On doit dire que pendant la Fronde la maréchale de Schomberg s'était liée avec la duchesse de Longueville, et que, sans s'engager dans aucun parti, elle avait paru cependant plutôt favorable que contraire à ceux qui étaient opposés à Mazarin; mais son mari était resté neutre. La duchesse de Chevreuse, qui s'était montrée hostile, non-seulement avait obtenu son pardon, mais elle avait reconquis toute la faveur et toute l'influence qu'elle avait eues autrefois auprès d'Anne d'Autriche. Cependant il existait entre la duchesse de Chevreuse et la maréchale de Schomberg toute la distance qui sépare le vice de la vertu; l'honneur, de l'intrigue; la loyauté, de la duplicité.
Le maréchal de Schomberg et sa femme ne firent plus d'autre tentative auprès d'Anne d'Autriche et de Mazarin. Ils se retirèrent dans leur gouvernement de Metz; et, sans jamais donner de marque de mécontentement, ils s'acquirent par leur zèle ardent pour tout ce qui pouvait contribuer au bien public, l'estime et l'affection de tout le monde: par leur conduite ils finirent par obtenir les égards de la reine et de son ministre, et même par se concilier leur bienveillance. Ils se montrèrent tous deux protecteurs des gens de lettres: Scarron et le gazetier Loret étaient au nombre de leurs pensionnaires120. Ils furent les protecteurs de Bossuet, et comme les promoteurs de son génie. Ce grand homme commença par être archidiacre à Metz, où son père résidait121.
Au commencement de l'année 1656, madame de La Flotte, grand'mère de la maréchale de Schomberg, mourut, âgée de quatre-vingt-sept ans; elle était la doyenne des dames d'atour de la reine. De tout temps vénérée par sa piété, elle s'était maintenue dans sa place en restant étrangère à toutes les intrigues, et en y donnant l'exemple de toutes les vertus. Personne à la cour ne s'abstint d'aller jeter de l'eau bénite sur sa tombe, et le roi s'y rendit comme les autres. Loret rapporte que le jeune monarque voulut voir le visage de cette défunte octogénaire, et en le contemplant il dit: «Voilà le destin qui m'attend; et ma couronne ne m'en exemptera pas122.»
Cet événement força la maréchale de Schomberg et son mari de se rendre à Paris, où depuis longtemps ils n'avaient point paru. Le jour de leur arrivée fut connu de plusieurs personnes, qui allèrent à leur rencontre. Le nombre en fut si grand, que la file des carrosses s'étendait, si l'on en croit Loret, depuis les remparts de la ville jusqu'au Bourget123.
Madame de Sévigné, quoique liée intimement avec la maréchale de Schomberg, ne fut pas prévenue du jour de son arrivée à Paris, et ne fit point partie du nombreux cortége qui l'accompagna à son entrée. La contrariété qu'elle en ressentit et la touchante expression de ses regrets firent assez de sensation dans le beau monde pour que Loret en parlât dans sa Gazette.
Même trois jours après, je sus
Que madame de Sévigny,
Veuve de mérite infini,
Et dont le teint encor mieux brille
Que de la plus aimable fille,
N'ayant su le temps ni le jour
Du susdit glorieux retour
(Ignoré dans chaque paroisse),
Faillit s'en pâmer d'angoisse.
Son chagrin ne peut s'égaler;
Et quand on la veut consoler
Avec des fleurs de rhétorique,
Sa divine bouche s'explique
(Comme elle a l'esprit excellent)
D'un air si noble et si galant,
Et qui jamais ne l'abandonne,
Que de bon cœur je lui pardonne124.
Le maréchal de Schomberg ne jouit pas longtemps de cette manifestation de l'opinion publique, si glorieuse pour lui et pour sa femme, ni de l'accueil flatteur que lui firent le roi et la reine mère. Il mourut deux mois après son arrivée à Paris; son corps fut porté au château de Nanteuil, dans le lieu de sépulture de ses ancêtres, où sa veuve, qui lui survécut longtemps, lui fit ériger un monument, près duquel Bossuet ne manquait jamais d'aller prier toutes les fois qu'il passait à Nanteuil125.
CHAPITRE VII.
1656
Madame de Sévigné passe toute cette année à Paris.—Elle assiste aux fêtes nombreuses qui s'y donnent.—Elle a des occasions de s'entretenir familièrement avec le jeune roi.—Les partis se rapprochent.—Gaston s'arrange avec la cour.—On n'était pas satisfait du gouvernement.—Mort du grand prieur Hugues de Rabutin.—Cette mort n'interrompt pas les plaisirs de madame de Sévigné.—Bussy écrit à sa cousine les événemens de la campagne.—Condé délivre Valenciennes.—Turenne prend la Capelle.—Départ du roi pour l'armée, le 17 mai.—Bussy va en Bourgogne, et revient passer l'hiver à Paris.—Les plaisirs n'avaient pas cessé pendant l'été.—Plusieurs occasions y donnèrent lieu.—Premier voyage de la reine Christine en France.—Admiration qu'elle excite.—Réflexion sur ceux qui se démettent du trône.—Christine est reçue en France avec de grands honneurs.—Madame de Sévigné est du nombre des femmes qu'elle goûte le plus.—C'est avec la France que Christine avait ses principales correspondances.—La France avait alors la supériorité en tout, et attirait l'attention de l'Europe entière.—Un mouvement nouveau s'y faisait remarquer dans les esprits.—Entretien à ce sujet, rapporté par Saint-Évremond.—Portrait que Saint-Évremond trace des précieuses de cette époque, bien avant Molière.—Discussions produites par les jansénistes.—Courte exposition de ces discussions.—Publications des Provinciales. Jugement sur cet ouvrage.—Effet qu'il produit.
Cette circonstance de l'arrivée du maréchal et de madame la maréchale de Schomberg et les lettres de Bussy démontrent que madame de Sévigné continua de résider à Paris pendant le cours de cette année 1656126. Elle fut donc témoin de toutes les fêles qui se donnèrent à la cour et chez les grands; et peut-être figura-t-elle dans les ballets et les mascarades, pour lesquels le jeune roi montrait de jour en jour plus d'inclination, et auxquels la reine et Mazarin se prêtaient. Le roi aimait aussi les courses de chevaux, les jeux de bagues, les carrousels, et il les renouvela cette année. Pendant le carrousel, il se plut à courir par la ville avec son frère sous divers déguisements, et à s'affranchir de toute étiquette127. Madame de Sévigné dut avoir plus d'une occasion de s'entretenir avec lui, non-seulement au milieu de ces grands divertissements, mais chez la princesse de Conti, chez la duchesse de Mercœur, et chez d'autres jeunes femmes d'un moindre rang, auxquelles elle se complaisait à faire des visites fréquentes et familières; et enfin chez le surintendant Fouquet, qui lui donnait, ainsi qu'au roi, à la reine et à toute la cour, de somptueux repas dans son château de Saint-Mandé128. Malgré tous ces moyens de dissipation, le théâtre et les concerts publics n'étaient pas moins fréquentés. La médiocre tragédie de Thomas Corneille (Timocrate) eut un succès qui rappela celui des chefs-d'œuvre de son frère, et les représentations en furent suivies tout l'hiver avec un empressement qui n'avait pas encore été égalé129. Le roi vint exprès au Théâtre du Marais, pour voir jouer cette pièce.
Les ressentiments que les divisions de partis avaient