Maurice faisait carpette devant Mme Rossi, Cassie ne savait pas s'il l'ignorait délibérément ou involontairement, peut-être pour lui montrer l'importance qu'il avait dans sa vie, comparé à Cassie.
Elle les suivit jusqu'au bureau, légèrement en retrait, guettant une pause dans la conversation pour aborder la question des horaires des enfants.
Il devint rapidement évident qu'aucune pause n'était prévue. Penchés sur l'ordinateur de Maurice, personne ne lui adressait le moindre regard. Cassie était persuadée que Maurice l'ignorait volontairement. Il ne pouvait décemment ignorer sa présence.
Elle voulut les interrompre mais l'idée la gênait. Ils étaient hyper concentrés, Cassie ne voulait pas fâcher Mme Rossi ; cette femme montait vite dans les tours, vue la conversation à laquelle elle avait assisté hier malgré elle.
Elle était toute contente d'avoir été engagée, portée aux nues par Mme Rossi. Mais ce matin, c'est comme si elle était transparente aux yeux de cette femme influente.
Cassie repartit, découragée et perdue. Elle essaya de refouler ses pensées négatives et se souvint que son rôle consistait à s'occuper des enfants et ne pas monopoliser l'attention de Mme Rossi, fort occupée. Espérons que Nina et Venetia connaissent leur emploi du temps.
Cassie entra dans les chambres des filles, qu'elle trouva vides. Les deux lits étaient soigneusement faits, les chambres bien rangées. Cassie supposa qu'elles devaient prendre leur petit déjeuner, elle les trouva dans la cuisine à son grand soulagement.
"Bonjour Nina et Venetia."
"Bonjour," répondirent-elles poliment.
Nina était assise sur une chaise, Venetia, derrière elle, lui faisait une queue de cheval. Cassie supposa que Nina avait attaché les cheveux de sa sœur, Venetia étant déjà coiffée.
Les deux filles portaient des tabliers rose et blanc. Elles avaient préparé des tartines et du jus d'orange, déposés sur le comptoir.
Cassie était frappée par leur complicité. Elle les avait à peine vues mais les deux sœurs entretenaient une relation visiblement harmonieuse ; aucunes disputes ou taquineries. Elles avaient pratiquement le même âge mais on aurait dit des jumelles, et non des sœurs n'ayant pas le même âge.
"Vous êtes très organisées," décréta Cassie, admirative. "Vous vous occupez bien l'une de l'autre. Je peux vous apporter quelque chose ? Vous voulez quoi sur vos tartines ? Confiture, fromage, beurre de cacahuètes ?"
Cassie ne savait pas ce qu'il y avait à la maison, mais elle était sûre que les placards en contenaient forcément.
"J'aime bien du pain et du beurre," dit Nina.
Cassie supposait que Venetia choisirait comme sa sœur mais la fillette la regarda avec un intérêt certain, comme si elle réfléchissait à sa proposition. "De la confiture, s'il te plaît."
"De la confiture ? Pas de problème."
Cassie ouvrit les placards et trouva confiture et pâtes à tartiner très haut sur une étagère—hors d'atteinte des enfants.
"Confiture de fraise et confiture de figue. Au choix ? Ou du Nutella."
"Fraise, s'il te plaît," demanda poliment Venetia.
"On n'a pas droit au Nutella," expliqua Nina. "C'est seulement pour les grandes occasions."
Cassie acquiesça. "C'est normal, c'est absolument délicieux."
Elle donna le pot de confiture à Venetia et s'assit.
"Vous avez quoi de prévu ce matin, les filles ? Vous êtes prêtes pour l'école. Je vous emmène ? À quelle heure ça commence, par où on passe ?"
Nina termina sa tartine.
"L'école commence à huit heures mais on finit à quatorze heures trente, on a une leçon de chant. Giuseppe le chauffeur nous emmène et vient nous chercher."
“Oh.”
Cassie ne put réprimer son étonnement. Cette maison était plus organisée qu'elle l'imaginait. Elle craignait de faire double emploi, que Mme Rossi s'aperçoive qu'elle pouvait se passer d'elle, qu'elle n'aurait peut-être pas besoin d'elle pour les trois mois complets. Elle devait se rendre utile. Les enfants auraient probablement des devoirs après l'école, elle pourrait alors les aider.
Cassie se leva et se prépara du café tout en réfléchissant à sa stratégie.
Lorsqu'elle se retourna, elle constata que les filles avaient terminé leur petit déjeuner.
Nina rangeait les assiettes et les verres dans le lave-vaisselle, Venetia approcha un tabouret du placard. Elle monta dessus sous les yeux de Cassie et tendit la main le plus haut possible pour remettre la confiture en place.
"Laisse. Je m'en occupe."
Venetia regarda le tabouret d'un drôle d'air, Cassie se rua vers elle, redoutant un désastre.
"Je vais le faire."
Venetia tenait fermement le pot de confiture, refusant que Cassie le lui prenne.
"Laisse-moi faire, Venetia. Je suis plus grande que toi."
"C'est à moi de le faire." La grande fille était déterminée. Elle tenait vraiment à le faire.
Venetia se mit sur la pointe des pieds – Cassie plantée derrière elle, anxieuse, se tenait prête à la rattraper si le tabouret basculait – rangea le pot de confiture avec précaution au bon endroit.
"Bravo," la félicita Cassie.
Son indépendance faisait partie intégrante du caractère et de l'éducation de la fillette. Un fait pour le moins inhabituel, mais elle n'avait encore jamais travaillé pour une famille aussi huppée.
Elle regarda Venetia remettre le tabouret à sa place. Nina rangea le beurre au réfrigérateur et le pain dans sa corbeille. La cuisine était immaculée, comme si personne n'avait pris de petit déjeuner.
"Giuseppe ne pas va tarder à arriver," rappela Nina à sa sœur. "On doit se brosser les dents."
Elles sortirent de la cuisine et montèrent dans leur chambre, sous le regard admiratif de Cassie. Elles revinrent au bout de cinq minutes avec leurs cartables et leurs manteaux et sortirent.
Cassie les suivit, préoccupée par leur sécurité, une Mercedes blanche avançait vers la maison. Elle s'immobilisa dans l'allée circulaire au bout de quelques instants, les filles montèrent en voiture.
"Au revoir," Cassie les salua d'un geste de la main mais elles ne pouvaient pas l'entendre, aucun des enfants n'esquissa le moindre geste en guise en réponse.
Cassie rentra et constata que Mme Rossi et Maurice étaient partis. Aucun membre du personnel n'était présent à cet instant.
Cassie était toute seule.
"C'est pour le moins inattendu."
La maison était silencieuse, se retrouver seule ici la troublait. Elle imaginait avoir fort à faire, qu'elle serait beaucoup plus occupée avec les enfants. Leur organisation était étrange, comme si elles n'avaient pas besoin d'elle.
Elle se rassura en se disant que ce n'était que le début, qu'elle devait s'estimer heureuse d'avoir du temps pour elle. Probablement le calme avant la tempête, elle n'aurait plus un moment à elle au retour des enfants.
Cassie décida d'utiliser son temps libre pour suivre la piste d'hier. Cette matinée de liberté inespérée était sa seule chance de découvrir où se trouvait Jacqui.
Sa piste était maigre. Un nom de ville était son seul et unique indice.
Mais elle ferait avec, plus résolue que jamais.
Cassie se connecta au Wi-Fi et surfa pendant une heure pour découvrir la ville où habitait Jacqui – ou du moins, là où Tim le barman avait dit qu'elle vivait, voilà quelques semaines.
Que