Luke hocha la tête. « Oui. J’imagine. »
Le visage de Li se durcit. « Je suis un touriste. Il y a erreur sur la personne. »
« Si tu es un touriste, » dit Ed, « peut-être que tu pourrais nous donner le nom et les coordonnées de ta famille, pour qu’on puisse leur dire où tu es. Et leur dire que tu vas bien. »
Li secoua la tête. « Je veux parler à l’ambassade de Chine. »
« Nos supérieurs l’ont déjà fait pour toi, » dit Luke. Ce n’était pas vrai, enfin… pas qu’il sache. Il allait délibérément lui mentir mais il savait aussi que son histoire allait tenir la route.
« C’était une conversation officieuse, comme tu peux l’imaginer, vu la gravité de la situation, » dit-il. « Le gouvernement chinois dit que ton identité n’est pas réelle. Il n’y a aucun cursus scolaire, ni aucun parcours professionnel à ce nom. Aucun contexte familial et aucune ville d’origine. Ils ont reçu un scan de ton passeport et ils ont affirmé qu’il s’agissait d’un faux de très bonne qualité. »
Li regarda droit devant lui. Il resta silencieux.
Luke lui laissa un moment pour digérer l’information. Il avait déjà vu des suspects craquer au moment où ils se rendaient compte que leurs supérieurs les avaient lâchés. Mais craquer n’était pas vraiment le terme correct. Parfois, quand ils se retrouvaient sans pays, ils changeaient tout simplement de côté.
« Li, tu m’entends ? Ils ne vont pas te protéger. Tu ne vas pas t’en sortir. Tu n’as pas pris ta pilule quand tu devais le faire, et maintenant tu te retrouves ici. Il n’y a aucune porte de sortie. Pour ton pays, tu n’existes pas et tu n’as jamais existé. L’endroit où tu te trouves actuellement n’existe pas non plus. Tu pourrais finir dans un baril au fond de l’océan ou dans un ravin en pleine nature… Personne ne s’en souciera. Personne n’en saura même jamais rien. »
L’homme continua à rester silencieux. Il se contentait de regarder droit devant lui.
« Li, qu’est-ce que tu sais au sujet du barrage de Black Rock ? Et sur la manière dont s’ouvrent les écluses ? »
« Je ne sais rien. »
Luke attendit un instant, avant de continuer. « Eh bien, je vais te dire ce que je sais. Aux dernières nouvelles, plus de mille personnes sont mortes. Tu sais combien ça me met en colère ? Ça me donne envie de venger leur mort. J’ai envie de trouver un bouc émissaire et de le lui faire payer. Tu es le bouc émissaire idéal, non ? Un homme dont personne n’en a rien à foutre, dont personne se rappelle et qui ne manquera à personne. Et je vais te dire encore autre chose. Je sais que tu es entraîné pour résister aux interrogatoires. Et ça me rend encore plus heureux. Ça veut dire que je peux prendre mon temps. On peut rester ici pendant des jours, ou même pendant des semaines. Nos hommes travaillent sur le problème de ce barrage. Ils découvriront ce qui s’est passé. On n’a pas besoin des miettes d’informations que tu pourrais avoir. Je ne veux même pas savoir, pour être tout à fait franc. J’ai juste envie de te faire mal. Et plus tu restes là silencieux, plus j’ai envie de te frapper. »
Luke s’était agenouillé devant Li. Il n’était plus qu’à quelques centimètres de son visage et il le regardait droit dans les yeux. « On va apprendre à bien se connaître tous les deux, tu es d’accord, Li ? Je finirai par tout savoir à ton sujet. »
Luke regarda Swann, qui était debout dans un coin, près de la fenêtre à barreaux. Il n’avait pas dit un mot depuis qu’ils étaient entrés. Il regardait l’enceinte en béton et les collines luxuriantes des alentours. Swann était un analyste, un type qui gérait des données. Et il n’avait sûrement jamais pensé à la manière dont ces données étaient parfois obtenues. Les menaces de mort n’étaient que le début.
« Li, on te parle, » dit Ed.
Li parvint à sourire légèrement, mais sans y mettre une pointe d’humour. « S’il vous plaît, » dit-il. « Appelez-moi Johnny. »
* * *
Une heure s’écoula. Luke et Ed s’étaient relayés pour interroger Li, mais sans succès. Au contraire, Li commençait à être de plus en plus confiant. Il avait fini par croire que quelques baffes d’Ed seraient le pire qui pourrait lui arriver.
Luke regarda à nouveau Swann.
« OK, Swann, » dit-il. « Je pense que c’est un bon moment pour aller faire ta promenade. »
Quelques minutes plus tôt, Luke avait ouvert l’armoire avec la clé que Pete Winn lui avait donnée. L’armoire ressemblait plus à un débarras qu’à autre chose. À l’intérieur, il y avait une table pliante qui ressemblait un peu à une planche à repasser, mais en plus large, en plus bas et en beaucoup plus résistant. Elle mesurait deux mètres de long sur un mètre vingt de large.
Une fois dépliée, la table présentait une certaine inclinaison. À l’extrémité la plus haute, il y avait des menottes pour les chevilles. Au centre, il y avait des lanières en cuir pour attacher les poignets et pour entourer la taille. Et à l’autre extrémité, il y avait un anneau en métal pour maintenir la tête immobile.
C’était une plateforme pour infliger des tortures simulant la noyade.
Quand Ed et Luke sortirent la table, Li commença à être visiblement nerveux. Il sut tout de suite de quoi il s’agissait. Bien entendu… c’était un agent des renseignements, un agent sur le terrain et il devait avoir déjà vu cet ustensile au cours de sa formation. Qu’on soit Américain ou Chinois, c’était pareil. Luke avait une fois assisté à une démonstration de cette technique. Un agent de la CIA, qui avait rejoint l’agence après avoir fait partie des Navy SEAL et qui s’était retrouvé à de nombreuses reprises dans des pays en guerre, s’était porté volontaire pour faire le cobaye.
Luke n’a jamais su comment ils avaient pu le convaincre. Peut-être qu’il avait reçu un bonus. En tout cas, ça devait être un très gros bonus. Il avait eu l’air détendu avant la démonstration. Il rigolait et blaguait avec ses futurs tortionnaires. Une fois que la procédure a commencé, il a tout de suite changé. Il a tenu le coup vingt-quatre secondes avant d’utiliser le mot de passe pour mettre fin à la torture. Ils l’avaient chronométré.
« Vous savez sûrement que c’est contraire aux conventions de Genève, » dit Li, d’une voix légèrement tremblante. « Ça va à l’encontre… »
« La dernière fois que j’ai vérifié, on n’était pas à Genève, » dit Luke. « En fait, nous ne sommes nulle part. Comme je te l’ai dit, cette installation n’existe pas, ni aucun type du nom de Li Quiangguo. »
Luke prit les autres accessoires qu’il avait sortis de l’armoire. Il y avait deux grands arrosoirs, qui ressemblaient à ceux qu’utilisaient les femmes âgées pour arroser leur jardin. Il y avait également des cadenas pour les menottes et les lanières. Et pour terminer, il y avait quelques serviettes épaisses et un rouleau de cellophane. Si les serviettes ne fonctionnaient pas, ils pourraient toujours passer à la cellophane. Même si en général, la CIA ne prenait même pas la peine de passer par l’étape des serviettes.
« Eh bien, » dit Ed. « Je n’ai plus fait ça depuis l’Afghanistan. Ça fait au moins cinq ans. »
« Alors ça fait moins longtemps que moi, » dit Luke. « Je te laisse l’honneur de commencer. Comment ça s’est passé, la dernière fois ? »
Ed haussa les épaules. « C’était plutôt effrayant. Il y en a deux qui sont morts. Ça n’a rien à voir avec les autres méthodes d’interrogatoire. Tu peux électrocuter des gens toute la journée… Avec une intensité adéquate de courant, ça leur fait mal mais ça ne les tue pas. En revanche, avec ça, les gens y restent. Ils se noient. Ils finissent par avoir des lésions cérébrales ou un arrêt cardiaque. »
«