La Pire Espèce. Chiara Zaccardi. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Chiara Zaccardi
Издательство: Tektime S.r.l.s.
Серия:
Жанр произведения: Ужасы и Мистика
Год издания: 0
isbn: 9788873044697
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commence » pense-t-il.

      POLLYANNA

      Dimanche 10 mars

      Polly est dans l’incertitude. Elle est en train d’essayer de faire deux choses en même temps et personne ne lui vient en aide. Elle est assise sur le rebord de la fenêtre, le visage tourné vers la lumière de ce début d’après-midi. Elle veut bronzer. Mais bronzer est une chose ennuyeuse, et elle a du mal à rester cuire pendant des heures, immobile sur un transat. La dernière fois qu’elle a essayé, elle s’est endormie, et quand Lola, la domestique, l’a réveillée, sa peau claire était déjà grillée comme une brochette sur un barbecue.

      Elle veut peindre aussi, mais dans une position aussi inconfortable que la sienne, ce n’est pas évident. Elle enroule le short en jean plus haut sur les cuisses blanches, et la toile lui glisse sur les jambes, visant directement le jardin, deux étages en-dessous. Polly la rattrappe par un angle et la ramène pour la positionner sur les genoux.

      Sa Chrysler reluit devant le portail de la maison. Elle a presque fini de la dessiner, mais à force de la regarder de biais et d’en haut, elle a très mal au cou et pourtant, elle n’est pas satisfaite du résultat.

      « La voiture est superbe, mais plus qu’un tableau, on dirait la publicité d’un concessionnaire » réfléchit-elle, indécise sur le contour.

      Sa voiture lui plaît beaucoup : au départ, lorsqu’il y a un an, sa mère la lui avait offerte, elle était d’une banale couleur blanc crème et elle, au lieu de l’utiliser, elle l’avait enfermée dans le garage pendant une semaine, travaillant dessus jour et nuit. Elle a reproduit et mélangé sur la carrosserie des détails d’oeuvres célèbres, finalisant le tout avec l’écriture “ art on the street ”sur le côté. Elle donne tellement bien que maintenant, quand elle arrive à l’école, tout le monde la reconnaît.

      Elle veut créer sur la toile une ambiance particulière qui servirait de fond à sa création, mais ne lui viennent en tête que des choses banales comme la Route 66 ou des décors spatiaux.

      Transpirer sous le soleil ne l’aide pas à se concentrer. Elle a besoin d’une pause. D’un bond, elle descend du rebord, atterrit sur le lit et laisse le dessin sécher par terre. Elle lance depuis sa chaîne La grotte de Fingal de Mendelssohn et s’asseoit à son bureau, lorgnant avec intérêt sa dernière acquisition.

      « Extraordinairement précoce, Picasso fait ses débuts à seize ans, après une courte période d’études au sein des académies de Barcelone et de Madrid, avec des oeuvres vigoureusement réalistes... » lit Polly dans le livre encore à moitié encellophané. « ...Voilà, je le savais ! Par rapport à lui, je suis déjà en retard d’un an, et je ne suis encore jamais allée en Europe ! »

      Elle déniche une fléchette parmi le tas de feuilles et des crayons sur le bureau : « Malédiction ! » s’exclame-t-elle avec mécontentement en la lançant vers la cible suspendue à la porte de la chambre, à l’instant même où sa mère l’ouvre.

      « OUAH ! » madame Patter baisse la tête, la flèche lui effleure les cheveux puis va se perdre dans le couloir derrière elle.

      « Excuse-moi, mam » soupire Polly, tout en se concentrant de nouveau sur le livre.

      « Pollyanna, qu’es-tu en train de faire ? »

      « Je travaille » .

      « Vraiment, chérie ? L’école a envoyé une lettre dans laquelle il est écrit que tes notes du dernier trimestre ont fortement diminué » la maman reste sur le pas de la porte, levant l’enveloppe qu’elle tient dans ses mains afin de donner plus d’emphase à ses mots.

      « En effet, j’essaie de rattrapper » .

      « Certains enseignants regrettent le fait que tu n’aies même pas les cahiers nécessaires. Comment c’est possible ? Je t’ai donné plusieurs fois de l’argent pour que tu les achètes » .

      « Parfois, je les oublie à la maison. C’est tout » bougonne la fille, en arrachant de la couverture du livre qu’elle a devant elle, les derniers morceaux de cellophane qu’elle referme sous son poing.

      Madame Patter s’approche du bureau de sa fille et remarque la photo de la Nature morte verte.

      « Ce n’est pas en arts plastiques que tu dois rattrapper, tu sais. Pourquoi est-ce que tu ne te concentres pas un peu sur la géographie, les maths ou la biologie ? »

      « Ça va, maman » Polly lance à sa mère un regard cuisant. « Commençons par la géographie. Pourquoi est-ce que tu ne m’autorises pas à aller à Londres, comme ça, au prochain devoir sur l’Angleterre, je pourrais avoir la meilleure note ? »

      « Pollyanna, on en a déjà parlé alors s’il te plaît ne me pose plus la question : avant, tu dois finir le lycée. Ces voyages d’études te feraient manquer trop de jours d’école, c’est mieux de les reporter quand tu seras diplômée » .

      « Je m’en fiche de louper les cours, l’école sert aux gens qui ne savent pas ce qu’ils veulent faire dans la vie, alors que moi, je sais. Je veux peindre. Pourquoi as-tu autant de mal à le comprendre ? À Londres, dans un mois, se tiendra un séminaire interactionnel très important sur la peinture abstraite contemporaine » .

      « Chérie, tu sais combien de milliers de personnes ont ou ont eu les mêmes ambitions que toi ? Tu lis un tas de choses sur des personnes célèbres comme Picasso, Dalí ou Monet, et tout te semble facile. Mais ça ne fonctionne pas comme ça, tu pourrais être déçue et ne pas atteindre tes objectifs. Et d’ailleurs, de quoi vivrais-tu ? Tu dois t’ouvrir le maximum de portes, pour que tu puisses faire autre chose si ton rêve ne se réalisait pas » .

      « Merci beaucoup pour les encouragements » .

      « J’essaie seulement de t’inciter à être plus raisonnable et responsable » .

      « Ah, donc toi, tu étais raisonnable et responsable quand, à dix-huit ans, tu a fui la maison pour aller vivre avec un producteur qui te permît de travailler comme actrice ? »

      « Moi, j’étais pauvre, Pollyanna, et je n’avais, de toute façon, pas beaucoup d’autres alternatives. J’ai été inconsciente et j’ai eu de la chance. J’ai agi sur un coup de tête qui s’est bien terminé, mais je ne permettrais pas que ma fille fasse la même chose. Il existe des solutions plus sûres et moins dangereuses » .

      « La vérité, c’est que tu as seulement peur que je devienne comme papa ! » explose Polly, fâchée par le sermon.

      « Ne sois pas malpolie maintenant, Pollyanna. Pense positivement : avec une plus grande culture, tu apprécieras plus les beautés de tes prochains voyages » .

      « Toi aussi, pense positivement : quand je fuirai la maison, parce que je serai trop fatiguée d’entendre tes excuses, tu pourras alors être fière de me voir suivre tes traces ! »

      « Fais en sorte d’acheter le matériel scolaire, Pollyanna, sinon tu n’auras même plus un centime pour le reste » conclut madame Patter avec un regard éloquent vers le livre de Picasso.

      Elle sort de la chambre en fermant la porte contre laquelle Polly jette un pinceau.

      Elle passe le doigt sur la photo de Guernica, puis referme le livre d’un coup sourd.

      « Dans les biographies, personne ne parle jamais des rapports entre les artistes et leur famille... » pense-t-elle. « Et pourtant, ce serait intéressant de savoir si les grands ont, eux aussi, eu les mêmes problèmes que nous le commun des mortels... Qui sait, peut-être qu’aussi la mère de Picasso était obtus comme la mienne... »

      “ Mon petit Pablo, sois réaliste, tu ne deviendras jamais célèbre avec le peu de couleurs que tu utilises... ”

      “ Maman, tais-toi, je suis dans ma période rose... ”

      “ Mais, mon petit Pablo chéri, tu ne crois pas que le rose soit une couleur un