Lettres écrites d'Égypte et de Nubie en 1828 et 1829. Jean-François Champollion. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Jean-François Champollion
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Книги о Путешествиях
Год издания: 0
isbn: 4064066090128
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qui couvre l'emplacement de Memphis; passé le village de Bédréchéin, qui est à un quart d'heure dans les terres, on s'aperçoit qu'on foule le sol antique d'une grande cité, aux blocs de granit dispersés dans la plaine, et à ceux qui déchirent le terrain et se font encore jour à travers les sables, qui ne tarderont pas à les recouvrir pour jamais. Entre ce village et celui de Mit-Rahinéh, s'élèvent deux longues collines parallèles, qui m'ont paru être les éboulements d'une enceinte immense, construite en briques crues comme celle de Saïs, et renfermant jadis les principaux édifices sacrés de Memphis. C'est dans l'intérieur de cette enceinte que nous avons vu le grand colosse exhumé par M. Caviglia. Il me tardait d'examiner ce monument, dont j'avais beaucoup entendu parler, et j'avoue que je fus agréablement surpris de trouver un magnifique morceau de sculpture égyptienne. Le colosse, dont une partie des jambes a disparu, n'a pas moins de trente-quatre pieds et demi de long. Il est tombé la face contre terre, ce qui a conservé le visage parfaitement intact. Sa physionomie suffit pour me le faire reconnaître comme une statue de Sésostris, car c'est en grand le portrait le plus fidèle du beau Sésostris de Turin; les inscriptions des bras, du pectoral et de la ceinture, confirmèrent mon idée, et il n'est plus douteux qu'il existe, à Turin et à Memphis, deux portraits du plus grand des Pharaons. J'ai fait dessiner cette tête avec un soin extrême, et relever toutes les légendes. Ce colosse n'était point seul; et si j'obtiens des fonds spéciaux pour des fouilles en grand à Memphis, je puis répondre, en moins de trois mois, de peupler le Musée du Louvre de statues des plus riches matières et du plus grand intérêt pour l'histoire. Ce colosse, devant lequel sont de grandes substructions calcaires, était, selon toute apparence, placé devant une grande porte et devait avoir des pendants: j'ai fait faire quelques fouilles pour m'en assurer, mais le temps me manquera. Un peu plus loin et sur le même axe, existent encore de petits colosses du même Pharaon, en granit rosé, mais en fort mauvais état. C'était encore une porte.

      Au nord du colosse exista un temple de Vénus (Hathôr), construit en calcaire blanc, et hors de la grande enceinte, du côté de l'orient: j'ai continué des fouilles commencées par Caviglia; le résultat a été de constater dans cet endroit même l'existence d'un temple orné de colonnes-pilastres accouplées et en granit rosé, et dédié à Phtha et à Hathôr (Vulcain et Vénus), les deux grandes divinités de Memphis, par Rhamsès le Grand. L'enceinte principale renfermait aussi, du côté de l'est, une vaste nécropole semblable à celle que j'ai reconnue à Saïs.

      C'est le 4 octobre que je suis venu camper à Sakkarah, car nous sommes sous la tente; une d'elles est occupée par nos domestiques; tous les soirs, sept ou huit Bédouins choisis d'avance font la garde de nuit et les commissions le jour; ce sont de braves et excellentes gens, quand on les traite en hommes.

      J'ai visité ici, à Sakkarah, la plaine des momies, l'ancien cimetière de Memphis, parsemé de pyramides et de tombeaux violés. Cette localité, grâce à la rapace barbarie des marchands d'antiquités, est presque tout à fait nulle pour l'étude: les tombeaux ornés de sculptures sont, pour la plupart, dévastés, ou recomblés après avoir été pillés. Ce désert est affreux; il est formé par une suite de petits monticules de sable produits des fouilles et des bouleversements, le tout parsemé d'ossements humains, débris des vieilles générations. Deux tombeaux seuls ont attiré notre attention, et m'ont dédommagé du triste aspect de ce champ de désolation. J'ai trouvé, dans l'un d'eux, une série d'oiseaux sculptés sur les parois, et accompagnés de leurs noms en hiéroglyphes; cinq espèces de gazelles avec leurs noms; et enfin quelques scènes domestiques, telles que l'action de traire le lait, deux cuisiniers exerçant leur art, etc. Nos portefeuilles se grossissent du fruit de ces découvertes ... Adieu.

       Table des matières

      Au pied des pyramides de Gizéh, le 8 octobre 1828.

      J'ai transporté mon camp et mes pénates à l'ombre des grandes pyramides, depuis hier que, quittant Sakkarah pour visiter l'une des merveilles du monde, sept chameaux et vingt ânes ont transporté nous et nos bagages à travers le désert qui sépare les pyramides méridionales de celles de Gizéh, les plus célèbres de toutes, et qu'il me fallait voir enfin avant de partir pour la Haute-Égypte. Ces merveilles ont besoin d'être étudiées de près pour être bien appréciées; elles semblent diminuer de hauteur à mesure qu'on en approche, et ce n'est qu'en touchant les blocs de pierre dont elles sont formées qu'on a une idée juste de leur masse et de leur immensité. Il y a peu à faire ici, et lorsqu'on aura copié des scènes de la vie domestique, sculptées dans un tombeau voisin de la deuxième pyramide, je regagnerai nos embarcations, qui viendront nous prendre à Gizéh, et nous cinglerons à force de voiles pour la Haute-Égypte, mon véritable quartier-général. Thèbes est là, et on y arrive toujours trop tard.

      Sauf un peu de fatigue de la journée d'hier, nous nous portons fort bien. Mais point encore de nouvelles d'Europe!..... Adieu.

       Table des matières

      A Béni-Hassau, le 5; et à Monfaloutli, le 8 novembre 1828.

      Je comptais être à Thèbes le 1er novembre; voici déjà le 5, et je me trouve encore à Béni-Hassan. C'est un peu la faute de ceux qui ont déjà décrit les hypogées de cette localité, et en ont donné une si mince idée. Je comptais expédier ces grottes en une journée; mais elles en ont pris quinze, sans que j'en éprouve le moindre regret; je vais reprendre mon récit de plus haut.

      Ma dernière lettre était datée des grandes pyramides, où je suis, resté campé trois jours, non pour ces masses énormes et de si peu d'effet lorsqu'on les voit de près, mais pour l'examen et le dépouillement des grottes sépulcrales creusées dans le voisinage. Une, entre autres, celle d'un certain Eimaï, nous a fourni une série de bas-reliefs très-curieux pour la connaissance des arts et métiers de l'ancienne Égypte, et je dois donner un soin très-particulier à la recherche des monuments de ce genre, qui sont aussi bien de l'histoire que les grands tableaux de bataille des palais de Thèbes. J'ai trouvé autour des pyramides plusieurs tombeaux de princes (fils de rois) et de grands personnages, mais peu d'inscriptions d'un très-grand intérêt.

      Je quittai les pyramides le 11 octobre, pour revenir sur mes pas et gagner notre ancien campement de Sakkarah, à travers le désert, et de là notre flotte, mouillée à Bédréchéin, où nous arrivâmes le soir même, grâce à nos infatigables baudets et aux chameaux qui portaient tout notre bagage. Nous mîmes à la voile pour la Haute-Égypte, et ce ne fut que le 20 octobre, après avoir éprouvé tout l'ennui du calme plat et du manque total de vent du nord, que nous arrivâmes à Miniéh, d'où je fis partir tout de suite, après une visite à la filature de coton, montée en machines européennes, et après l'achat de quelques provisions indispensables. On se dirigea sur Saouadéh pour voir un hypogée grec d'ordre dorique, déjà décrit. De là nous cinglâmes vers Zaouyet-el-Maiétin, où nous fûmes rendus le 20 même au soir; là existent quelques hypogées décorés de bas-reliefs relatifs à la vie domestique et civile; j'ai fait copier tout ce qu'il y avait d'intéressant, et nous ne les quittâmes que le 23 au soir, pour courir à Béni-Hassan à la faveur d'une bourrasque, à laquelle nous dûmes d'y arriver le même jour vers minuit.

      A l'aube du jour, quelques-uns de nos jeunes gens étant allés, en éclaireurs, visiter les grottes voisines, rapportèrent qu'il y avait peu à faire, vu que les peintures étaient à peu près effacées. Je montai néanmoins, au lever du soleil, visiter ces hypogées, et je fus agréablement surpris de trouver une étonnante série de peintures parfaitement visibles jusque dans leurs moindres détails, lorsqu'elles étaient mouillées avec une éponge, et qu'on avait enlevé la croûte de poussière fine qui les recouvrait et qui avait donné le change à nos compagnons.