Vers le Ve siècle, lorsque le nouveau culte put s'exercer publiquement, deux principes eurent une action marquée dans la construction des églises en Occident: la tradition des basiliques antiques qui, parmi les monuments païens, servirent les premiers de lieu de réunion pour les fidèles; puis le souvenir des sanctuaires vénérables creusés sous terre, des cryptes qui avaient renfermé les restes des martyrs, et dans lesquelles les saints mystères avaient été pratiqués pendant les jours de persécution. Rien ne ressemble moins à une crypte qu'une basilique romaine; cependant la basilique romaine possède, à son extrémité opposée à l'entrée, un hémicycle voûté en cul-de-four, le tribunal. C'est là que, dans les premières églises chrétiennes, on établit le siége de l'évêque ou du ministre ecclésiastique qui le remplaçait; autour de lui se rangeaient les clercs; l'autel était placé en avant, à l'entrée de l'hémicycle relevé de plusieurs marches. Les fidèles se tenaient dans les nefs, les hommes d'un côté, les femmes de l'autre. Habituellement nos premières églises françaises possèdent, sous l'hémicycle, l'abside, une crypte dans laquelle était déposé un corps saint, et quelquefois le fond de l'église lui-même rappelle les dispositions de ces constructions souterraines, bien que la nef conserve la physionomie de la basilique antique. Ces deux genres de constructions si opposés laissent longtemps des traces dans nos églises, et les sanctuaires sont voûtés, élevés suivant la méthode concrète des édifices romains bâtis en briques et blocages, que les nefs ne consistent qu'en des murs légers reposant sur des rangs de piles avec une couverture en charpente comme les basiliques antiques.
Nous ne possédons sur les églises primitives du sol de la France que des données très-vagues, et ce n'est guère qu'à dater du Xe siècle que nous pouvons nous faire une idée passablement exacte de ce qu'étaient ces édifices; encore, à cette époque, présentaient-ils des variétés suivant les provinces au milieu desquelles on les élevait. Les églises primitives de l'Île-de-France ne ressemblent pas à celles de l'Auvergne; celles-ci ne rappellent en rien les églises de la Champagne, ou de la Normandie, ou du Poitou. Les monuments religieux du Languedoc diffèrent essentiellement de ceux élevés en Bourgogne. Chaque province, pendant la période romane, possédait son école, issue de traditions diverses. Partout l'influence latine se fait jour d'abord; elle s'altère plus ou moins, suivant que ces provinces se mettent en rapport avec des centres actifs de civilisation voisins ou trouvent dans leur propre sein des ferments nouveaux. L'Auvergne, par exemple, qui, depuis des siècles, passe pour une des provinces de France les plus arriérées, possédait, au XIe siècle, un art très-avancé, très-complet, qui lui permit d'élever des églises belles et solides, encore debout aujourd'hui. La Champagne, de toutes les provinces françaises, la Provence exceptée, est celle qui garda le plus longtemps les traditions latines, peut-être parce que son territoire renfermait encore, dans les premiers siècles du moyen âge, un grand nombre d'édifices romains. Il en est de même du Soissonnais. En Occident, près des rivages de l'Océan, nous trouvons, au contraire, dès le Xe siècle, une influence byzantine marquée dans la construction des édifices religieux. Cette influence byzantine se fait jour à l'Est le long des rives du Rhin, mais elle prend une autre allure. Ayant maintes fois, dans ce Dictionnaire, l'occasion de nous occuper des églises et des diverses parties qui entrent dans leur construction (voy. ABSIDE, ARCHITECTURE RELIGIEUSE, CATHÉDRALE, CHAPELLE, CHOEUR, CLOCHER, CONSTRUCTION, NEF, TRAVÉE), nous nous bornerons à signaler ici les caractères généraux qui peuvent aider à classer les églises par écoles et par époques.
ÉCOLE FRANÇAISE. L'une des plus anciennes églises de l'école française, proprement dite, est la Basse-OEuvre de Beauvais, dont la nef appartient au VIIIe ou IXe siècle. Cette nef est celle d'une basilique romaine avec ses collatéraux. Elle se compose de deux murs percés de fenêtres terminées en plein cintre, de deux rangs de piliers à section carrée portant des archivoltes plein cintre et les murs supérieurs percés également de fenêtres. Cette construction si simple était couverte par une charpente apparente. L'abside, détruite aujourd'hui, se composait probablement d'un hémicycle couvert en cul-de-four; existait-il un transsept? c'est ce que nous ne saurions dire. Quant à la façade reconstruite au XIe siècle, elle était vraisemblablement précédée, dans l'origine, d'un portique ou d'un narthex, suivant l'usage de l'église primitive. La construction de cet édifice est encore toute romaine, avec parements de petits moellons à faces carrées et cordons de brique. Nulle apparence de décoration, si ce n'est sur la façade élevée postérieurement. Il faut voir là l'église franco-latine dans sa simplicité grossière. Les murs, à l'intérieur, devaient être décorés de peintures, puisque les auteurs qui s'occupent des monuments religieux mérovingiens et carlovingiens, Grégoire de Tours en tête, parlent sans cesse des peintures qui tapissaient les églises de leur temps. Les fenêtres devaient être fermées de treillis de pierre ou de bois dans lesquels s'enchâssaient des morceaux de verre ou de gypse (voy. FENÊTRE). L'ancien Beauvoisis conserve encore d'autres églises à peu près contemporaines de la Basse-OEuvre, mais plus petites, sans collatéraux, et ne se composant que d'une salle quadrangulaire avec abside carrée ou semi-circulaire. Ce sont de véritables granges. Telles sont les églises d'Abbecourt, d'Auviller, de Bailleval, de Bresles 63. Ces églises n'étaient point voûtées, mais couvertes par des charpentes apparentes. Nous voyons cette tradition persister jusque vers le commencement du XIIe siècle. Les nefs continuent à être lambrissées; les sanctuaires seuls, carrés généralement, sont petits et voûtés. Les transsepts apparaissent rarement; mais, quand ils existent, ils sont très-prononcés, débordant les nefs de toute leur largeur. L'église de Montmille 64 est une des plus caractérisées parmi ces dernières. La nef avec ses collatéraux était lambrissée ainsi que le transsept. Quatre arcs doubleaux, sur la croisée, portaient une tour très-probablement; le choeur seul est voûté.
Dès le XIe siècle, on construit à Paris l'église du prieuré de Saint-Martin-des-Champs de l'ordre de Cluny, dont le choeur existe encore. Déjà, dans cet édifice, le sanctuaire est entouré d'un bas-côté avec chapelles rayonnantes 65. Même disposition dans l'église abbatiale de Morienval (Oise), qui date du commencement du XIe siècle.
Mais c'est au XIIe siècle que, dans l'Île-de-France, l'architecture religieuse prend un grand essor. Au milieu de ce siècle, l'abbé Suger bâtit l'église abbatiale de Saint-Denis avec nombreuses chapelles rayonnantes autour du choeur. Immédiatement après s'élèvent les cathédrales de Noyon, de Senlis 66, de Paris 67, l'église abbatiale de Saint-Germer, les églises de Saint-Maclou, de Pontoise, dont il ne reste que quelques parties anciennes à l'abside, les églises de Bagneux et d'Arcueil, celle de l'abbaye de Montmartre, la petite église de Saint-Julien-le-Pauvre à Paris, celle de Vernouillet, de Vétheuil dont le choeur seul du XIIe siècle subsiste, l'église de Nesles (Seine-et-Oise), le choeur de l'église abbatiale de Saint-Germain-des-Prés à Paris, les églises de Saint-Étienne de Beauvais 68, de Saint-Évremont de Creil, de Saint-Martin de Laon, l'église abbatiale de Saint-Leu d'Esserent (Oise), la cathédrale de Soissons 69.
ÉCOLE FRANCO-CHAMPENOISE. Cette école est un dérivé de la précédente; mais elle emprunte certains caractères à l'école champenoise, qui est plus robuste et conserve des traditions de l'architecture antique. Les matériaux de la Brie sont peu résistants, et les constructeurs ont tenu compte de leur défaut de solidité en donnant aux piliers, aux murs, une plus forte épaisseur, en tenant leurs édifices plus trapus que dans l'Île-de-France proprement dite.
La cathédrale de Meaux appartient encore