Voyage musical en Allemagne et en Italie, I. Hector Berlioz. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Hector Berlioz
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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solitude et à la nuit. Alors souvent, mais seulement alors, l'auteur-chef oublie complètement le public; il s'écoute, il se juge; et si l'émotion lui arrive, partagée par les artistes qui l'entourent, il ne tient plus compte des impressions de l'auditoire, trop éloigné de lui. Si son cœur a frissonné au contact de la poétique mélodie, s'il a senti ses yeux, s'il a vu les yeux de ses interprètes se voiler de larmes furtives, le but est atteint, le ciel de l'art lui est ouvert, qu'importe la terre!..

      Puis à la fin de la soirée, quand le grand succès est obtenu! sa joie devient centuple, partagée qu'elle est par tous les amours-propres satisfaits de son armée. Ainsi, vous, grands virtuoses, vous êtes princes et rois par la grâce de Dieu, vous naissez sur les marches du trône; les compositeurs doivent combattre, vaincre et conquérir pour régner. Mais les fatigues mêmes et les dangers de la lutte ajoutent à l'éclat et à l'enivrement de leurs victoires, et ils seraient peut-être plus heureux que vous… s'ils avaient toujours des soldats.

      Voilà, mon cher Liszt, une bien longue digression, et j'allais oublier, en causant avec toi, de continuer le récit de mon voyage. J'y reviens.

      Pendant les quelques jours que je passai à Stuttgardt à attendre les lettres de Weimar, la société de la Redoute, dirigée par Lindpaintner, donna un concert brillant où j'eus l'occasion d'observer une seconde fois la froideur avec laquelle le gros public allemand accueille en général les conceptions mêmes les plus colossales de l'immense Beethoven. L'ouverture d'Éléonore, morceau vraiment monumental, exécuté avec une précision et une verve rares, fut à peine applaudi; et j'entendis le soir, à table d'hôte, un monsieur se plaindre de ce qu'on ne donnait pas les Symphonies de Haydn au lieu de cette musique violente où il n'y a point de chant!!!.. Franchement, nous n'avons plus de ces bourgeois-là à Paris!..

      Une réponse favorable m'étant enfin parvenue de Weimar, je partis pour Carlsruhe. J'aurais voulu y donner un concert en passant; le maître de chapelle Strauss2 m'apprit que j'aurais à attendre pour cela huit ou dix jours, à cause d'un engagement pris par le théâtre avec un flûtiste piémontais. En conséquence, plein de respect pour la grande flûte, je me hâtai de gagner Manheim. C'est une ville bien calme, bien froide, bien plane, bien carrée. Je ne crois pas que la passion de la musique empêche ses habitants de dormir. Pourtant il y a une nombreuse Académie de chant, un assez bon théâtre et un petit orchestre très-intelligent. La direction de l'Académie de chant et celle de l'orchestre sont confiées à Lachner jeune, frère du célèbre compositeur. C'est un artiste doux et timide, plein de modestie et de talent. Il m'eût bien vite organisé un concert. Je ne me souviens plus de la composition du programme; je sais seulement que j'avais voulu y placer ma deuxième symphonie (Harold) en entier, et que dès la première répétition je dus supprimer le final (l'Orgie) à cause des trombones manifestement incapables de remplir le rôle qui leur est confié dans ce morceau. Lachner s'en montra tout chagrin, désireux qu'il était, disait-il, de connaître l'ensemble du tableau. Je fus obligé d'insister en l'assurant que ce serait folie d'ailleurs, indépendamment de l'insuffisance des trombones, d'espérer l'effet de ce final avec un orchestre si peu fourni de violons. Les trois premières parties de la symphonie furent bien rendues et produisirent sur le public une vive impression. La grande-duchesse Amélie, qui assistait au concert, remarqua, m'a-t-on dit, le coloris de la Marche des Pèlerins, et surtout celui de la Sérénade dans les Abruzzes, où elle crut retrouver le calme heureux des belles nuits italiennes. Le solo d'alto avait été joué avec talent par un des altos de l'orchestre, qui n'a cependant pas de prétentions à la virtuosité.

      J'ai trouvé à Manheim une assez bonne harpe, un hautbois excellent qui joue médiocrement du cor anglais, un violoncelle habile (Heinefetter), cousin des cantatrices de ce nom, et de valeureuses trompettes. Il n'y a pas d'ophicléïde: Lachner, pour remplacer cet instrument employé dans toutes les grandes partitions modernes, s'est vu obligé de faire faire un trombone ténor à cylindres, descendant à l'ut et au si graves. Il était plus simple, ce me semble, de faire venir un ophicléïde; et, musicalement parlant, c'eût été beaucoup mieux, car ces deux instruments ne se ressemblent guère. Je n'ai pu entendre qu'une répétition de l'Académie de chant; les amateurs qui la composent ont généralement d'assez belles voix, mais ils sont loin d'être tous musiciens et lecteurs.

      Mademoiselle Sabine-Heinefetter a donné, pendant mon séjour à Manheim, une représentation de la Norma. Je ne l'avais pas entendue depuis qu'elle a quitté le Théâtre-Italien de Paris; sa voix a toujours de la puissance et une certaine agilité; elle la force un peu parfois, et ses notes hautes deviennent bien souvent difficiles à supporter; telle qu'elle est, pourtant, mademoiselle Heinefetter a peu de rivales parmi les cantatrices allemandes: elle sait chanter.

      Je me suis splendidement ennuyé à Manheim, malgré les soins et les attentions tout aimables d'un Français, M. Desiré Lemire, que j'avais rencontré quelquefois à Paris, il y a huit ou dix ans. C'est qu'il est aisé de voir aux allures des habitants, à l'aspect même de la ville, qu'on est là tout-à-fait étranger au mouvement de l'art, et que la musique y est considérée seulement comme un assez agréable délassement dont on use volontiers aux heures de loisir laissées par les affaires. En outre, il pleuvait continuellement, j'étais voisin d'une horloge dont la cloche avait pour résonnance harmonique la tierce mineure3, et d'une tour habitée par un méchant épervier dont les cris aigus et discordants me vrillaient l'oreille du matin au soir. J'étais impatient aussi de voir la ville des poètes, où me pressaient d'arriver les lettres du maître de chapelle, mon savant compatriote Chélard, et celles de Lobe, ce type du véritable musicien allemand dont tu as pu, je le sais apprécier le mérite et la chaleur d'ame.

      Me voilà de nouveau sur le Rhin! – Je rencontre Guhr. – Il recommence à jurer. – Je le quitte. – Je revois un instant, à Francfort, notre ami Hiller. – Il m'annonce qu'il va faire exécuter son oratorio de la Chûte de Jérusalem. – Je pars, nanti d'un très-beau mal de gorge. – Je m'endors en route. – Un rêve affreux… que tu ne sauras pas. – Voilà Weimar. – Je suis très malade. – Lobe et Chélard essaient inutilement de me remonter. – Le concert se prépare. – On annonce la première répétition. – La joie me revient. – Je suis guéri.

      A la bonne heure, je respire ici! Je sens quelque chose dans l'air qui m'annonce une ville littéraire, une ville artiste! Son aspect répond parfaitement à l'idée que je m'en étais faite, elle est calme, lumineuse, aérée, pleine de paix et de rêverie; des alentours charmants, de belles eaux, des collines ombreuses, de riantes vallées. Comme le cœur me bat en la parcourant! Quoi! c'est là le pavillon de Goëthe! Voilà celui où feu le grand-duc aimait à venir prendre part aux doctes entretiens de Schiller, de Herder, de Wieland! Cette inscription latine fut tracée sur ce rocher par l'auteur de Faust! Est-il possible? ces deux petites fenêtres donnent de l'air à la pauvre mansarde qu'habita Schiller! C'est dans cet humble réduit que le grand poète de tous les nobles enthousiasmes écrivit Don Carlos, Marie-Stuart, les Brigands, Wallenstein! C'est là qu'il est mort comme un simple étudiant! Ah! je n'aime pas Goëthe d'avoir souffert cela! lui qui était riche, ministre d'Etat… ne pouvait-il changer le sort de son ami le poète?.. ou cette illustre amitié n'eut-elle rien de réel!.. Je crains qu'elle ait été vraie du côté de Schiller seulement! Goëthe s'aimait trop; il chérissait trop aussi son damné fils Méphisto; il a vécu trop vieux; il avait trop peur de la mort.

      Schiller! Schiller! tu méritais un ami moins humain! Mes yeux ne peuvent quitter ces étroites fenêtres, cette obscure maison, ce toit misérable et noir; il est une heure du matin, la lune brille, le froid est intense. Tout se tait, ils sont tous morts… Peu à peu ma poitrine se gonfle, mon corps entre en vibrations; je tremble; écrasé de respect, de regrets et de ces affections infinies que le génie à travers la tombe inflige quelquefois à d'obscurs survivants, je m'agenouille auprès de l'humble seuil, et souffrant, admirant, aimant, adorant, je répète: Schiller!.. Schiller!.. Schiller!..

      Que te dire maintenant, cher, du véritable sujet de ma lettre? j'en suis si loin. Attends, je vais pour rentrer dans la prose et me calmer un peu, penser à un autre habitant de Weimar, à un homme d'un grand


<p>2</p>

Encore un Strauss! mais celui-là ne fait pas de Valses.

<p>3</p>

J'ai pu faire, en Allemagne, beaucoup d'observations sur les diverses résonnances des cloches; et j'ai vu, à n'en pouvoir douter, que la nature se riait encore, à cet égard, des théories de nos écoles. Certains professeurs ont soutenu pendant des siècles que les corps sonores ne faisaient tous résonner que la tierce majeure; un mathématicien est venu dans ces derniers temps, affirmant que les cloches faisaient toutes entendre, au contraire, la tierce mineure; et il se trouve en réalité qu'elles donnent harmoniquement toutes sortes d'intervalles. Les unes font retentir la tierce mineure, les autres la quarte; une des cloches de Weimar sonne la septième mineure et l'octave successivement: (son fondamental fa, résonnance fa octave, mi bémol septième); j'en ai même entendues qui produisaient la quarte augmentée. Evidemment la résonnance harmonique des cloches dépend de la forme que le fondeur leur a donnée, des divers degrés d'épaisseur du métal à certains points de leur courbure, et des accidents secrets de la fonte et du coulage.