Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5. Charles Athanase Walckenaer. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Charles Athanase Walckenaer
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Биографии и Мемуары
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de Montespan et le long règne de Maintenon.

      Si Louis XIV, par sa conduite réservée envers Louise de la Miséricorde, a été taxé d'ingratitude et d'oubli, c'est que le monde ne connaît d'autre passion que celle qu'inspirent les enchantements de la volupté, de l'esprit ou des talents, et qu'il ignore la force d'un attachement où l'âme et le cœur ont la principale part. Louis XIV y était sensible. On sait qu'en voyant la veuve de Scarron amaigrie par la douleur d'avoir perdu l'aîné des enfants de Montespan, confié à ses soins et âgé de trois ans, il avait dit: «Elle sait bien aimer; il y aurait du plaisir à être aimé d'elle229.» Et cependant, à cette époque, cette femme lui déplaisait souverainement, parce qu'elle plaisait trop à sa maîtresse.

      CHAPITRE VI.

      1674-1675

      Le parti religieux et le parti mondain se disputent l'influence sur Louis XIV.—Réforme dans la maison de la reine.—Les filles d'honneur sont remplacées par les dames du palais.—Effets de cette mesure.—Scrupules religieux de madame de Sévigné.—Sa visite à Port-Royal des Champs.—Son admiration pour le P. Bourdaloue.—Mort du grand Condé.—Bourdaloue console le duc de Gramont après la mort du comte de Guiche.—Madame de Sévigné détrompe sa fille, qui croit que l'on peut être à la cour longtemps triste.—Changement dans les spectacles de la cour.—Pour quelle raison le Malade imaginaire ne fut pas joué à la cour.—Molière et Lulli étaient rivaux.—Après la mort de Molière, Louis XIV charge Colbert de réorganiser les spectacles de Paris.—L'Opéra devient le spectacle dominant.—Alliance de Quinault et de Lulli.—On répète chez madame de Montespan l'opéra d'Alceste.—La Rochefoucauld est appelé à ces représentations.—Éloge que fait de cet ouvrage madame de Sévigné.—Le chœur des suivants de Pluton cité.—L'impulsion donnée à l'Opéra ne profite qu'à la musique instrumentale.—L'Italie reste supérieure à la France pour tout le reste.—Madame de Sévigné va à un opéra.—Des musiciens.—Molière chez Pelissari.—Des sociétés de Paris à cette époque.—Madame Pelissari réunit chez elle les littérateurs médiocres.—Composition de l'Académie française.—Madame de Sévigné annonce à sa fille la mort prochaine de Chapelain.—Cause de son peu de sympathie pour cet ancien maître de son enfance.—Elle devient l'admiratrice de Boileau.—Elle entend la lecture de son Art poétique chez Gourville et chez M. de Pomponne.—Ce poëme est livré à l'impression.—L'auteur y intercale, au moment de la publication, quatre vers pour célébrer la seconde conquête de la Franche-Comté.—Ces quatre vers nuisent à ceux qui les suivent, auparavant composés.

      Il y avait à la cour deux partis qui se disputaient l'influence sur le roi. L'un, composé de tous les courtisans dévoués qui avaient part à ses largesses, de ceux qui désiraient obtenir à tout prix des grades, des commandements militaires, des gouvernements, de grandes charges, des intendances, des ambassades, des emplois lucratifs, des distinctions honorifiques: ceux-là pensaient que Louis XIV devait continuer le cours de ses conquêtes; que ses maîtresses, le faste de ses palais, de ses fêtes, de sa maison étaient des démonstrations obligées de sa grandeur et des manifestations nécessaires de sa puissance. Louvois et Montespan étaient les appuis naturels de ce parti. Le parti contraire aurait voulu que Louis XIV renonçât à ses maîtresses; qu'il épargnât à ses sujets le scandale de ses amours avec une femme mariée; qu'il restreignît ses dépenses et mît un terme à son ambition et qu'il n'excitât pas la haine des souverains et de toute l'Europe contre lui et contre la France. Dans ce parti étaient tous ceux qui voyaient le bien public dans le règne de la religion et des mœurs. Colbert, homme réglé dans sa conduite, pensait ainsi; mais il ne pouvait avoir sur son parti la même influence que Louvois sur le sien230. Chargé de l'administration des finances, il était obligé de mettre sans cesse de nouveaux impôts pour suffire à des dépenses qui s'accroissaient sans cesse; il ne le pouvait qu'en appesantissant de plus en plus le joug du despotisme sur les parlements, les assemblées des états, les magistrats municipaux, les membres de toutes les corporations qui jouissaient de quelque liberté, tous partisans de la paix et d'une sage réforme. La confiance que Louis XIV avait en Colbert comme habile administrateur était encore un obstacle qui lui faisait perdre tout crédit sur les hommes les plus honorables. Louis XIV ne lui imposait pas seulement le devoir de régler les finances de l'État, d'organiser la marine, le commerce; il ne se fiait qu'à lui pour ses dépenses privées, et il le chargeait du détail de celles qui concernaient ses maîtresses. Il n'oublia jamais que Colbert avait été sous Mazarin un excellent intendant; il s'en servait toujours comme tel, et rendait ce grand ministre complice des désordres que celui-ci aurait voulu empêcher. Plus que Louvois, et avec juste raison, Colbert excitait l'envie. Il est vrai qu'en travaillant sans cesse au bien de l'État il travaillait aussi à l'accroissement de sa fortune et à l'élévation de sa famille. Dans le clergé, dans la diplomatie et dans la marine les Colbert occupaient les principaux emplois, étaient revêtus des plus hautes dignités. Ne pouvant restreindre le roi dans son penchant à la profusion, Colbert en profitait pour son compte. Il laissa à sa mort douze millions, qui font vingt-quatre millions de notre monnaie actuelle. Cette fortune n'était pas, comme celle de Fouquet, le fruit de coupables manœuvres; mais, en définitive, c'était le trésor et les impôts sur les peuples, ruinés par la guerre, qui subvenaient aux générosités du monarque et à celles des provinces et des villes en faveur des ministres, de leurs parents et de leurs amis. Cependant ce parti, qui était véritablement celui des bonnes mœurs et le plus favorable aux intérêts du roi et du pays, ne manquait pas de soutiens à la cour: la religion lui en créait, pleins d'activité et de zèle. Parmi eux on comptait le duc de Beauvilliers et le maréchal de Bellefonds, Pomponne et beaucoup d'autres; enfin, il avait dans Bossuet et dans Bourdaloue deux apôtres sublimes.

      Tous fondaient leur espoir sur l'auguste empire de la religion, qui parvient toujours à faire entendre sa voix puissante quand les passions sont apaisées. La foi était vivante dans l'âme de madame de Montespan comme dans celle de Louis XIV, et elle se manifestait dans tous les deux par leur exactitude à s'assujettir aux pratiques religieuses que l'Église prescrit.

      Ce parti considéra avec raison comme un premier succès la religieuse retraite de la Vallière, et comme un second le renvoi des filles d'honneur. Quel qu'ait été le motif qui fit agir Montespan, il est certain que ce fut elle qui eut la principale part à cette réforme, qu'elle la désira et la voulut avec toutes ses conséquences. Madame de Sévigné, en donnant à madame de Grignan des détails sur l'intérieur de Quantova (c'est le nom chiffré par lequel elle désigne madame de Montespan), dit: «Il est très-sûr qu'en certain lieu on ne veut séparer aucune femme de son mari ni de ses devoirs; on n'aime pas le bruit, à moins qu'on ne le fasse231

      On avait pensé à madame de Grignan pour être dame du palais; mais sans doute que madame de Montespan la trouva trop jeune et trop belle232.

      Madame de Grignan dut peu regretter de n'avoir pas été nommée. Avec les filles d'honneur disparurent les joies et la gaieté de cette cour brillante: toute liberté en fut bannie; le service pénible et l'étiquette sévère auxquels les dames du palais furent assujetties firent souffrir celles qui avaient brigué avec ardeur ces charges lucratives et honorifiques. La contrainte et l'ennui s'appesantirent jusque sur les bals et les divertissements que le roi donnait fréquemment233.

      Cependant cette réforme eut un très-heureux effet sur les mœurs; madame de Sévigné elle-même, qui plaisante sur les femmes devenues subitement dévotes, fut alors plus fortement tourmentée par les scrupules que lui causait souvent son amour excessif pour sa fille; elle trouva très-bien que l'animosité que celle-ci lui avait inspirée contre l'évêque de Marseille lui eût attiré un refus d'absolution. Elle dit à madame de Grignan: «Ce confesseur est un fort habile homme; et si les vôtres ne vous traitent pas de même, ce sont des ignorants, qui ne savent pas leur métier234

      On voit par là que madame de Sévigné avait lu le traité du grand Arnauld sur la fréquente


<p>229</p>

Les souvenirs de madame DE CAYLUS sur les intrigues amoureuses de la cour, avec des notes de M. DE VOLTAIRE; seconde édition, augmentée de la défense de Louis XIV, pour servir de suite à son Siècle; au château de Ferney, 1770, in-12 (186 pages), p. 31. C'est la meilleure édition; elle a été faite sur le manuscrit donné à Voltaire par M. de Caylus (Souvenirs, 1806, in-12, p. 89, édit. de Renouard).—Idem., Collection Petitot, t. LXVI, p. 384, in-8o, 1828, édit. M. Voyez ces Mémoires sur la Vallière, sur Sévigné, t. II, p. 191, 247, 297, 505, 506; III, 45, 237, 240, 319, 325; IV, 89.

<p>230</p>

DEPPING, Correspondance administrative de Louis XIV. Lettres du roi à Colbert (18 mai et 19 juin 1674), dans les Documents historiques tirés des collections manuscrites de la Bibliothèque royale, 1843, in-4o, t. II, p. 524, 525 et 526.

<p>231</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (8 janvier 1674), t. III, p. 299, édit. G.; t. III, p. 203, édit. M.

<p>232</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (18 décembre 1673), édit. G., t. III, p. 268.

<p>233</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (22 et 29 janvier 1674), t. III, p. 324 et 331, édit. G.; t. III, p. 225 et 231, éd. M.—Lettres des FEUQUIÈRES (25 janvier 1674), t. II, p. 248.

<p>234</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (4 décembre 1673), t. III, p. 249, édit. G.; t. III, p. 160, édit. M. Voyez ci-après chap. X, p. 198.