Voyage en Égypte et en Syrie - Tome 1. Constantin-François Volney. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Constantin-François Volney
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Книги о Путешествиях
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et l'ignorance actuelle des Coptes, issues de l'alliance du génie profond des Égyptiens et de l'esprit brillant des Grecs; de penser que cette race d'hommes noirs, aujourd'hui notre esclave et l'objet de nos mépris, est celle-là même à laquelle nous devons nos arts, nos sciences, et jusqu'à l'usage de la parole; d'imaginer enfin que c'est au milieu des peuples qui se disent les plus amis de la liberté et de l'humanité, que l'on a sanctionné le plus barbare des esclavages, et mis en problème si les hommes noirs ont une intelligence de l'espèce des blancs!

      Le langage est un autre monument dont les indications ne sont pas moins justes ni moins instructives. Celui dont usaient ci-devant les Coptes, s'accorde à constater les faits que j'établis. D'un côté, la forme de leurs lettres et la majeure partie de leurs mots démontrent que la nation grecque, dans un séjour de mille ans, a imprimé fortement son empreinte sur l'Égypte56; mais d'autre part, l'alphabet copte a cinq lettres, et le dictionnaire beaucoup de mots qui sont comme les débris et les restes de l'ancien égyptien. Ces mots, examinés avec critique, ont une analogie sensible avec les idiomes des anciens peuples adjacents, tels que les Arabes, les Éthiopiens, les Syriens et même les riverains de l'Euphrate; et l'on peut établir comme un fait certain que toutes ces langues ne furent que des dialectes dérivés d'un fonds commun. Depuis plus de trois siècles, celui des Coptes est tombé en désuétude; les Arabes conquérants, en dédaignant l'idiome des peuples vaincus, leur ont imposé avec leur joug, l'obligation d'apprendre leur langue. Cette obligation même devint une loi, lorsque, sur la fin du premier siècle de l'hedjire, le kalife Ouâled Ier prohiba la langue grecque dans tout son empire: de ce moment l'arabe prit un ascendant universel; et les autres langues, reléguées dans les livres, ne subsistèrent plus que pour les savants qui les négligèrent. Tel a été le sort du copte dans les livres de dévotion et d'église, les seuls connus où il existe: les prêtres et les moines ne l'entendent plus; et en Égypte comme en Syrie, musulman ou chrétien, tout parle arabe et n'entend que cette langue.

      Il se présente à ce sujet des observations qui, dans la géographie et l'histoire, ne sont pas sans importance. Les voyageurs, en traitant des pays qu'ils ont vus, sont dans l'usage et souvent dans l'obligation de citer des mots de la langue qu'on y parle. C'est une obligation, par exemple, s'il s'agit de noms propres de peuples, d'hommes, de villes, de rivières et d'autres objets particuliers au pays; mais de là est survenu l'abus, que transportant les mots d'une langue à l'autre, on les a défigurés à les rendre méconnaissables. Ceci est arrivé surtout aux pays dont je traite; et il en est résulté, dans les livres d'histoire et de géographie, un chaos incroyable. Un Arabe qui saurait le français, ne reconnaîtrait pas dans nos cartes dix mots de sa langue, et nous-mêmes lorsque nous l'avons apprise, nous éprouvons le même inconvénient. Il a plusieurs causes.

      1º L'ignorance où sont la plupart des voyageurs de la langue arabe, et surtout de sa prononciation; et cette ignorance a été cause que leur oreille, novice à des sons étrangers, en a fait une comparaison vicieuse aux sons de leur propre langue.

      2º La nature de plusieurs prononciations qui n'ont point d'analogies dans la langue où on les transporte. Nous l'éprouvons tous les jours dans le th des Anglais et dans le jota des Espagnols: quiconque ne les a pas entendus, ne peut s'en faire une idée; mais c'est bien pis avec les Arabes, dont la langue a trois voyelles et sept à huit consonnes étrangères aux Européens. Comment les peindre pour leur conserver leur nature, et ne les pas confondre avec d'autres qui font des sens différents57?

      3º Enfin, une troisième cause de désordre est la conduite des écrivains dans la rédaction des livres de cartes. En empruntant leurs connaissances de tous les Européens qui ont voyagé en Orient, ils ont adopté l'orthographe des noms propres, telle qu'ils l'ont trouvée dans chacun; mais ils n'ont pas fait attention que les diverses nations de l'Europe, en usant également des lettres romaines, leur donnent des valeurs différentes. Par exemple, l'u des Italiens n'est pas notre u, mais ou; leur gh, n'est pas , mais gué; leur c, n'est pas , mais tché: de là une diversité apparente de mots qui sont cependant les mêmes. C'est ainsi que celui qu'on doit écrire en français, chaik ou chêk, est écrit tour à tour schek58, shekh, schech, sciek, selon qu'on l'a tiré de l'anglais, de l'allemand ou de l'italien, chez qui ces combinaisons de sh, sch, sc, ne sont que notre che. Les Polonais écriraient szech, et les Espagnols, chej; cette différence de finale, j, ch, et kh, vient de ce que la lettre arabe est le jota espagnol, ch allemand59, qui n'existe point chez les Anglais, les Français et les Italiens. C'est encore par des raisons semblables, que les Anglais écrivent Rooda, l'île que les Italiens écrivent Ruda, et que nous devons prononcer comme les Arabes, Rouda; que Pocoke écrit harammé, pour harâmi, un voleur; que Niebuhr écrit dsjebel, pour djebel, une montagne; que d'Anville, qui a beaucoup usé de mémoires anglais, écrit Shâm pour Châm, la Syrie, wadi pour ouâdi, une vallée, et mille autres exemples.

      Par là, comme je l'ai dit, s'est introduit un désordre d'orthographe qui confond tout; et si l'on n'y remédie, il en résultera pour le moderne, l'inconvénient dont on se plaint pour l'ancien. C'est avec leur ignorance des langues barbares, et avec leur manie d'en plier les sons à leur gré, que les Grecs et les Romains nous ont fait perdre la trace des noms originaux, et nous ont privés d'un moyen précieux de reconnaître l'état ancien dans celui qui subsiste. Notre langue, comme la leur, a cette délicatesse; elle dénature tout, et notre oreille rejette comme barbare tout ce qui lui est inusité. Sans doute il est inutile d'introduire des sons nouveaux; mais il serait à propos de nous rapprocher de ceux que nous traduisons, et de leur assigner, pour représentants, les plus rapprochés des nôtres, en leur ajoutant des signes convenus. Si chaque peuple en faisait autant, la nomenclature deviendrait une, comme ses modèles60; et ce serait un premier pas vers une opération qui devient de jour en jour plus pressante et plus facile, un alphabet général qui puisse convenir à toutes les langues, ou du moins à celles de l'Europe. Dans le cours de cet ouvrage, je citerai le moins qu'il me sera possible de mots arabes; mais lorsque j'y serai obligé, qu'on ne s'étonne pas si je m'éloigne souvent de l'orthographe de la plupart des voyageurs. A en juger par ce qu'ils ont écrit, il ne paraît pas qu'aucun ait saisi les vrais éléments de l'alphabet arabe, ni connu les principes à suivre dans la translation des mots à notre écriture61. Je reviens à mon sujet.

      Une troisième race d'habitants en Égypte est celle des Turks, qui sont les maîtres du pays, ou qui du moins en ont le titre. Dans l'origine, ce nom de Turk n'était point particulier à la nation à qui nous l'appliquons; il désignait en général des peuples répandus à l'orient et même au nord de la mer Caspienne, jusqu'au-delà du lac Aral, dans les vastes contrées qui ont pris d'eux leur dénomination de Tourk-estân62. Ce sont ces mêmes peuples dont les anciens Grecs ont parlé sous le nom de Parthes, de Massagètes, et même de Scythes, auquel nous avons substitué celui de Tartares. Pasteurs et vagabonds comme les Arabes bedouins, ils se montrèrent, dans tous les temps, guerriers farouches et redoutables. Ni Kyrus ni Alexandre ne purent les subjuguer; mais les Arabes furent plus heureux. Environ quatre-vingts ans après Mahomet, ils entrèrent, par ordre du kalife Ouâled I, dans les pays des Turks, et leur firent connaître leur religion et leurs armes. Ils leur imposèrent même des tributs; mais l'anarchie s'étant glissée dans l'empire, les gouverneurs rebelles se servirent d'eux pour résister aux kalifes, et ils furent mêlés dans toutes les affaires. Ils ne tardèrent pas d'y prendre un ascendant qui dérivait de leur genre de vie. En effet, toujours sous des tentes, toujours les armes à la main, ils formaient un peuple guerrier, et une milice rompue à toutes les manœuvres des combats. Ils étaient divisés, comme les Bedouins, en tribus ou camps, appelés dans leur langue ordou, dont nous avons fait horde, pour


<p>56</p>

Voyez le Dict. copte, par Lacroze.

<p>57</p>

Il n'y a pas jusqu'au savant Pocoke qui, expliquant si bien les livres, ne put jamais se passer d'interprète. Récemment, Vonhaven, professeur d'arabe en Danemarck, ne put pas entendre même le salam alai kom (le bonjour), lorsqu'il vint en Égypte; et son compagnon, le jeune Forskal, au bout d'un an, fut plus avancé que lui.

<p>58</p>

Pour faire sentir ces différences à la lecture, il faut appeler les lettres une à une.

<p>59</p>

Pas dans tous les cas, mais après l'o et l'u, comme dans buch, un livre.

<p>60</p>

Lorsque les voyageurs français qui font actuellement le tour du monde seront revenus, on verra la confusion qu'apportera dans leurs récits la variété des orthographes anglaise et française.

<p>61</p>

Le lecteur curieux de ce genre d'étude peut consulter un ouvrage que j'ai publié pour remplir l'objet que j'indique ici. Il est intitulé Simplification des langues orientales, in-8º, et se trouve chez Bossange frères, libraires, rue de Seine, nº 12, à Paris.

<p>62</p>

Estân est un terme persan qui signifie pays, et s'applique en finale aux noms propres; ainsi l'on dit Arab-estân, Frank-estân, etc.