Mémoires d'un cambrioleur retiré des affaires. Galopin Arnould. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Galopin Arnould
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066083403
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à caser dans le commerce... aucun marchand ne vous le prendra.

      —Je le sais, aussi mon intention n'est-elle pas de l'offrir à un marchand.

      —Alors?...

      —J'ai un ami qui est lapidaire et...

      —Oui, je comprends... il fractionnera le diamant... c'est dans les choses possibles, mais cela diminuera considérablement sa valeur.

      —On en retirera toujours trois millions, au minimum.

      —Ah! tant que cela, vous croyez?... Moi, j'estime qu'une fois morcelé, il vaudra tout au plus deux millions...

      —Ce sera encore une bonne affaire...

      —Certes... mais dites-moi donc, je ne vois pas pourquoi nous ne partagerions pas...

      —Il me semble que vous aviez accepté cinq cent mille francs...

      —Oui... c'est vrai, mais j'ai réfléchi... J'estime maintenant que nous devons partager...

      J'étais pris... Que pouvais-je refuser à cet individu qui me tenait sous la menace de son revolver. Je souscrivis donc à toutes ses conditions, bien décidé à discuter plus tard, avec lui, quand je pourrais enfin exprimer librement ma pensée. Pour l'instant, j'étais dans la situation d'un homme qui se noie et qui cherche à se rattraper à la moindre branche, à la plus précaire des épaves.

      —Soit, dis-je, j'accepte... nous ferons deux parts égales, de la somme que nous retirerons du diamant.

      Et j'ajoutai hypocritement:

      —D'ailleurs, je serai très heureux de vous obliger, car j'avoue que vous m'êtes très sympathique.

      Melchior de Manzana me regarda avec méfiance.

      —N'exagérez pas, dit-il.

      —Je vous assure...

      —C'est bien, trancha-t-il... puisque nous sommes d'accord, remettez-moi l'objet, je vais le serrer dans mon coffre-fort.

      —Ah! pardon, fis-je... cela n'était pas dans nos conventions.

      —Possible... mais vous admettrez bien que je m'entoure de quelques garanties... Vous ne supposez pas que je vais vous laisser filer avec votre diamant...

      —Certes non, mais qui me dit qu'une fois que vous l'aurez enfermé dans votre coffre-fort, vous ne me flanquerez pas à la porte purement et simplement.

      Mon interlocuteur eut un petit haussement d'épaules.

      —Mon cher Pipe, répondit-il (il m'appelait son cher Pipe), permettez-moi de vous dire que vous manquez un peu de perspicacité... Voyons, il suffit de raisonner, que diable! Vous vous présentez chez moi en crochetant ma serrure, je vous reçois, le revolver à la main, nous discutons et finalement je consens à traiter avec vous... Au lieu de vous livrer à la police, comme c'était mon droit—je dirai plus, mon devoir—je fais taire tous mes scrupules d'honnête homme et je deviens... votre associé... Triste association, à la vérité, car le capital que vous m'apportez étant de source suspecte, je risque, par la suite, de devenir complice d'un vol... Je joue gros jeu, moi aussi, vous en conviendrez...

      —Evidemment... évidemment, mais vous vous compromettez davantage encore en conservant le diamant chez vous, dans votre propre secrétaire... Avez-vous donc l'intention de le vendre vous-même?

      —Non, mon cher Pipe, cela vous regarde... Quand nous aurons trouvé un acquéreur, je vous rendrai votre pierre précieuse et nous irons tous deux chez cet acquéreur. En un mot, nous ne nous quitterons plus un seul instant... A partir de cette minute, vous devenez mon hôte, mon commensal... vous vous installez ici... Je vous fais dresser un lit dans cette pièce, à côté du coffre-fort et vous pouvez ainsi surveiller votre «gage». Que vous faut-il de plus?

      Ce raisonnement était loin de me convaincre, mais dans la situation où je me trouvais, je devais tout accepter. Le revolver, un petit browning bronzé, était toujours sur la table et Manzana le caressait de temps à autre d'un geste nonchalant.

      La grande force, dans la vie, c'est de gagner du temps, car avec le temps les affaires les plus compliquées finissent souvent par s'arranger d'elles-mêmes... Je cédai donc et remis le diamant à Manzana. Il le regarda de nouveau, s'extasia sur son poids et sa limpidité, puis, ouvrant son coffre-fort, le plaça soigneusement sur la tablette du haut, dans une petite caisse à monnaie. Cela fait, il referma la porte de fer, mit la clef dans la poche de son gilet, puis, familièrement, vint s'asseoir sur le divan, à côté de moi.

      Il avait laissé son revolver sur la table et j'aurais pu, à ce moment, me jeter sur lui, l'étourdir d'un coup de poing et reprendre mon bien, mais je n'osai point... Manzana était un individu taillé en force, un gaillard au cou de taureau, aux mains énormes et il n'eût fait de moi qu'une bouchée... Je songeai aussi à me précipiter vers le bureau, à y prendre la petite arme sournoise qui s'y trouvait, mais je compris que cela serait impossible... Manzana était assis à ma droite et il lui suffisait d'étendre la main pour s'emparer du browning. Il valait mieux user de ruse, attendre une occasion plus favorable... En tout cas, j'étais bien résolu à ne plus lâcher mon homme d'une semelle.

      —Mon cher Pipe, me dit brusquement Manzana, vous êtes ma providence.

      Et comme je le regardais, ahuri...

      —Oui... ma providence!... Voyez comme la vie est drôle... j'étais perdu, ruiné, prêt à m'enfuir je ne sais où, quand vous avez eu la bonne idée de crocheter ma porte... Cela vous étonne, hein? A voir cet intérieur plutôt luxueux, on dirait que je roule sur l'or... Hélas! mon cher Pipe, je suis pauvre comme Job... Rien de ce qui est ici ne m'appartient... j'ai loué cet appartement tout meublé à une vieille rentière en ce moment à Nice et qui ne se doute certainement pas qu'elle ne verra plus la couleur de mon argent... Voyons, causons sérieusement... vous m'avez dit tout à l'heure que vous saviez où placer notre diamant... expliquez-vous... Est-ce que vous ne vous illusionnez pas un peu?... Votre ami, le lapidaire, est-il un homme sûr? Avez-vous déjà traité quelque affaire avec lui? Ne craignez-vous point qu'il vous dénonce lorsqu'il aura «l'objet» entre les mains?

      —Non... mon lapidaire est un honnête homme...

      —Ah!... et où demeure-t-il?

      —A Amsterdam...

      Manzana bondit sur le divan comme s'il eût touché une pile électrique...

      —A Amsterdam!... à Amsterdam!... et vous croyez que nous allons aller à Amsterdam?

      —Il le faudra bien... à moins que vous ne connaissiez ici quelqu'un qui consente à nous acheter le diamant...

      —Au fait, vous avez raison... j'étais stupide... eh bien, nous irons à Amsterdam, voilà tout... mais, en ce cas, il faudrait partir le plus tôt possible.

      —Je suis à vos ordres... Demain, si vous voulez?...

      —Demain, soit... D'ailleurs, cela tombe à merveille, car j'ai quelques raisons pour ne pas m'éterniser à Paris... ainsi, c'est entendu, nous allons à Amsterdam. Là, votre ami le lapidaire fractionne le diamant, en opère la vente, nous remet l'argent, nous partageons et tirons chacun de notre côté... Combien croyez-vous que tout cela demande de temps?

      —Un mois au minimum...

      —Oui, c'est ce que je pensais... Et vous avez, bien entendu, de quoi payer notre voyage?

      Je regardai Manzana d'un air effaré...

      —Comment? fit-il, vous hésitez à me faire cette légère avance... mais je vous la rembourserai, mon cher, soyez tranquille.

      —Alors, vous n'avez pas d'argent?

      —Mais puisque je vous ai dit tout à l'heure que j'étais à la côte...

      —Eh bien! nous voilà propres!...

      —Vous n'avez pas d'argent non plus?

      —Rien