—Vous n'allez pas me faire une conférence, je suppose... Ah! non, en voilà assez!... Allons, ouste! descendez avec moi chez le concierge...
—Une seconde, je vous en prie...
—Descendez, vous dis-je...
—Vous ne voulez pas m'écouter, vous avez tort!... Tenez, je m'explique... Je ne sais quelle est votre situation de fortune, mais si vous consentez à me laisser libre, je vous donne cinq cent mille francs...
—Vous êtes fou...
—Non... c'est sérieux... tout ce qu'il y a de plus sérieux... Vous m'avez pris pour un cambrioleur... eh bien! vous vous êtes trompé... je suis riche... riche à millions, entendez-vous.
Mon interlocuteur me regarda d'un air inquiet...
Comme je m'étais rapproché, il crut sans doute que j'allais me jeter sur lui, car il leva de nouveau son revolver, mais sans me laisser intimider par ce geste, je repris avec plus de force:
—Oui... riche à millions et si vous voulez me promettre de ne rien tenter contre moi, je vais vous le prouver à l'instant. Il ne faut pas se fier aux apparences... Je sais que tout m'accuse, mais quand vous saurez pourquoi je tenais tant à m'introduire chez M. Bénoni, vous comprendrez tout... Il y a dans la vie...
—Au but... et vivement...
—J'y arrive, mais d'abord acceptez-vous mes conditions?
—Cela dépend...
—Il faut que je sois fixé... car si vous refusez, je n'ai aucune raison de vous révéler mon secret...
—Cinq cent mille francs, avez-vous dit?
—Oui, cinq cent mille francs...
—Comptant?...
—Presque...
—Oui, je vois, vous cherchez à me monter le coup...
—Je vous jure que je dis la vérité.
L'homme brun me regardait fixement et je voyais bien que l'affaire l'intéressait.
—Ecoutez, lui dis-je... vous êtes un gentleman... moi aussi, quoique toutes les apparences soient contre moi.
—En effet... un gentleman qui a sur lui un trousseau de fausses clefs et qui crochette les serrures...
—Ce n'était pas la vôtre que je voulais crocheter... bref... puisque le hasard m'a jeté entre vos mains, je suis prêt à vous acheter ma liberté... Cinq cent mille francs... acceptez-vous?
—Oui, si vous payez immédiatement.
—Bien, alors nous allons nous entendre...
VI
LE TOUT EST DE S'ENTENDRE
La partie était engagée... On conviendra qu'elle était délicate. Mon interlocuteur avait un revolver... J'étais donc à sa merci. Comment allais-je me tirer de là? Je ne pouvais compter que sur mon seul talent de persuasion... Arriverais-je à convaincre l'homme que j'avais en face de moi et surtout à lui faire accepter la combinaison que j'allais lui proposer? Je serais obligé de lui montrer mon diamant, et comme il était le plus fort, il pouvait chercher à me l'enlever, mais j'étais résolu à tout... même à me faire tuer pour défendre mon bien.
—Voulez-vous, dis-je, allumer la lampe qui se trouve sur votre bureau?
Mon adversaire tourna le commutateur et une éblouissante clarté se répandit sur la table.
M'approchant alors, je tirai de la poche de mon gilet le petit sac en peau dans lequel était enfermé mon trésor.
—Voici, dis-je, une fortune de plusieurs millions.
Et je fis scintiller le diamant sous la lampe.
L'homme brun ouvrait des yeux larges comme des soucoupes; il devait se connaître en pierres précieuses, je vis cela tout de suite, car il eut une exclamation de surprise, puis, se tournant vers moi:
—Où avez-vous eu cela? demanda-t-il.
—Peu importe, répondis-je... Ce diamant est-il vrai ou faux?
—Parbleu!... il est vrai, je le vois bien, il est même...
Et en disant ces mots, il avança la main, mais je retirai vivement la mienne.
—Jamais, prononça-t-il, vous ne vous débarrasserez de cet objet-là...
—Vous croyez?
—J'en suis à peu près sûr.
—Ne vous inquiétez pas de cela... je sais où le placer.
Nous nous regardâmes un instant. Mon interlocuteur semblait s'être radouci et il avait laissé retomber son bras droit... Je crus qu'il allait poser son revolver sur la table, mais il le gardait toujours à la main...
—Vous voyez, dis-je, que je ne vous avais pas trompé... allons, acceptez-vous ma proposition?
L'homme brun parut réfléchir, puis au bout d'un instant:
—Eh bien oui... j'accepte, mais à une condition.
—Laquelle?
—C'est que vous allez immédiatement déposer ce diamant dans mon coffre-fort...
—Ah!... fis-je, légèrement ému... et après?
—Après... nous causerons...
—Ne pouvons-nous causer maintenant? Que pouvez-vous craindre?... vous avez un revolver, moi, je n'en ai pas... Je suis à votre discrétion.
—C'est vrai... eh bien, asseyez-vous sur ce divan, là, en face de moi.
Je pris place sur le divan; mon interlocuteur s'assit dans un fauteuil, derrière son bureau et plaça son browning à côté de lui. Il avait tourné la lampe électrique dans ma direction, de sorte que je me trouvais en pleine lumière, tandis que lui m'apparaissait vaguement dans l'ombre... Ses yeux, qui brillaient comme deux escarboucles, étaient continuellement fixés sur les miens, et j'éprouvais une certaine gêne, sous l'influence de ce regard magnétique, inquiétant et narquois.
—Puisque nous devenons associés, prononça-t-il enfin, il est assez juste que nous nous présentions l'un à l'autre... Mon nom, je crois déjà vous l'avoir dit, est Melchior de Manzana... et le vôtre?
—Edgar Pipe.
—Vous êtes sujet anglais?
—Oui...
—Je m'en étais aperçu à votre accent... Moi, je suis Colombien...
Il y eut un silence, puis il reprit:
—Maintenant que les présentations sont faites, revenons à notre affaire... Je ne vous demanderai pas comment le superbe diamant que vous venez de me montrer est tombé entre vos mains... Vous ne l'avez pas, je suppose, trouvé dans la rue... Vous l'avez, c'est le principal, mais je doute que nous nous en débarrassions facilement.
—Si... très facilement...
—Vous croyez?
—J'en suis sûr...
—Auriez-vous déjà acquéreur?
—Oui... et non...
Melchior de Manzana eut un mouvement d'impatience aussitôt réprimé, puis après avoir un instant tapoté du bout des doigts la plaque de verre qui recouvrait son bureau, il laissa tomber ces