Roman-voyage sur l’amour et le salut du monde. Basé sur des faits réels, ce texte est publié à la mémoire de son auteur.
Mara Ming
© Mara Ming, 2019
ISBN 978-5-0050-2501-2
Created with Ridero smart publishing system
Mot de l’éditrice
Je publie ce roman pour la mémoire d’un être cher, qui n’est plus de ce monde. De son vivant l’auteure ne voulait pas publier ce texte, elle le jugeait trop personnel et imparfait. Mais aujourd’hui, je pense qu’il doit paraître: c’est la seule chose que je peux encore faire pour toi – et peut être pour les personnages de ton livre.
Tous les événements mentionnés dans ce livre sont réels. C’était génial, petite! Tu me manques souvent.
Avec tout mon amour,
Marsa Asher.
P.S. L’original est écrit en russe et je voudrais exprimer une énorme et sincère reconnaissance à Pascal Durand, homme de grand coeur et aux grands idéaux, entêté, intransigeant, ami fidèle. Ce n’est que grâce à lui que la traduction de la première partie du livre à vu le jour. La deuxième partie n’est pas encore traduite en francais.
Russie.
Irkoutsk
Peut-être devrais-je commencer par la fin?
A partir de ce moment précis, par exemple, où on est attablés avec Pascal, qui a courageusement décidé de me sauver, et qu’on corrige, depuis on ne sait quand, mon texte français bancal. De l’hiver sibérien, du thé au sagan dalya. De nos chamailleries sur la traduction.
Boucler ce texte, et alors, peut-être finira-t-il? Il se fermera en rond comme un serpent qui se mord la queue, et moi je pourrai alors enfin m’échapper?
Ruse d’enfant. Je me demande bien qui je veux tromper.
Qu’importe par où on commence, on ne réussira pas à couper au plus court. On n’a pas pu laisser tomber: c’est mon entêtement et ma cabochardise qui m’en ont empêché, et c’est la parole d’honneur et le respect pour mon acte téméraire, comme il dit (je dirais plutôt, folle), qui en ont empêché Pascal. Si on a un ami obstiné, on peut se considérer comme chanceux.
Alors, non. Je commencerai à partir d’où j’avais commencé il y a une année et demie.
A partir de ça :
«Miss! Avignon! You arrived! Miss!»
France.
Avignon
I
Dans le bus de nuit Eurolines Milan-Marseille – bruyant, frigorifique en raison de la clim trop forte – j’en ai vu de toutes les couleurs. Toute la nuit, je me suis tournée d’un côté sur l’autre dans un fauteuil incommode: tantôt quelque chose me pressait le dos, tantôt j’avais soif, tantôt froid, tantôt chaud. Quand il a commencé à faire jour à travers la vitre, je me suis collé un masque de sommeil sur le nez et soudain, d’une façon tout à fait inattendue, je me suis déconnectée; je me suis effondrée dans le sommeil comme dans un puits. Le bus se balancait au rythme des virages, des gens changeaient de place et sortaient, mais moi, je m’en foutais. Dans cette paralysie du sommeil, je serais probablement arrivée jusqu’à Marseille, quand soudain :
«Miss! Avignon! You arrived! Miss!»
En toute hâte, j’ai ramassé mes sacs, me suis precipitée vers la sortie (tout le monde m’attend!) et ai dégringolé les marches. Le bus a craché un petit nuage de fumée et est parti.
J’ai clignoté des yeux, ai mis mes lunettes de soleil. Puis je les ai enlevées. Je me suis frotté les yeux.
Si je me lave le visage, est-ce que ça m’aidera?
A droite, de l’autre côté de la route, à travers une petite place, il y avait une gare: un bâtiment carré de style classique, décoré de pilastres et d’une horloge ronde, telle une cerise sur un gâteau. Gare d’Avignon Centre. Je m’y suis dirigée. A cette heure-là, il n’y avait pas beaucoup de gens, la gare sonore et ensoleillée était presque vide. Les WC se trouvaient à même le quai, tout au bout de celui-ci. Là, je me suis lavé le visage et me suis brossé les dents; la fille des toilettes, d’un sourire endormi, m’a tendu les 50 centimes de monnaie sur un euro, et s’est mise à rire tout en agitant la main, quand je me suis dirigée par erreur vers la partie pour hommes.
J’ai bu un expresso dans un petit bar de la gare, puis j’ai retraversé la route et me suis retrouvée devant l’enceinte de la cité.
Bigre, me suis-je soudain étonnée. Avignon!
Il était un peu plus de sept heures du matin. La lumière du soleil, encore laiteuse, s’écoulait sur les écailles de la vieille ville. Quand on n’a pas bien dormi, on voit les couleurs plus vives que ce qu’elles sont: le ciel était d’un bleu de fête, les lignes et les angles semblaient avoir été tracés avec un crayon pointu. Le long des remparts, des arbres aux têtes rondes, tous identiques, étaient plantés. Les ombres de leurs couronnes tombaient obliquement sur le mur, et je me suis arrêtée un instant: il m’a semblé soudain que des dizaines de paumes soutenaient l’enceinte de la cité.
Ayant enfoncé mes écouteurs dans mes oreilles, j’ai mis « La Traviata». Je l’écoutais quand j’avais besoin de me donner la pêche. Strictement parlant, je l’écoutais tout le temps: cet enregistrement de 1967, où Montserrat chante Violetta, et Milnes Alfredo. Je n’aimais pas les autres.
Derrière les remparts, solides comme une malédiction, se trouvait la vieille ville: toute de deux, trois étages, toute déteinte. Des maisons aux couleurs fanées: roses, jaunes, marron. Des fenêtres étroites. Sur leurs murs, à la manière d’une solution d’encre pâle sur du buvard, se répandait du salpêtre cyanosé.
Personne n’était encore réveillé: c’était très calme. L’eau verte demeurait immobile dans les caniveaux, les pigeons se serraient l’un contre l’autre sur les parapets, et sous eux, dans l’eau, des affiches se reflétaient comme des ramages-aquarelle. Des affiches, des dizaines et des centaines d’affiches multicolores. Collées sur les murs, pendues en ribambelle sur des cordes, tel du linge en train de sécher. Un tetris d’affiches. John m’avait écrit qu’ils avaient une sorte de fête: soit une foire, soit un festival des vendanges. Ou je ne sais quoi encore. Il aurait pu écrire n’importe quoi: ai-je déjà lu, ne serait-ce qu’une fois, quelque chose attentivement? Le plan qu’il m’avait envoyé (» it’s easy to reach me from the station»), je ne l’avais pas gardé non plus, et c’est seulement par miracle que je m’en suis sortie: en prenant au pif un croisement, je suis littéralement tombée sur un grand panneau avec le plan de la ville. Celui-ci ressemblait à un gros cerveau: ovale de forme irrégulière, enflé sur la droite. D’après l’image, il s’avérait que John était à deux pas. Sa rue s’étendait à partir de l’enceinte même de la cité, de l’autre côté de celle-ci.
A droite, à la sortie de la vieille ville, verdoyait un petit parc. A gauche, dans l’ombre épaisse des arbres, un bureau de tabac prenait racine. J’avais envie de fumer, mais je ne me suis pas résolue à y entrer; les vitres teintées donnaient l’impression de cacher quelque chose d’honteux. J’y suis passée devant d’un pas décidé.
Le premier immeuble de l’autre côté de la route – long, d’un rose sale – s’est avéré être celui qu’il me fallait. 5, Avenue de la Synagogue. Près d’une fenêtre au premier étage, se profilait une croix en ruban adhésif rouge, collée de travers sur le béton. Ça m’a amusée: c’était une balise pour moi.
– –
«There are a lot of apartments in that house» – John a écrit – « But there will be a sign for you near my window. And the same near the bell». Une mise en scène dans le style de Roméo et Juliette, sauf que c’est moi qui joue Roméo? Parfait! Ce scénario inversé m’a semblé tellement absurde que je m’en suis réjouie.
Tout de même, il est unique ce John.
J’ai dû sonner deux fois, mais je n’ai