Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5. Charles Athanase Walckenaer. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Charles Athanase Walckenaer
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Жанр произведения: Биографии и Мемуары
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sous le joug ont ployé;

      Besançon fume encor sur son roc foudroyé.

      Remarquons que ce fut au détriment du poëme que ces quatre vers furent intercalés. Les vers qui les suivent étaient, avant cette intercalation, à la suite de ceux sur le passage du Rhin et de la conquête de la Hollande, et s'appliquaient mieux à ce passage et à cette conquête qu'au siége de Besançon et de Salins. Quel auteur, dit le poëte,

      Chantera le Batave, éperdu dans l'orage,

      Soi-même se noyant pour sortir du naufrage;

      Dira les bataillons sous Mastricht enterrés,

      Dans ces affreux assauts du soleil éclairés?

      . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

      Où sont ces grands guerriers dont les fatales ligues

      Devaient à ce torrent apporter tant de digues?

      Est-ce encore en fuyant qu'ils pensent l'arrêter

      Fiers du honteux honneur d'avoir su l'éviter281.

      Quand Despréaux écrivit ces vers, on était à la fin de l'année 1673. Le Rhin avait été passé le 12 juin 1672, et Maestricht s'était rendu au roi le 29 juin 1673. Ces exploits, quoique récents, étaient déjà anciens; ils avaient fatigué les muses adulatrices, et ces vers, au moment de leur publication, formaient un anachronisme. Louis XIV, dès la fin d'octobre de l'année précédente, pour mieux attaquer l'Espagne, avait commencé à retirer ses troupes de la Hollande: le Batave éperdu, au lieu de fuir, rentrait dans ses foyers. Les forces qui avaient envahi la république étaient postées sur le haut Rhin; et Bonne, mal fortifiée, avait capitulé le 12 novembre 1673, après huit jours de siége. La conquête de la Franche-Comté, célébrée par le poëte avant même d'être achevée, avait pour les lecteurs le mérite si grand de la nouveauté; mais les vers qui suivaient, depuis l'évacuation des places conquises sur la Hollande, n'étaient plus d'accord avec l'histoire. Le Batave, ligué avec toute l'Europe, après avoir fait rebrousser le torrent dévastateur, espérait l'anéantir ou lui imposer des digues qu'il ne pourrait franchir: il ne parvint alors qu'à en détourner le cours. Condé, à la tête d'une poignée de troupes, soutint, dans les plaines des Pays-Bas, le choc des puissances armées; Luxembourg, son disciple, leur ferma les passages de la Suisse; Turenne, ceux de l'Alsace, et il les rejeta au delà du Rhin282. Louis XIV, couvert par l'habileté de ses grands capitaines, put, en achevant la conquête de la Franche-Comté, compléter ainsi le sol de la France, depuis maintenu par la Providence dans son intégrité, malgré soixante ans de délire révolutionnaire et d'usurpations insensées283.

      CHAPITRE VII.

      1674-1675

      M. et madame de Grignan viennent à Paris.—M. de Grignan retourne en Provence.—Madame de Grignan reste avec madame de Sévigné pendant quinze mois.—Correspondance de madame de Sévigné avec Guitaud et avec Bussy.—Bussy obtient la permission de venir à Paris, et vit pendant six mois dans la société de madame de Sévigné et de madame de Grignan.—Ouverture de l'assemblée des communautés de la Provence le 3 novembre.—L'évêque de Toulouse forme opposition à M. de Grignan.—Grignan est soutenu par Guitaud, gouverneur des îles Sainte-Marguerite.—Correspondance de Bussy et de madame de Sévigné.—Détails sur la femme et les enfants de Bussy.—Sur l'aîné de ses fils, Nicolas, marquis de Bussy.—Sur Marie-Thérèse de Bussy, marquise de Montalaire.—Sur Michel-Celse-Roger de Bussy, évêque de Luçon.—Sur Louise de Rouville de Clinchamps, seconde femme du comte de Bussy-Rabutin.—Sur Diane de Rabutin, chanoinesse.—Sur Louise-Françoise de Bussy.—Sur le mariage de celle-ci avec Gilbert de Langheac, marquis de Coligny.—Coligny est tué.—Sa veuve se remarie.—Elle ne prend pas le nom de son nouveau mari, et se fait nommer comtesse de Dalet.—Son fils, le comte de Langheac, meurt sans postérité mâle.

      Ce fut dans cette belliqueuse année, et lorsque la France était assiégée par cette multitude d'ennemis que lui avaient faits l'ambition et la despotique arrogance de son monarque, que madame de Sévigné put goûter, plus complétement qu'elle ne l'avait fait depuis longtemps, les douceurs de l'amour maternel et celles de l'amitié. Elle en éprouvait le besoin pour se consoler de l'ennui et de la fatigue qu'entraînent avec eux les plaisirs du monde, les liaisons passagères de la société et les intrigues de la cour.

      Elle était enfin parvenue à obtenir un congé pour M. de Grignan284; il arriva à Lyon avec sa femme au commencement de février285 et à Paris vers le 15 du même mois (1674).

      Le comte de Grignan retourna au mois de mai suivant en Provence286, mais madame de Grignan ne se sépara de sa mère qu'un an après: leur commerce de lettres fut donc interrompu pendant quinze mois entiers Dans cet intervalle de temps, madame de Sévigné entretint une correspondance active avec son cousin Bussy, le comte de Guitaud et M. de Grignan. Elle n'eut pas non plus, durant toute cette année et les six premiers mois de l'année suivante, besoin d'écrire à celui qu'elle nommait son bon cardinal. Retz résida pendant tout ce temps à Paris, passant de longues heures avec madame de Sévigné et avec sa fille287, dont il préférait la société à toutes les autres. De son côté, madame de Sévigné trouvait qu'il était l'homme de France dont la conversation était la plus agréable, l'homme le plus charmant qu'on pût voir; et ce qui contribuait surtout à le lui faire trouver tel, c'est qu'il semblait partager son admiration pour madame de Grignan et sympathiser à ses faiblesses maternelles288. Sévigné était à l'armée, mais il venait par intervalle se réunir à sa mère et à sa sœur et jouir avec elles des plaisirs de la cour289. Le petit-cousin de Coulanges et Corbinelli le fidèle Achate, l'officieux d'Hacqueville étaient aussi alors à Paris; et Gourville et Guilleragues, et les hommes de lettres qui fréquentaient les hôtels des la Rochefoucauld et des Condé, et toute la brillante jeunesse de ces sociétés montraient d'autant plus d'empressement encore à se rapprocher de madame de Sévigné qu'ils étaient certains de rencontrer toujours près d'elle la belle comtesse de Grignan, la reine de la Provence, si longtemps regrettée, si ardemment attendue.

      Il semble que rien ne manquait au bonheur de madame de Sévigné; mais elle était arrivée à un âge ou les joies les plus vives sont amorties par tout ce que l'existence humaine a de triste et de sérieux. Elle n'avait que quarante-huit ans; et aux souhaits que, selon l'usage, sa fille lui exprimait au premier jour de l'an (1674) elle répondit290:

      «Vous me dites mille douceurs sur le commencement de l'année: rien ne peut me flatter davantage; vous m'êtes toutes choses, et je ne suis appliquée qu'à faire que tout le monde ne voie pas toujours à quel point cela est vrai. J'ai passé le commencement de l'année assez brutalement; je ne vous ai dit qu'un pauvre petit mot; mais comptez, mon enfant, que cette année et toutes celles de ma vie sont à vous: c'est un tissu, c'est une vie tout entière qui vous est dévouée jusqu'au dernier soupir. Vos moralités sont admirables; il est vrai que le temps passe partout, et passe vite. Vous criez après lui, parce qu'il vous emporte quelque chose de votre belle jeunesse; mais il vous en reste beaucoup. Pour moi, je le vois courir avec horreur, et m'apporter en passant l'affreuse vieillesse, les incommodités et enfin la mort. Voilà de quelle couleur sont les réflexions d'une personne de mon âge; priez Dieu, ma fille, qu'il m'en fasse tirer la conclusion que le christianisme nous enseigne.»

      Quoique madame de Grignan, pour sa propre tranquillité, blessât souvent le cœur de madame de Sévigné en tâchant de renfermer dans de justes bornes les soins et les inquiétudes maternelles, pour elle gênantes et importunes, cependant il est probable qu'elle ne fît jamais de bien ferventes prières pour la guérir entièrement de cette tendance passionnée et pour la lui faire reporter


<p>281</p>

Œuvres diverses du sieur D***, avec le Traité du sublime de Longin; Paris, chez Denis Thierry, 1674, in-4o, p. 140 et 141. (Au dernier feuillet: «Achevé d'imprimer pour la première fois le 10 juillet 1674).»

<p>282</p>

DESORMEAUX, Histoire de Louis, prince de Condé, 1769, in-12, p. 380.—RAMSAY, Histoire du vicomte de Turenne, 1773, in-12, t. II, p. 240 à 304.—DESCHAMPS, Dernières campagnes de M. de Turenne, dans l'Histoire du vicomte de Turenne, t. III, p. 306-406—PELLISSON, Histoire de Louis XIV, Paris, 1749, in-12, t. III, p. 227-228.

<p>283</p>

LOUIS XIV, Œuvres, fragment sur la conquête de la Franche-Comté.—Et le général GRIMOARD, Précis sur la conquête de la Franche-Comté, dans les Œuvres de LOUIS XIV, t. III, p. 453 et 473.—Recueil de lettres pour servir d'éclaircissement à l'histoire militaire de Louis XIV, 1760, in-12, t. II, p. 273, 286.

<p>284</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (19 janvier 1674), t. III, p. 315, édit. G.; t. III, p. 217, édit. M.

<p>285</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (5 février 1674), t. III, p. 336, édit. G.; t. III, p. 235, édit. M.

<p>286</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (22 mai 1674), t. III, p. 341, édit. G.; t. III, p. 237, édit. M.; t. III, p. 19 et 20 de l'édit. de 1754.

<p>287</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (27 mai et 15 juin 1674.), t. III, p. 393-409, édit. G.; t. III, p. 237, édit. M.—Ibid. (25 mai et 19 juin 1675), t. III, p. 386, 391 et 422, édit. G.; t. III, p. 267, 272, 299, édit. M.—Suite des Mémoires de BUSSY, ms. (lettre à madame de Grignan, datée du 12 mai). C'est la même que celle qui est datée du 10 mai dans les édit., t. III, p. 386.

<p>288</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (15 octobre 1674), t. III, p. 361, édit. G.; t. III, p. 248 (27 mai 1675), p. 304, édit. M.

<p>289</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (2 février 1674), t. III, p. 333, édit. G.; t. III, p. 212, édit. M.—Ibid. (22 mai 1674), t. III, p. 238, édit. M.; t. III, p. 343, édit. G.; t. III, p. 275, édit. M.—Ibid. (5 février 1674), t. III, p. 337, édit. G.; t. III, p. 235, édit. M.

<p>290</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (8 janvier 1674), t. III, p. 297, édit. G.; t. III, p. 201, édit. M.