Le quatrième jour (hier 23), je quittai la rive gauche du Nil pour visiter la partie orientale de Thèbes. Je vis d'abord Louqsor, palais immense, précédé de deux obélisques de près de 80 pieds, d'un seul bloc de granit rose, d'un travail exquis, accompagnés de quatre colosses de même matière, et de 30 pieds de hauteur environ, car ils sont enfouis jusqu'à la poitrine. C'est encore là du Rhamsès le Grand. Les autres parties du palais sont des rois Mandoueï, Horus et Aménophis-Memnon; plus, des réparations et additions de Sabacon l'Éthiopien et de quelques Ptolémées, avec un sanctuaire tout en granit, d'Alexandre, fils du conquérant. J'allai enfin au palais ou plutôt à la ville de monuments, à Karnac. Là m'apparut toute la magnificence pharaonique, tout ce que les hommes ont imaginé et exécuté de plus grand. Tout ce que j'avais vu à Thèbes, tout ce que j'avais admiré avec enthousiasme sur la rive gauche, me parut misérable en comparaison des conceptions gigantesques dont j'étais entouré. Je me garderai bien de vouloir rien décrire; car, ou mes expressions ne vaudraient que la millième partie de ce qu'on doit dire en parlant de tels objets, ou bien si j'en traçais une faible esquisse, même fort décolorée, on me prendrait pour un enthousiaste, peut-être même pour un fou. Il suffira d'ajouter qu'aucun peuple ancien ni moderne n'a conçu l'art de l'architecture sur une échelle aussi sublime, aussi large, aussi grandiose, que le firent les vieux Égyptiens; ils concevaient en hommes de 100 pieds de haut, et l'imagination qui, en Europe, s'élance bien au-dessus de nos portiques, s'arrête et tombe impuissante au pied des cent quarante colonnes de la salle hypostyle de Karnac.
Dans ce palais merveilleux, j'ai contemplé les portraits de la plupart des vieux Pharaons connus par leurs grandes actions, et ce sont des portraits véritables; représentés cent fois dans les bas-reliefs des murs intérieurs et extérieurs, chacun conserve une physionomie propre et qui n'a aucun rapport avec celle de ses prédécesseurs ou successeurs; là, dans des tableaux colossals, d'une sculpture véritablement grande et tout héroïque, plus parfaite qu'on ne peut le croire en Europe, on voit Mandoueï combattant les peuples ennemis de l'Égypte, et rentrant en triomphateur dans sa patrie; plus loin, les campagnes de Rhamsès-Sésostris; ailleurs, Sésonchis traînant aux pieds de la Trinité thébaine (Ammon, Mouth et Khons) les chefs de plus de trente nations vaincues, parmi lesquelles j'ai retrouvé, comme cela devait être, en toutes lettres, Ioudahamalek, le royaume des Juifs ou de Juda (Pl. 2.) C'est là un commentaire à joindre au chapitre XIV du troisième livre des Rois, qui raconte en effet l'arrivée de Sésonchis à Jérusalem et ses succès: ainsi l'identité que nous avons établie entre le Sheschonck égyptien, le Sésonchis de Manéthon et le Sésac ou Scheschôk de la Bible, est confirmée de la manière la plus satisfaisante. J'ai trouvé autour des palais de Karnac une foule d'édifices de toutes les époques, et lorsque, au retour de la seconde cataracte vers laquelle je fais voile demain, je viendrai m'établir pour cinq ou six mois à Thèbes, je m'attends à une récolte immense de faits historiques, puisque, en courant Thèbes comme je l'ai fait pendant quatre jours, sans voir même un seul des milliers d'hypogées qui criblent la montagne libyque, j'ai déjà recueilli des documents fort importants.
Je joins ici la traduction de la partie chronologique d'une stèle que j'ai vue à Alexandrie: elle est très-importante pour la chronologie des derniers Saïtes de la XXVIe dynastie. J'ai de plus des copies d'inscriptions hiéroglyphiques gravées sur des rochers, sur la route de Cosseïr, qui donnent la durée expresse du règne des rois de la dynastie persane.
J'omets une foule d'autres résultats curieux; je devrais passer tout mon temps à écrire, s'il fallait détailler toutes mes observations nouvelles. J'écris ce que je puis dans les moments où les ruines égyptiennes me permettent de respirer au milieu de tous ces travaux et de ces jouissances réellement trop vives si elles devaient se renouveler souvent ailleurs comme à Thèbes.
Ma santé est excellente; le climat me convient, et je me porte bien mieux qu'à Paris. Les gens du pays nous accablent de politesses: j'ai dans ce moment-ci dans ma petite chambre: 1° un aga turc, commandant en chef de Kourna, dans le palais de Mandoueï; 2° le Cheik-el-Bélad de Médinet-Habou, donnant ses ordres au Rhamesséium et au palais de Rhamsès-Meïainoun; enfin un cheik de Karnac, devant lequel tout se prosterne dans les colonnades du vieux palais des rois d'Égypte. Je leur fais porter de temps en temps des pipes et du café, et mon drogman est chargé de les amuser pendant que j'écris; je n'ai que la peine de répondre, par intervalles réglés, Thaïbin (Cela va bien), à la question Ente-Thaïeb (Cela va-t-il bien)? que m'adressent régulièrement toutes les dix minutes ces braves gens que j'invite à dîner à tour de rôle. On nous comble de présents; nous avons un troupeau de moutons et une cinquantaine de poules qui, dans ce moment-ci, paissent et fouillent autour du portique du palais de Kourna. Nous donnons en retour de la poudre et autres bagatelles. Je voudrais que le docteur Pariset vînt me joindre; nous pourrions causer Europe, dont je n'ai aucune nouvelle, pas même d'Alexandrie. J'écrirai de Syène, avant de franchir la première cataracte, si cependant j'ai une occasion pour faire descendre mes lettres. J'envoie celle-ci à Osiouth, où j'ai établi un agent copte pour notre correspondance. J'ai recueilli à Béni-Hassan beaucoup de fossiles pour M. de Férussac; j'en ai trouvé aussi de très-beaux à Thèbes. J'espère aussi que notre vénérable ami M. Dacier trouvera quelque distraction à ses souffrances dans le peu que j'ai pu dire des magnificences de cette Thèbes qui excitait tant son enthousiasme à cause de l'honneur qui en revient à l'esprit humain; je lui en dirai encore davantage. Il ne manque à mes satisfactions que celle de recevoir des lettres de France..... Adieu.
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