Le Chevalier de Maison-Rouge. Dumas Alexandre. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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es-tu? demanda une voix encore animée par la lutte.

      – Je suis un homme que l'on assassine, répondit Maurice.

      – Il y a plus, tu es un homme mort, si tu parles haut, que tu appelles ou que tu cries.

      – Si j'eusse dû crier, je n'eusse point attendu jusqu'à présent.

      – Es-tu prêt à répondre à mes questions?

      – Questionnez d'abord, je verrai après si je dois répondre.

      – Qui t'envoie ici?

      – Personne.

      – Tu y viens donc de ton propre mouvement?

      – Oui.

      – Tu mens.

      Maurice fit un mouvement terrible pour dégager ses mains; la chose était impossible.

      – Je ne mens jamais! dit-il.

      – En tout cas, que tu viennes de ton propre mouvement, ou que tu sois envoyé, tu es un espion.

      – Et vous des lâches!

      – Des lâches, nous?

      – Oui, vous êtes sept ou huit contre un homme garrotté, et vous insultez cet homme. Lâches! lâches! lâches!

      Cette violence de Maurice, au lieu d'aigrir ses adversaires, parut les calmer: cette violence même était la preuve que le jeune homme n'était pas ce dont on l'accusait; un véritable espion eût tremblé et demandé grâce.

      – Il n'y a pas d'insulte là, dit une voix plus douce, mais en même temps plus impérieuse qu'aucune de celles qui avaient parlé. Dans le temps où nous vivons, on peut être espion sans être malhonnête homme: seulement, on risque sa vie.

      – Soyez le bienvenu, vous qui avez prononcé cette parole; j'y répondrai loyalement.

      – Qu'êtes-vous venu faire dans ce quartier?

      – Y chercher une femme.

      Un murmure d'incrédulité accueillit cette excuse. Ce murmure grossit et devint un orage.

      – Tu mens! reprit la même voix. Il n'y a point de femme, et nous savons ce que nous entendons par femme, il n'y a point de femme à poursuivre dans ce quartier; avoue ton projet, ou tu mourras.

      – Allons donc, dit Maurice. Vous ne me tueriez pas pour le plaisir de me tuer, à moins que vous ne soyez de véritables brigands.

      Et Maurice fit un second effort plus violent et plus inattendu encore que le premier pour dégager ses mains de la corde qui les liait; mais soudain un froid douloureux et aigu lui déchira la poitrine.

      Maurice fit malgré lui un mouvement en arrière.

      – Ah! tu sens cela, dit un des hommes. Eh bien, il y a encore huit pouces pareils au pouce avec lequel tu viens de faire connaissance.

      – Alors, achevez, dit Maurice avec résignation. Ce sera fini tout de suite, au moins.

      – Qui es-tu? Voyons! dit la voix douce et impérieuse à la fois.

      – C'est mon nom que vous voulez savoir?

      – Oui, ton nom?

      – Je suis Maurice Lindey.

      – Quoi! s'écria une voix, Maurice Lindey, le revoluti… le patriote? Maurice Lindey, secrétaire de la section Lepelletier?

      Ces paroles furent prononcées avec tant de chaleur, que Maurice vit bien qu'elles étaient décisives. Y répondre, c'était, d'une façon ou de l'autre, fixer invariablement son sort.

      Maurice était incapable d'une lâcheté. Il se redressa en vrai Spartiate, et dit d'une voix ferme:

      – Oui, Maurice Lindey; oui, Maurice Lindey, le secrétaire de la section Lepelletier; oui, Maurice Lindey, le patriote, le révolutionnaire, le jacobin; Maurice Lindey enfin, dont le plus beau jour sera celui où il mourra pour la liberté.

      Un silence de mort accueillit cette réponse.

      Maurice Lindey présentait sa poitrine, attendant d'un moment à l'autre que la lame, dont il avait senti la pointe seulement, se plongeât tout entière dans son cœur.

      – Est-ce bien vrai? dit après quelques secondes une voix qui trahissait quelque émotion. Voyons, jeune homme, ne mens pas.

      – Fouillez dans ma poche, dit Maurice, et vous trouverez ma commission. Regardez sur ma poitrine, et si mon sang ne les a pas effacées, vous trouverez mes initiales, un M et un L brodés sur ma chemise.

      Aussitôt Maurice se sentit enlever par des bras vigoureux. Il fut porté pendant un espace assez court. Il entendit, ouvrir une première porte, puis une seconde. Seulement, la seconde était plus étroite que la première, car à peine si les hommes qui le portaient y purent passer avec lui.

      Les murmures et les chuchotements continuaient.

      – Je suis perdu, se dit à lui-même Maurice; ils vont me mettre une pierre au cou et me jeter dans quelque trou de la Bièvre.

      Mais, au bout d'un instant, il sentit que ceux qui le portaient montaient quelques marches. Un air plus tiède frappa son visage, et on le déposa sur un siège. Il entendit fermer une porte à double tour, des pas s'éloignèrent. Il crut sentir qu'on le laissait seul. Il prêta l'oreille avec autant d'attention que peut le faire un homme dont la vie dépend d'un mot, et il crut entendre que cette même voix, qui avait déjà frappé son oreille par un mélange de fermeté et de douceur, disait aux autres:

      – Délibérons.

      VIII

      Geneviève

      Un quart d'heure s'écoula qui parut un siècle à Maurice. Rien de plus naturel: jeune, beau, vigoureux, soutenu dans sa force par cent amis dévoués, avec lesquels il rêvait parfois l'accomplissement de grandes choses, il se sentait tout à coup, sans préparation aucune, exposé à perdre la vie dans un guet-apens ignoble.

      Il comprenait qu'on l'avait renfermé dans une chambre quelconque; mais était-il surveillé?

      Il essaya un nouvel effort pour rompre ses liens. Ses muscles d'acier se gonflèrent et se roidirent, la corde lui entra dans les chairs, mais ne se rompit pas.

      Le plus terrible, c'est qu'il avait les mains liées derrière le dos et qu'il ne pouvait arracher son bandeau. S'il avait pu voir, peut-être eût-il pu fuir.

      Cependant, ces diverses tentatives s'étaient accomplies sans que personne s'y opposât, sans que rien bougeât autour de lui; il en augura qu'il était seul.

      Ses pieds foulaient quelque chose de moelleux et de sourd, du sable, de la terre grasse, peut-être. Une odeur âcre et pénétrante frappait son odorat et dénonçait la présence de substances végétales, Maurice pensa qu'il était dans une serre ou dans quelque chose de pareil. Il fit quelques pas, heurta un mur, se retourna pour tâter avec ses mains, sentit des instruments aratoires, et poussa une exclamation de joie.

      Avec des efforts inouïs, il parvint à explorer tous ces instruments les uns après les autres. Sa fuite devenait alors une question de temps: si le hasard ou la Providence lui donnait cinq minutes, et si parmi ces ustensiles il trouvait un instrument tranchant, il était sauvé.

      Il trouva une bêche.

      Ce fut, par la manière dont Maurice était lié, toute une lutte pour retourner cette bêche, de façon à ce que le fer fût en haut. Sur ce fer, qu'il maintenait contre le mur avec ses reins, il coupa ou plutôt il usa la corde qui lui liait les poignets. L'opération était longue, le fer de la bêche tranchait lentement. La sueur lui coulait sur le front; il entendit comme un bruit de pas qui se rapprochait. Il fit un dernier effort, violent, inouï, suprême; la corde, à moitié usée, se rompit.

      Cette fois, ce fut un cri de joie qu'il poussa; il était sûr du moins de mourir en se défendant.

      Maurice arracha le bandeau de dessus ses yeux.

      Il ne s'était