Mémoires d'un cambrioleur retiré des affaires. Galopin Arnould. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Galopin Arnould
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066083403
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toujours bleus, au milieu de décors féeriques.

      On s'évade facilement de ces régions-là... et l'on peut, au retour, se refaire une situation. On a acquis de l'expérience et la considération qui entoure généralement les voyageurs.

      Voilà pourquoi j'ai choisi la France... Résolu à commettre un vol qui en valût la peine, je décidai de m'emparer du Régent.

      Pour mener mon projet à bien, je choisis le jour de Noël, qui est d'heureux augure en Angleterre et, dans l'après-midi du 24 décembre, je me mêlai aux nombreux curieux qui s'écrasaient dans les galeries du Louvre.

      Après un examen attentif des locaux, mon plan fut vite arrêté; je devais attendre la nuit, sans trahir ma présence, dans les salles du musée même.

      Cela m'évitait d'avoir recours au procédé de l'escalade et s'accordait mieux avec mon caractère qui ne désire qu'une chose: passer inaperçu.

      Après avoir inspecté les diverses salles du Louvre, j'optai pour celle des Antiquités égyptiennes, où sont exposées les momies, salle assez peu fréquentée du public et, profitant d'un moment où il n'y avait personne, je me glissai rapidement dans une haute boîte, sorte de gaine oblongue qui—je m'en étais assuré quelques minutes auparavant—était vide et pouvait contenir un locataire de ma modeste corpulence.

      Je ne sais s'il vous est arrivé d'habiter quelque temps dans l'intérieur d'un sarcophage... Ceux qui l'auront tenté me comprendront. A vrai dire, on y est très mal; on y respire à grand'peine, et cela sent affreusement le moisi.

      Mais la situation s'aggrave lorsqu'on y doit rester des heures comme c'était mon cas.

      La nuit vint; j'entendis fermer les portes... Les minutes s'écoulaient, lentes, lentes! et j'avais l'impression, à la longue, de revivre les millénaires qui nous séparent de la première dynastie.

      J'étais fort indécis en somme... Comment sortirais-je de là? Je n'avais encore rien trouvé lorsque, vers minuit, j'entendis les gardiens pénétrer dans la salle. Ils s'arrêtèrent, se mirent à causer et, n'ayant rien de mieux à faire, j'écoutai.

      On sait quels étaient leurs propos. La contemplation prolongée de la reine Tia, les considérations funèbres qui s'ensuivirent, la nuit, la solitude et le naturel superstitieux de l'un d'eux les mettaient dans un état d'infériorité certaine.

      Ce me fut une inspiration. Plutôt que de compter sur le hasard qui pourrait bien ne point se manifester, je résolus de mettre à profit l'énervement de mes deux gêneurs et de frapper un grand coup.

      C'est alors que je commençai à remuer doucement dans mon sarcophage.

      L'effet fut prompt et rassurant... Les gardiens avaient peur... Ils n'étaient plus à craindre. Je graduai mes effets de terreur en souriant de leur épouvante... Alors, bien sûr de moi, je poussai l'audace jusqu'à m'évader de mon coffre, je ne dirai pas à leur nez, car ils fuyaient déjà à toutes jambes. J'étais libre de mes mouvements et seul dans cette salle tout à l'heure trop bien surveillée.

      N'avais-je pas raison de proclamer plus haut ma foi dans l'influence que peut avoir le Merveilleux?

      Cependant je n'étais pas au bout de mes peines. Il me fallait gagner la galerie d'Apollon, où je savais qu'était exposé le Régent, mais que je savais aussi spécialement gardée par un veilleur de nuit.

      Je me lançai provisoirement sur les traces de mes deux nigauds, de ce pas subreptice et silencieux qui convient au fantôme d'un Pharaon.

      Je vis bien, en traversant une salle, que mon apparition faisait quelque impression sur un gardien probablement dérangé dans son sommeil... L'alarme allait être donnée; je ne pouvais songer d'ailleurs à me risquer à l'aveuglette dans la galerie d'Apollon, et comme je venais d'arriver en haut de l'escalier de la Victoire, je m'aperçus que l'on avait là, fort à propos, reconstitué certain portique orné de deux cariatides provenant, je crois, des ruines de Delphes.

      Ce détail a peu d'importance; ce qui en avait plus pour moi, c'est qu'on avait, au fond de ce portique, tendu un rideau à la grecque dans le dos des deux cariatides.

      Je me cachai derrière ce rideau et attendis.

      J'assistai dans cet incognito qui me sied au conciliabule d'un homme à grosse voix et de mes deux gardiens de la salle des Antiquités Egyptiennes, puis je compris que le veilleur des diamants était appelé et convié à se joindre à la ronde.

      Alors je sortis doucement de ma cachette et revins à pas de loup vers la Rotonde.

      Tout le monde était occupé à discuter dans la salle des momies.

      Moi, le plus doucement possible, je gagnai la galerie d'Apollon... Elle était vide, comme je m'en doutais.

      Vite, ma petite lampe de poche, mon diamant de vitrier! Les feux du Régent guident ma main à travers la vitrine... Zzz!... Zzz!... Zzz!... Zzz!... quatre coups de diamant en rectangle... Je colle un paquet de mastic sur la partie délimitée... Je tire à moi, la vitrine est ouverte!... Je recueille le Régent, le mets dans mon gousset, puis j'ouvre sans bruit une fenêtre à laquelle j'attache la cordelette de soie qui ne me quitte jamais, et je me lance dans le vide.

      Il était temps; des pas se rapprochaient.

      Que l'on se figure, si l'on peut, la joie d'un heureux cambrioleur arrivant sans accroc, au pied du mur du Louvre, avec le Régent dans sa poche!...

       Table des matières

      OU IL EST PROUVÉ UNE FOIS DE PLUS QUE L'HOMME N'EST QU'UN JOUET ENTRE LES MAINS DU DESTIN

      Je vois d'ici le lecteur sourire et je devine la pensée qui lui est venue à l'esprit.

      Il se dit évidemment: «Quel être naïf que ce cambrioleur qui se figure pouvoir convertir en espèces un diamant connu de tous... Mais le premier marchand auquel il l'offrira le fera tout de suite arrêter, c'est certain.»

      Non, ce n'est pas si certain que cela. Voyons, vous supposez bien qu'un homme de mon acabit, un professionnel du cambriolage ne se serait pas risqué à tenter un coup comme celui-là, s'il n'avait su d'avance où placer le «produit de son travail». Je ne suis plus un novice et la discrétion que j'observe en toutes choses m'a valu la confiance, je dirai plus, l'amitié de certain négociant d'Amsterdam qui s'entend, comme pas un, à tailler le diamant.

      C'est à lui que je m'adresserai. Il partagera le Régent en plusieurs morceaux et le vendra ainsi au détail, en prélevant, comme il est juste, pour sa part, une sérieuse commission. Tout compte fait, il me reviendra de cette vente quelques petits millions que je saurai employer, je vous prie de le croire.

      Edith, d'ailleurs, m'aidera de son mieux, car pour gaspiller l'argent, elle n'a pas sa pareille.

      Puisque je viens de prononcer le nom d'Edith, je crois que je ne dois plus tarder à vous la présenter. Edith est ma maîtresse, une maîtresse ravissante, exquise, jolie, comme le sont les Anglaises quand elles se mettent à être jolies. Je l'ai connue à Ramsgate où j'étais allé me reposer un peu des fatigues du métier, il y a de cela un an, et j'avoue que, depuis notre première rencontre, elle a toujours fait preuve d'une fidélité vraiment exemplaire. De plus, et cela est aussi très appréciable, aucun nuage n'est venu ternir notre lune de miel.

      Bien entendu, je n'ai jamais révélé ma profession à Edith, car les femmes, si parfaites qu'elles soient, ont toujours une tendance à trop bavarder et, bien que je m'honore de pratiquer le cambriolage, j'ai craint qu'elle n'éprouvât quelque répugnance pour cette sorte d'art que réprouve une morale trop étroite. Elle me croit, sinon riche, du moins fort à l'aise et ignore, la pauvre chatte, que les deux billets de mille francs qui se trouvent dans mon secrétaire constituent pour l'instant toute ma fortune.

      C'est,