CHAPITRE VI.
1668-1669
La fête donnée à Versailles ajoute à la célébrité de ce lieu.—La description de Versailles, dans le roman de Psyché, de la Fontaine, contribue au succès de cet ouvrage.—Madame de Sévigné lisait tous les écrits de cet auteur.—Elle aimait les divertissements du théâtre.—Elle approuvait Louis XIV d'avoir soutenu le Tartuffe.—Chefs-d'œuvre de Molière, de la Fontaine, de Racine et de Boileau qui parurent à cette époque.—Ce grand mouvement littéraire exerce de l'influence sur le talent de madame de Sévigné.—L'amour maternel suppléait chez elle à l'amour de la gloire.—Louis XIV fait cesser les persécutions contre les jansénistes, et les rappelle de leur exil.—Madame de Sévigné les revoit chez elle et chez la duchesse de Longueville.—Elle lit les Essais de morale de Nicole.—Succès du P. Desmares à Saint-Roch.—Prédiction de madame de Sévigné sur le P. Bourdaloue. Elle se rétracte.—De Bossuet.—Madame de la Fayette fait paraître Zayde;—Huet, son Traité sur l'origine des romans.—Madame de Sévigné ignorait qu'elle participerait à la gloire du grand siècle.—Elle se mettait au-dessous de toutes les femmes auteurs de son temps.—Les lettres qu'elle écrit à Bussy sont au nombre de ses meilleures.—Bussy les recueille, et les insère dans ses Mémoires.—Inscription qu'il met au bas du portrait de madame de Sévigné.—Elle et Bussy se faisaient valoir mutuellement.—Mot de madame de Sévigné à ce sujet.—Jugement que Bayle porte des lettres de madame de Sévigné à Bussy.—Poëme d'Hervé de Montaigu sur le style épistolaire.—Éloge qu'il fait de madame de Sévigné.—Elle a entretenu une correspondance très-active avec le cardinal de Retz.—Retz s'était volontairement retiré à Commercy.—Il s'était réconcilié avec Louis XIV, auquel il rendit d'importants services.—Il va deux fois à Rome, et contribue à la nomination de deux papes.—Madame de Sévigné lui écrit pour lui recommander Corbinelli et une affaire qui intéresse le maréchal d'Albret.—Réponse qu'elle en reçoit.
L'éclat et la pompe de la grande fête qui eut lieu à Versailles, après la paix d'Aix-la-Chapelle, avaient donné beaucoup de célébrité à cette ville nouvelle, à ce château, à ces jardins, à ce parc, magnifiques créations de Louis XIV, presque aussi rapides et aussi étonnantes que ses conquêtes. La Fontaine fit alors paraître son charmant poëme d'Adonis et son gracieux roman de Psyché207. Les descriptions du lieu où l'auteur a placé les interlocuteurs de ce roman nous paraissent avec raison aujourd'hui un hors-d'œuvre; mais alors, au contraire, ces descriptions, où la poésie venait au secours de la prose, contribuèrent beaucoup au succès de l'ouvrage. Versailles était alors si peu connu, et tant de personnes cependant avaient pu récemment admirer ce prodige, tant d'autres n'en avaient rien appris que par des récits vulgaires, que la Fontaine intéressait tous les lecteurs en s'adressant aux souvenirs des uns et à l'imagination des autres. Le sujet de ce volume était encore l'amour, non cet amour sensuel dont l'auteur s'était trop complu à tracer la dangereuse peinture dans ses deux recueils de contes, mais cet amour que l'âme partage et dont il dit que les peines sont plus douces que les plaisirs208. Un an avant l'apparition de ce roman, la Fontaine s'était acquis une gloire plus durable par la publication de son premier recueil de Fables, dédié au jeune Dauphin. Le duc de Montausier avait été nommé gouverneur de ce prince, Bossuet son précepteur, et Huet son sous-précepteur209. La noble conduite de la Fontaine lors de la disgrâce de Fouquet avait accru l'amitié de madame de Sévigné pour ce poëte. Elle faisait ses délices de ses écrits, et nous apprenons par ses lettres qu'elle lui pardonnait les licencieuses productions de sa muse210. Madame de Sévigné ne partageait pas non plus le rigorisme des jansénistes ses amis, qui voulaient proscrire comme irréligieux les divertissements du théâtre. Elle les aimait: une plaisanterie qui lui est échappée211, sur l'abbé Roquette, démontre qu'elle approuvait Louis XIV d'avoir résisté à ceux qui s'opposaient à la représentation du Tartuffe. Elle trouvait bon qu'il eût employé plus de temps pour élever sur la scène française ce chef-d'œuvre de Molière et pour l'y maintenir que pour conquérir la Flandre et la Franche-Comté212.
Malgré l'admiration un peu trop exclusive de madame de Sévigné pour Corneille et l'approbation qu'elle avait donnée, dans sa jeunesse, aux poëtes médiocres qui s'étaient acquis de la réputation, les chefs-d'œuvre dont le théâtre et la presse enrichissaient la littérature durent, à cette époque, être pour elle la source de vives jouissances. C'est pendant les deux années qui précédèrent celles où madame de Sévigné commença à laisser courir journellement sa plume pour correspondre avec sa fille que l'on vit éclore les productions littéraires les plus propres à développer le goût du beau et du naturel. Ce fut dans cet espace de temps qu'on joua pour la première fois les Plaideurs de Racine et sa tragédie de Britannicus