. La nombreuse artillerie espagnole faisait d'effroyables ravages dans les vieilles fortifications de Casal, et Toiras, qui connaissait leur peu de solidité, sentit promptement la nécessité d'élever de nouveaux ouvrages.—Tout le monde mit la main à l'œuvre: officiers et soldats maniaient également la truelle, et le troisième fils du duc de Mantoue, le duc de Mayenne, prit lui-même une part active à ces travaux pénibles, mais indispensables. Le marquis de Salles, dont la convalescence était fort lente, grâce aux aliments détestables dont il était obligé de se contenter dans une ville à demi affamée, parut pourtant au premier rang de ces maçons improvisés, montrant, comme disait Bossuet à soixante ans de là, «qu'une âme guerrière est toujours maîtresse du corps qu'elle anime.» Sa robuste constitution suffit à tout, et ces rudes épreuves ne firent que l'endurcir, au point que dans les campagnes suivantes, toute incommodité semblait lui être devenue indifférente; il bravait également le froid, la chaleur, la faim, la soif, la fatigue, et s'il ne devint jamais un grand capitaine, on peut dire du moins que pendant toute sa jeunesse il fut le modèle accompli du soldat. Tant de bravoure, de constance et de sublime résignation reçurent enfin leur récompense, et la paix préparée par l'habile Mazarin, qui fit là ses glorieux débuts diplomatiques, vint mettre un terme à cette guerre odieuse et sanglante, si tristement signalée par la prise de Mantoue, qui depuis le sac barbare qu'en firent les hordes sauvages de l'empire, ne retrouva plus son ancienne prospérité [15]. La ville de Casal étant déjà aux mains des Espagnols, la citadelle fut évacuée par les Français au mois de juin 1631; Toiras en sortit maréchal, Montausier colonel, et le marquis de Salles qui, par suite de son extrême jeunesse restait encore dans un grade subalterne, emportait du moins, en quittant l'Italie, la réputation d'intrépide soldat, qu'il devait soutenir et accroître par de nouveaux exploits. Rentrés en France, les deux frères se rendirent directement au château de Montausier, où la marquise pressa avec orgueil sur son sein maternel ces nobles enfants qu'elle avait failli perdre tant de fois, et qui lui revenaient couverts d'une gloire dont l'éclat semblait rejaillir sur elle. La fin de la belle saison s'écoula au sein des calmes douceurs de la vie de province, dans la société de quelques personnes distinguées, parmi lesquelles brillait le jeune Balzac, dont le renom littéraire était déjà bien établi, et qui cette année même avait publié le livre du Prince. Parfois même on rencontrait à Montausier l'ancien favori de Henri III, le vieux duc d'Épernon, gouverneur de Guyenne, qui d'ordinaire se faisait accompagner de son secrétaire, l'abbé Girard, lequel plus tard devint son biographe.

      Aux approches de l'hiver, MM. de Montausier se rendirent à Paris. Le marquis de Salles allait à la cour avec répugnance; comme bien d'autres protestants, il se sentait gêné, sinon humilié, en présence du grand ministre qui venait de dompter la Rochelle, et qui, s'il respectait en apparence la religion réformée, n'était plus du moins dans la nécessité de caresser ou de ménager un parti politique abattu à ses pieds, et trop affaibli désormais pour aspirer à former comme autrefois un État dans l'État. Quant au roi, son aversion pour tout ce qui n'était pas orthodoxe était bien connue, et ce n'était pas notre jeune puritain qui, pour des avantages temporels, eût jamais consenti à une capitulation de conscience. Il se sentait mal à l'aise d'ailleurs au sein de l'atmosphère empestée d'une cour où il voyait le mensonge et la bassesse servir de marchepied à tant de personnages méprisables ou médiocres; et ce n'était que le plus rarement possible, et dans des circonstances où son absence eût pu être remarquée, qu'il se rendait au Louvre ou plutôt au Palais-Cardinal, où affluait alors la foule empressée des ambitieux et des intrigants. Ce fut avec bien du plaisir, en revanche, qu'il retrouva à Paris les relations littéraires qu'à son grand chagrin il avait dû interrompre pendant la campagne de Montferrat; son frère aimait aussi les gens de lettres, mais là comme partout se trahissait la différence des caractères: tandis que l'aimable marquis de Montausier fréquentait surtout Voiture et son brillant entourage, le marquis de Salles, qui ne goûta jamais beaucoup l'agréable épistolier, vivait dans l'intimité de Chapelain et de l'honnête Conrart, que sa simplicité, sa bonhomie et son attachement au calvinisme lui rendaient également cher. C'est à l'hiver de 1631 à 1632 [16] que se rapportent les premières relations des deux Montausier avec l'hôtel de Rambouillet, qui était alors le point de mire de tout ce que Paris comptait de personnes spirituelles et de littérateurs en renom, qu'on voyait s'empresser autour de la célèbre Julie, l'astre de sa famille. Médiocrement belle, mais pleine d'esprit et de distinction, cette noble fille venait encore de relever l'éclat de toutes ces qualités par un trait de dévouement héroïque [17]. C'était une personne que l'admiration un peu excessive de ses contemporains avait élevée à une place hors ligne, à un degré intermédiaire entre l'humanité et la divinité: le brillant officier de Casal ne put la voir sans être ému, et l'accueil distingué qu'il recevait à l'hôtel de Rambouillet lui donna à penser qu'il pourrait peut-être un jour obtenir la main de celle qui en était le plus bel ornement. A la première visite qu'il lui fit se rattache une curieuse anecdote de Tallemant.