Et puis Nicaise ne l’a-t-il pas pris, l’année dernière et bien des fois, coupant de jeunes arbres dans les bois de ma tante, pour en faire des fourches[95] et des râteaux à faner[96]?
Et encore c’est qu’il allait les vendre sur la place, au marché de la ville.
Demandons toujours s’il n’a pas vu Biribi.
Certainement? puisque nous sommes sortis pour cela.»
Les enfants entrèrent chez Bernard, qui dînait avec sa femme et ses enfants.
«Bonjour, Bernard, dit Léon d’un air aimable; nous venons vous demander des nouvelles de Biribi, qui a disparu depuis ce matin.
Comment que je saurais où est votre chien, moi? Je m’en moque bien de votre chien, et de votre garde aussi!
Dis donc, Bernard, ne sois pas si malhonnête avec les jeunes messieurs et les petites demoiselles. On te parle poliment, n’est-ce pas? Pourquoi ne répondrais-tu pas de même?
Vas-tu finir ton discours, toi! Je n’aime pas qu’on me conseille; je fais ce que je veux, et cela ne regarde personne.
Te tairas-tu, mal embouché, insolent? Sans le respect que je dois aux jeunes maîtres, je t’aurais déjà fait rentrer les paroles dans la gorge.»
Bernard se lève et avance, le poing fermé, sur Nicaise, qui reste immobile et le regarde d’un air moqueur.
Touche seulement, et tu verras comme je te casserai les reins[97] de mon pied et de mon poing!
Bernard se retire en grognant; les enfants ont peur d’une bataille et se sauvent précipitamment, à l’exception de Jean, qui se pose près de Nicaise, un bâton à la main, et de Jacques, qui se met résolument de l’autre côté de Nicaise, les poings en avant, prêt à frapper.
Jean, Jean, viens donc! Vas-tu pas te battre avec ce manant[98]?
Je ne laisserai pas dans l’embarras le brave Nicaise.
– Merci bien, mes braves petits messieurs; mais je n’ai que faire de votre courage et de ma force contre ce batailleur, plus poltron encore que méchant. Il sait ce que pèse mon poing sur son dos; il en a goûté le jour où je l’ai pris volant du bois chez mes maîtres.... Bien le bonsoir, ajouta Nicaise d’un air monqueur en saluant Bernard et sa famille; bon appétit, pas de dérangement.»
Et il alla rejoindre les autres enfants, après avoir affectueusement serré la main à Jean et à Jacques.
C’est tout de même courageux, ce que vous avez fait, monsieur Jean et monsieur Jacques; car, enfin, vous ne pouviez pas deviner que ce Bernard était un poltron.
C’est Jacques qui surtout a eu du courage, car, moi, je suis assez grand pour me défendre.
C’est égal, bien d’autres auraient fil» comme a fait votre frère, M. Léon, sauf le respect que je lui dois. Mais, chut! nous voici près d’eux.
Eh bien, il n’y a rien eu[99]? Mon bon petit Jacques n’a pas été blessé?
Blessé? ah ouiche[100]! Est-ce que tu as cru qu’ils allaient se battre pour tout de bon?
Pourquoi donc t’es-tu sauvé, si tu ne craignais pas une bataille?
D’abord, je ne me suis pas sauvé, je me suis retiré, pour protéger mes cousines, Sophie et toi.
Jolie escorte que tu nous faisais là: tu courais à vingt pas devant nous.
J’allais en avant pour vous indiquer le chemin qu’il fallait prendre.
Ha, ha, ha! Avoue donc tout simplement que tu avais peur et que tu te sauvais.
Si tu étais un garçon de ma taille, tu verrais que tes plaisanteries ne me semblent pas du tout plaisantes.
Je ne verrais rien du tout que ton dos et tes talons, parce que tu es prudent, que tu fuis la guerre et que[101] tu aimes la paix.»
Jean et Jacques riaient pendant cette discussion; Camille et Madeleine étaient inquiètes; Sophie applaudissait des yeux et du sourire; Nicaise paraissait enchanté. Léon était en colère; ses yeux flamboyaient, et, s’il avait osé, il aurait assommé Marguerite de coups de poing. Camille arrêta cette dangereuse conversation en proposant de continuer les recherches. «Nous perdons notre temps, dit-elle, et nous avons encore bien des hameaux et des maisons à visiter.»
Ils continuèrent donc leur chemin. Léon fut un peu maussade, mais il finit par se dérider et par rire comme les autres. Dans aucune maison on n’avait vu Biribi, et plusieurs personnes dirent aux enfants et à Nicaise qu’il avait probablement été tué par Bernard, qui s’était plaint que Biribi venait la nuit rôder autour de ses lapins, et avait menacé de l’étrangler[102] la première fois qu’il pourrait mettre la main sur lui. Les enfants ne rentrèrent que vers six heures, fatigués, mais enchantés de leur longue promenade; elle avait été interrompue par un bon goûter chez M. le curé, qui leur avait fait manger du pain et du beurre, de la crème, du fromage, des cerises, et boire de la liqueur de cassis[103].
«Eh bien, mes enfants, quelles nouvelles? leur demandèrent les papas et les mamans, qui les attendaient au salon.
– Aucune, maman, répondit Camille à Mme de Fleurville; on nous a seulement dit que c’était probablement Bernard qui l’avait tué.
Pourquoi supposer une pareille méchanceté?
Ma tante, c’est parce qu’il l’a annoncé à plusieurs personnes.
Quand on veut faire une mauvaise action, on ne l’annonce pas.
Pourtant, ma tante, Nicaise croit que c’est très possible, parce que Biribi tournait souvent autour des petites maisons de ses lapins et qu’il avait peur qu’il ne les lui mangeât[104].
S’il l’a fait, je porterai plainte au juge de paix, car c’est un mauvais homme que ce Bernard, et il me joue sans cesse des tours.»
Mais tout cela ne faisait pas retrouver Biribi; on le chercha encore lendemain, puis on n’y pensa plus.
Le troisème jour, les enfants allaient sortir de bonne heure pour prendre du lait et du pain bis à la ferme, quand ils aperçurent, à travers les arbres, du monde rassemblé autour de la buanderie.
«Allons voir ce que c’est, dit Jacques.
– Oui, courons», répondirent tous les enfants.
Ils s’approchèrent, on s’écarta pour les laisser passer, et ils virent le pauvre Biribi, maigre, à moitié relevé, à moitié tombé, qui mangeait avec avidité une terrine de soupe.
«Biribi! Biribi! s’écrièrent les enfants. Qui l’a retrouvé? Où était-il?
– Il