Un Misanthrope à la Cour de Louis XIV: Montausier, sa vie et son temps. Amédée Roux. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Amédée Roux
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 4064066080181
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en dehors de ceux qui lui étaient offerts. En 1692, il ne pouvait évidemment puiser à aucune de ces sources abondantes qui aujourd'hui sont à la disposition de tous: les Mémoires de Mademoiselle, ceux de Saint-Simon et les précieuses Historiettes de Tallemant des Réaux ne furent publiés que beaucoup plus tard, et le cadre de son récit lui eût sans doute interdit de les mettre à contribution s'il avait pu les connaître. Il faut prendre son livre pour ce qu'il est en réalité. En dépit de dénégations qui en 1729 pouvaient encore paraître spécieuses, mais qui en 1860 ne sauraient faire illusion à personne, la vie du duc de Montausier n'est qu'un long éloge entremêlé çà et là d'indispensables aveux, guère moins inexact que les mémoires de Mme d'Uzès pour tout ce qui concerne l'histoire générale et la vie publique de l'illustre Misanthrope, mais qui sur sa vie privée, son éducation et ses derniers moments, abonde en détails intéressants que l'on chercherait vainement ailleurs. Ainsi qu'on pourra s'en apercevoir en lisant cette biographie, j'ai puisé largement dans l'ouvrage de mon prédécesseur de sainte mémoire, et chaque fois que j'ai pu le faire sans m'écarter de l'exactitude historique, je me suis fait un vrai plaisir de reproduire des fragments restés agréables malgré leur longueur, et dont la forme naïve ne rappelle en rien le style jésuite si antipathique à Mme de Sévigné. En plus d'un point malheureusement, j'ai dû m'éloigner d'un guide infidèle par trop de charité, et tenter seul la solution de certaines questions graves, que le Père Petit écarte souvent au moyen de longues réticences ou dont il atténue l'importance par d'adroits artifices de langage. Il m'a fallu en outre rassembler des faits en assez grand nombre pour tenir lieu des considérations édifiantes, mais un peu banales qui occupent la moitié de l'ancienne Vie de Montausier, et devant lesquelles reculeraient certainement les sceptiques lecteurs du XIXe siècle.

      Recherches et rectifications m'ont été facilitées par le concours de personnes distinguées, que je prie d'en recevoir ici mes remercîments. Leurs conseils et leurs encouragements m'ont guidé et soutenu dans l'accomplissement d'une tâche peut-être au-dessus de mes forces, mais où à défaut de talent, j'ai apporté la consciencieuse ardeur que réclamait une noble cause, celle d'un homme illustre dont la mémoire a été en butte à des calomnies séculaires, et attend encore cet arrêt équitable que la postérité ne refuse jamais à ceux qui ont honoré leur temps et leur pays.

      Amédée Roux.

      1

      MONTAUSIER.

       SA VIE ET SON TEMPS.

       1607-1635.

       Table des matières

      La maison de Sainte-Maure.—Premières années du marquis de Montausier et du marquis de Salles.—L'école de Sedan.—Montausier part pour l'Italie.—Son frère le rejoint à Casal.—Campagne de 1631.—Relations littéraires du marquis de Salles.—L'hôtel de Rambouillet.—Le marquis de Salles en Lorraine.—Montausier et Mme Aubry.—Le marquis de Salles part pour l'Allemagne.—Guerre de la Valteline.—Mort du marquis de Montausier.

      La maison de Sainte-Maure, ainsi appelée de la ville de Sainte-Maure en Touraine, et qui s'est conservée jusqu'à la fin du dernier siècle, était, sans contredit, l'une des plus illustres et des plus anciennes du royaume; car sa noblesse remontait, par titres authentiques, aux temps des premiers Capétiens, et l'on avait vu l'éclat de ce nom s'augmenter encore par de brillantes alliances avec les familles de Luxembourg, de Polignac, de Rochechouart et d'Humières. Le marquisat de Montausier échut aux Sainte-Maure en 1325, par suite du mariage de l'héritière de ce fief avec Guy de Sainte-Maure, chef de la branche qui s'éteignit dans la personne de Charles de Sainte-Maure, duc de Montausier, dont je vais retracer l'histoire. Il naquit le 6 octobre 1610, et fut le second fils de Léon de Sainte-Maure, dont la femme, Marguerite de Chateaubriand, était issue de l'une des meilleures familles de Bretagne. Le marquis de Montausier mourut dans la force de l'âge, laissant, outre ses deux fils, une fille nommée Catherine, qui, mariée d'abord au marquis de Lénoncourt, épousa en secondes noces le marquis de Laurières, de la maison de Pompadour, dont son fils devint plus tard le chef.

      Restée veuve à vingt-cinq ans et dans tout l'éclat de sa beauté, la marquise de Montausier repoussa les honorables alliances qui s'offraient à elle de tous côtés, et se consacra tout entière à l'éducation de ses enfants, mêlant à ses soins l'austérité un peu excessive d'une sectaire. Femme d'un calviniste, Marguérite de Chateaubriand avait pourtant été élevée dans la religion catholique, et ce ne fut que postérieurement à son mariage qu'elle changea de religion sous l'influence de son beau-frère, le comte de Brassac [5], qui s'était constitué le despote de sa maison et de toute la Saintonge. Lorsque plus tard ce personnage embrassa le catholicisme ainsi que la comtesse sa femme, il ne put réussir à défaire son propre ouvrage, et Mme de Montausier resta opiniâtrément attachée à sa nouvelle foi. La noble veuve avait d'ailleurs toutes les qualités qui constituent la femme forte: une âme élevée, une fermeté, un courage au-dessus de son sexe, et une vertu solide et constante qui ne se démentit jamais au milieu des séductions et des périls auxquels l'exposait le contact d'une société frivole et corrompue. Généreux, prodigue et mauvais administrateur, son mari lui avait laissé des affaires assez embarrassées qu'elle entreprit de rétablir au prix de mille sacrifices. Écartant avec un soin jaloux toutes les distractions qui eussent pu la détourner de ses devoirs de veuve et de mère, elle aborda avec une sublime abnégation la double et écrasante tâche qu'elle s'était imposée: l'éducation de ses enfants et la reconstitution d'une fortune en désordre. On la vit s'ensevelir vivante au fond d'une de ses terres, congédier la plupart de ses domestiques, vendre ses pierreries et jusqu'à ses vêtements de luxe, et pour payer plus promptement les dettes de son mari se réduire à ne plus faire servir sur sa table que les mets les plus communs; elle alla même plus loin, et, mettant de côté tout instinct de vanité, elle se contentait d'habitude d'une robe de laine ouvrage de ses propres mains.

      A peine installée dans sa nouvelle résidence, elle s'occupa sérieusement de ses fils, qui l'un et l'autre, devaient être l'honneur de leur temps et de leur pays. Ces deux frères furent unis dès le berceau par une amitié si tendre et si profonde, que leurs existences semblent inséparables et confondues jusqu'au moment où un événement cruel vint rompre ces liens si doux et si touchants. Ils avaient pourtant les caractères les plus différents, pour ne pas dire les plus opposés: l'aîné, Hector de Montausier [6], était aimable, bienveillant, affable pour tous avec une légère tendance à la paresse, lorsqu'il n'était pas stimulé par quelque grande passion. Le cadet, dont je retrace ici la vie et qui porta d'abord le titre de marquis de Salles, avait reçu en naissant un caractère entier, rude, sauvage; c'était en un mot un de ces êtres qui sont le désespoir de leur famille s'ils n'en deviennent l'illustration et l'orgueil. Les soins assidus, les innocents artifices mis en œuvre par Mme de Montausier, eurent quelque peine à entamer cette nature rebelle et ombrageuse qui, incapable de s'assujettir à une discipline exacte et abusant de l'indulgence maternelle, fit bien vite oublier à la marquise un système qui n'était pas dans ses habitudes un peu sèches et roides. Mais les mesures de rigueur auxquelles elle dut recourir ne firent qu'aigrir un caractère mal disposé. Peut-être aussi et à son insu, la marquise laissait-elle percer une prédilection, trop bien justifiée du reste, pour son fils aîné, qui, grâce à sa vive intelligence, répondait à ses leçons par de prompts et faciles succès. Déjà rebutée par des efforts infructueux, elle céda bientôt aux instances de la comtesse de Brassac, qui n'ayant point d'enfants avait concentré toute son affection sur le jeune marquis de Salles, qu'elle fut tout heureuse d'emmener chez elle pour l'élever à sa guise. A la faiblesse près, celui des défauts dont on se corrige le plus difficilement, nulle femme n'eût été plus que la comtesse en état de diriger l'éducation d'un enfant que sa naissance prédestinait au service du roi. Douce et modeste, elle possédait une instruction un peu confuse mais fort étendue; car dès son extrême jeunesse elle avait appris le latin comme en se jouant, assidue qu'elle était aux leçons qu'on donnait à ses frères, et n'était étrangère ni aux mathématiques, ni même