Alors commença un siége en règle, dans lequel Wontum déploya toute l’habileté, tout l’acharnement qui étaient en son pouvoir.
Trois jours se passèrent ainsi en combats effrayants. Le lieutenant Marshall avait été blessé; ses hommes, harassés par la lutte, et privés du concours de leur commandant, commençaient à se ralentir dans leur résistance.
Au milieu de la troisième nuit, les Indiens firent une charge désespérée: les assiégés se défendirent avec moins de vigueur. Encouragé par cette marque évidente de faiblesse, Wontum poussa si bien ses guerriers qu’ils pénétrèrent dans la première enceinte.
A ce moment, Manonie veillait auprès du lit de son cher blessé; en s’apercevant de la position critique où se trouvait la garnison, elle sauta sur une hache, courut aux retranchements avec la furie du désespoir, appelant les soldats à elle, et se jeta au plus fort de la mêlée.
Cet acte de bravoure sauva le Fort: toute la garnison reprit courage sous l’influence de ce noble exemple; il y eut une mêlée atroce, à la fin de laquelle les Sauvages furent repoussés.
Wontum fit des efforts inouïs pour s’emparer de la jeune fille; puis, lorsqu’il se fut convaincu que c’était chose impossible, il ne songea qu’à égorger Marshall: cet acte de férocité aurait été pour lui une demi-vengeance.
Son couteau, rouge de sang, était levé sur la tête du blessé lorsqu’arriva Manonie: prompte comme la foudre, la courageuse enfant se jeta sur le meurtrier, son tomahawk étincela et s’abattit en sifflant. Elle avait visé la tête; mais son élan fut si désespéré que l’arme passa à côté du but et s’enfonça profondément dans l’épaule.
Wontum, hors de combat, prit la fuite; ses hommes l’imitèrent; dès cet instant le siége fut levé, la garnison resta victorieuse. Les Indiens faillirent être pris entre deux feux, car les troupes revenant de leur expédition arrivèrent le lendemain dans la matinée.
Cœur-de-Panthère devint donc l’héroïne du Fort Laramie: sa renommée bien méritée s’étendit au loin dans la prairie et se répandit sur toute la frontière. Aussi le premier mot de chaque voyageur était de s’informer d’elle, en arrivant au Fort, afin de lui adresser les éloges et les hommages qu’elle avait si bien mérités.
Son mariage avec Henry Marshall fut célébré sans retard. Deux années s’écoulèrent, douces et rapides comme un beau songe pour les heureux époux. Manonie devint mère; un petit Harry Marshall commença bientôt à trottiner dans le Fort.
Pendant longtemps la jeune femme, aidée de son mari, fit d’actives recherches pour tâcher de découvrir sa famille; mais ses démarches furent infructueuses. Plus d’un père, plus d’une mère auxquels avaient été ravis leurs pauvres petits enfants, se présentèrent pour reconnaître, s’il était possible, dans la charmante et vertueuse héroïne, celle qu’ils pleuraient depuis tant d’années: rien ne facilita une reconnaissance; aucun fait, aucun souvenir, aucun indice ne vint fournir une lumière utile: le mystère resta toujours aussi profond.
Pourtant, dans le recueillement de ses souvenirs, la jeune femme entrevoyait, comme des lueurs fugitives, les premières scènes de son enfance: il lui semblait apercevoir son petit berceau, sa mère penchée sur elle; entendre la voix mâle de son père s’adoucissant pour lui parler au travers d’un sourire. A l’amour qu’elle éprouvait pour son enfant, elle jugeait de celui qui avait dû veiller autour de ses premières années: elle se disait qu’ils avaient bien souffert— comme elle souffrirait, elle, en pareil cas,– ceux qui l’avaient perdue: elle se disait qu’elle la reconnaîtrait sûrement cette pauvre mère, aimée quoique inconnue, si la Providence la lui faisait rencontrer: elle désirait ce grand bonheur de la famille qui lui manquait pour former le complément béni de son existence: elle priait, du fond de son cœur, pour ces chers inconnus, qui, sans doute, priaient aussi pour elle, sur la terre ou dans le ciel.
Trois ans après leur mariage, le lieutenant Marshall et sa femme étaient sur le point de quitter le Fort Laramie pour se rendre à Leavenworth: le petit Harry, leur unique enfant, idole de ses parents et de toute la garnison, avait deux ans. Des événements inattendus vinrent jeter dans leur paisible existence une perturbation profonde.
CHAPITRE II. OLD JOHN
Si le lecteur le trouve agréable, nous lui rappellerons cette cabane installée au confluent des rivières Platte et Medicine-Bow, sur le flanc d’une colline: nous le conduirons auprès de cette habitation rustique, si bien cachée, comme un nid d’aigle au sein de la forêt, qu’elle avait échappé aux yeux perçants des rôdeurs Indiens.
Nous sommes au 20 septembre 1857; les premiers rayons de l’aube matinale commencent à peine à répandre sur la terre quelques lueurs indécises.
Un jeune homme, monté sur un pur-sang de toute beauté, s’approche lentement de la colline. Ses regards observateurs ont découvert une guirlande de fumée qui monte au-dessus des arbres; attiré par ce signe indicateur de la civilisation, il marche dans sa direction. Bientôt le chemin devenant impraticable pour sa monture, il est obligé de mettre pied à terre et de cheminer tant bien que mal, trébuchant, maugréant, soufflant, pendant que son cheval souffle et trébuche aussi, mais sans maugréer.
– Décidément, dit à haute voix notre voyageur; décidément, il a le goût du romantique, cet ermite enragé! Sans quoi, jamais il n’aurait choisi pour habitation un pareil site. C’est égal, son nom ne répond pas à la qualité de son logis. Old John!.... est-ce un nom assez vulgaire!.... Quoiqu’il en soit, c’est un homme étrange, et sur lequel les Settlers de la plaine n’ont pu me fournir aucun renseignement.
Ces dernières paroles du monologue furent adressées au cheval, qui, n’y comprenant pas grand’chose, n’y répondit rien, comme son maître pouvait bien s’y attendre.
A ce moment, l’homme et son coursier atteignirent la petite clairière où était bâtie la cabane:
– Que voudriez-vous donc savoir sur son compte? demanda soudainement une voix très-proche et qui semblait sortir d’un gros arbre.
En effet un vieillard apparût, soulevant un grand lambeau d’écorce qui cachait la cavité du tronc vermoulu.
Le jeune voyageur surpris, tressaillit et fixa des regards curieux sur son interlocuteur. C’était un homme de haute et puissante stature; aux yeux noirs voilés par d’épais sourcils grisonnants; à la longue chevelure blanche tombant en désordre sur ses épaules; à la barbe épaisse, rude, pendante sur sa poitrine, digne en tous points du reste de sa personne.
Sa voix était basse, un peu voilée par une expression mélancolique, mais ferme et vibrante comme celle d’un homme accoutumé au commandement.
Sans bien se rendre compte des sentiments qui l’agitaient, le jeune homme resta quelques instants sans répondre.
Le vieillard remarquant son hésitation lui dit:
– Vous avez amené par ici un trop bel animal: c’est dommage de sacrifier une aussi superbe bête aux griffes des Legyos.
– Je ne vous comprends pas.
– Aôh! Legyos; ce mot vous est inconnu?
– Entièrement: c’est la première fois que je l’entends prononcer, et j’avoue que j’en ignore parfaitement la signification. Dans tous les cas, je serais désolé qu’il arrivât malheur à Dahlgren.
– Bien! bien! je comprends: c’est le nom que vous donnez à votre cheval. Alors, si vous vous intéressez à lui, empêchez-le de s’éloigner.
Le jeune homme se retourna vivement; Dahlgren, qu’il avait négligemment attaché à une branche d’arbre, s’était rendu libre et se dirigeait vers la lisière du bois.
Après l’avoir ramené, le voyageur passa la bride autour de son bras pour ne plus le perdre de vue, et reprit la conversation:
– Je crois bien qu’il n’y avait pas grand risque à laisser la