Au nord du colosse exista un temple de Vénus (Hathôr), construit en calcaire blanc, et hors de la grande enceinte, du côté de l'orient: j'ai continué des fouilles commencées par Caviglia; le résultat a été de constater dans cet endroit même l'existence d'un temple orné de colonnes-pilastres accouplées et en granit rosé, et dédié à Phtha et à Hathôr (Vulcain et Vénus), les deux grandes divinités de Memphis, par Rhamsès le Grand. L'enceinte principale renfermait aussi, du côté de l'est, une vaste nécropole semblable à celle que j'ai reconnue à Saïs.
C'est le 4 octobre que je suis venu camper à Sakkarah, car nous sommes sous la tente; une d'elles est occupée par nos domestiques; tous les soirs, sept ou huit Bédouins choisis d'avance font la garde de nuit et les commissions le jour; ce sont de braves et excellentes gens, quand on les traite en hommes.
J'ai visité ici, à Sakkarah, la plaine des momies, l'ancien cimetière de Memphis, parsemé de pyramides et de tombeaux violés. Cette localité, grâce à la rapace barbarie des marchands d'antiquités, est presque tout à fait nulle pour l'étude: les tombeaux ornés de sculptures sont, pour la plupart, dévastés, ou recomblés après avoir été pillés. Ce désert est affreux; il est formé par une suite de petits monticules de sable produits des fouilles et des bouleversements, le tout parsemé d'ossements humains, débris des vieilles générations. Deux tombeaux seuls ont attiré notre attention, et m'ont dédommagé du triste aspect de ce champ de désolation. J'ai trouvé, dans l'un d'eux, une série d'oiseaux sculptés sur les parois, et accompagnés de leurs noms en hiéroglyphes; cinq espèces de gazelles avec leurs noms; et enfin quelques scènes domestiques, telles que l'action de traire le lait, deux cuisiniers exerçant leur art, etc. Nos portefeuilles se grossissent du fruit de ces découvertes ... Adieu.
CINQUIÈME LETTRE
Au pied des pyramides de Gizéh, le 8 octobre 1828.
J'ai transporté mon camp et mes pénates à l'ombre des grandes pyramides, depuis hier que, quittant Sakkarah pour visiter l'une des merveilles du monde, sept chameaux et vingt ânes ont transporté nous et nos bagages à travers le désert qui sépare les pyramides méridionales de celles de Gizéh, les plus célèbres de toutes, et qu'il me fallait voir enfin avant de partir pour la Haute-Égypte. Ces merveilles ont besoin d'être étudiées de près pour être bien appréciées; elles semblent diminuer de hauteur à mesure qu'on en approche, et ce n'est qu'en touchant les blocs de pierre dont elles sont formées qu'on a une idée juste de leur masse et de leur immensité. Il y a peu à faire ici, et lorsqu'on aura copié des scènes de la vie domestique, sculptées dans un tombeau voisin de la deuxième pyramide, je regagnerai nos embarcations, qui viendront nous prendre à Gizéh, et nous cinglerons à force de voiles pour la Haute-Égypte, mon véritable quartier-général. Thèbes est là, et on y arrive toujours trop tard.
Sauf un peu de fatigue de la journée d'hier, nous nous portons fort bien. Mais point encore de nouvelles d'Europe!..... Adieu.
SIXIEME LETTRE
A Béni-Hassau, le 5; et à Monfaloutli, le 8 novembre 1828.
Je comptais être à Thèbes le 1er novembre; voici déjà le 5, et je me trouve encore à Béni-Hassan. C'est un peu la faute de ceux qui ont déjà décrit les hypogées de cette localité, et en ont donné une si mince idée. Je comptais expédier ces grottes en une journée; mais elles en ont pris quinze, sans que j'en éprouve le moindre regret; je vais reprendre mon récit de plus haut.
Ma dernière lettre était datée des grandes pyramides, où je suis, resté campé trois jours, non pour ces masses énormes et de si peu d'effet lorsqu'on les voit de près, mais pour l'examen et le dépouillement des grottes sépulcrales creusées dans le voisinage. Une, entre autres, celle d'un certain Eimaï, nous a fourni une série de bas-reliefs très-curieux pour la connaissance des arts et métiers de l'ancienne Égypte, et je dois donner un soin très-particulier à la recherche des monuments de ce genre, qui sont aussi bien de l'histoire que les grands tableaux de bataille des palais de Thèbes. J'ai trouvé autour des pyramides plusieurs tombeaux de princes (fils de rois) et de grands personnages, mais peu d'inscriptions d'un très-grand intérêt.
Je quittai les pyramides le 11 octobre, pour revenir sur mes pas et gagner notre ancien campement de Sakkarah, à travers le désert, et de là notre flotte, mouillée à Bédréchéin, où nous arrivâmes le soir même, grâce à nos infatigables baudets et aux chameaux qui portaient tout notre bagage. Nous mîmes à la voile pour la Haute-Égypte, et ce ne fut que le 20 octobre, après avoir éprouvé tout l'ennui du calme plat et du manque total de vent du nord, que nous arrivâmes à Miniéh, d'où je fis partir tout de suite, après une visite à la filature de coton, montée en machines européennes, et après l'achat de quelques provisions indispensables. On se dirigea sur Saouadéh pour voir un hypogée grec d'ordre dorique, déjà décrit. De là nous cinglâmes vers Zaouyet-el-Maiétin, où nous fûmes rendus le 20 même au soir; là existent quelques hypogées décorés de bas-reliefs relatifs à la vie domestique et civile; j'ai fait copier tout ce qu'il y avait d'intéressant, et nous ne les quittâmes que le 23 au soir, pour courir à Béni-Hassan à la faveur d'une bourrasque, à laquelle nous dûmes d'y arriver le même jour vers minuit.
A l'aube du jour, quelques-uns de nos jeunes gens étant allés, en éclaireurs, visiter les grottes voisines, rapportèrent qu'il y avait peu à faire, vu que les peintures étaient à peu près effacées. Je montai néanmoins, au lever du soleil, visiter ces hypogées, et je fus agréablement surpris de trouver une étonnante série de peintures parfaitement visibles jusque dans leurs moindres détails, lorsqu'elles étaient mouillées avec une éponge, et qu'on avait enlevé la croûte de poussière fine qui les recouvrait et qui avait donné le change à nos compagnons.