La Daniella, Vol. I. Жорж Санд. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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Il est savant à sa manière et bavard avec un certain esprit. J'apprends avec lui à entendre l'italien, que je sais un peu, mais dont la musique est trop neuve à mon oreille pour que je la comprenne d'emblée complètement. Cela viendra, j'espère, en peu de jours.

      Me revoici en mer, voyant passer comme des rêves, la Corse, l'île d'Elbe, le rocher de Monte-Christo, qu'un roman plein de feu a rendu populaire, et qu'un Anglais vient d'acheter pour s'y établir.

      Ces écueils des côtes de France et d'Italie font, dit-on, la passion des Anglais. Le génie de l'insulaire rêve partout un monde à créer, une domination intelligente ou fantasque à établir. Au reste, je comprends le prestige qu'exercent sur l'imagination ces petites solitudes battues des vagues. Quelques-unes ont assez de terre végétale pour nourrir des pins, et, lorsqu'elles sont creusées en amphithéâtre dans un bonne direction, des villas peuvent s'y élever et des jardins y fleurir à l'abri des vents et des flots qui rongent l'enceinte extérieure. La chaleur doit y être tempérée en été, et le continent est assez voisin pour qu'on n'y soit pas trop privé des relations sociales. Pourtant, je crois de tels asiles dangereux pour la raison. Cette mer environnante vous défend trop de l'imprévu, elle vous rend trop sûr d'une indépendance dont on n'a que faire dans la solitude.

      Brumières vient me souhaiter le bonsoir. Miss Médora est de race grecque, il ne s'était pas trompé. Son père, marié à la soeur de lady Harriet, était un Athénien pur sang. Elle est orpheline. Elle est amoureuse de Raphaël et de Jules Romain. Elle est très-anxieuse de recevoir la bénédiction du pape, bien qu'elle ne soit pas du tout dévote. Sa suivante s'appelle Daniella. Voilà le résumé de ses épanchements.

      VIII

      Rome, 18 mars.

      Enfin, mon ami, m'y voilà! mais ce n'est pas sans peine et sans aventure, comme vous allez voir.

      Je ne m'attendais certainement pas à une Italie aussi complète. On m'avait dit qu'il n'y était plus question de brigands depuis l'occupation française, et il est de fait, m'assure-t-on, que, grâce à nous, l'ordre est aussi bien établi que possible dans un pays où le brigandage est comme une nécessité fatale. Ceci m'a été expliqué assez péremptoirement, et je vous l'expliquerai plus tard. Vous êtes pressé d'ouïr mon aventure. Je vais tâcher pourtant de vous la faire attendre un peu, pour la rendre plus piquante. Écoutez donc, ce n'est pas tous les jours qu'on en a une pareille à raconter!

      Débarqués, ce matin, à Civita-Vecchia, après nos adieux au Castor et à son excellent capitaine, M. Bosio, nous avons déjeuné dans une auberge, des fenêtres de laquelle, plongeant sur le rempart, nous avons pu voir des soldats français se livrer à leurs exercices quotidiens avec cette aisance qui les caractérise. Encore des visites de police sur le bâtiment, encore les douanes sur le rivages; encore des visas, des impôts et des heures d'attente: toujours le voyageur arraché à sa première impression, à son innocente fantaisie de courir à droite ou à gauche sur la terre qu'il vient de toucher. Le voyageur est partout suspect, il est partout susceptible d'être un bandit, ce qui n'a jamais empêché aucun bandit de débarquer, et aucun voyageur de trouver des bandits indigènes ou autres, là où il y en a pour l'attendre. Mais je vous assure que les bandits gâtent bien moins les voyages que les précautions prises contre les honnêtes gens. Les douanes sont aussi une vexation barbare. On s'en sauve ici avec de l'argent; mais c'est encore une chose blessante de ne pouvoir s'en sauver avec sa parole. Les montagnes et les mers ne sont rien pour l'homme; mais il s'arrange pour être à lui-même son obstacle et son fléau sur la terre que Dieu lui a donnée.

      Une diligence attendait que toutes ces formalités fussent remplies pour nous transporter à Rome, en huit heures; ce qui, moyennant quatre relais et de bons chevaux, me sembla exorbitant pour faire quatorze lieues. Mais c'est ainsi! On perd une bonne heure à chaque relais, les postillons ne voulant partir qu'après avoir rançonné les voyageurs. Il y a bien un conducteur qui est censé les faire marcher quand même; mais il s'en garde bien: il partage probablement avec eux. Il vous dit philosophiquement que vous ne leur devez rien, mais qu'il ne peut pas les faire obéir. On est donc à la discrétion de ces drôles, qui vous insultent si vous ne voulez pas céder à leur ton d'insolence, et qui exigent que vous ayez sur vous la monnaie qui leur convient. Tant pis pour vous si, arrivant de Livourne avec celle qu'on vous a échangée, vous n'avez pas eu la précaution de vous munir de pauls romains. Ils enfourchent leurs chevaux et restent immobiles jusqu'à ce que vous leur ayez promis de faire en sorte de les satisfaire au relais suivant. Peu importe que tous les autres voyageurs aient subi leurs prétentions; un seul, empêché ou récalcitrant, arrête le départ. Une bande de voyous qui ont aidé à l'attelage, sont là autour de la voiture, réclamant aussi, avec des grimaces, des langues tirées en signe de haine et de mépris, vous traitant de singes et de porcs si, par malheur, dans votre aumône, il s'est trouvé un sou étranger, un sou ayant cours à deux lieues de là.

      Je ne vous parle pas des mendiants de profession, c'est-à-dire du reste de la population, traînant sur les chemins ou grouillant dans les villages. Leur misère paraît si horrible et si réelle, qu'on n'hésite pas à leur donner ce qu'on peut; mais leur nombre accroît, en un clin d'oeil, dans une telle proportion, qu'en faisant à chacun la part bien mince, il faudrait être deux ou trois mille fois plus riche que je ne suis pour ne pas faire de mécontents. – Et puis il ne faut qu'un coup d'oeil pour voir que cette malheureuse engeance a tous les vices, toutes les abjections de la misère: paresse, fourberie, abandon de soi-même, malpropreté et nudité cyniques, haine sans fierté superstition sans foi ou basse hypocrisie. Ces mendiants se battent ou se volent les uns les autres de la même main qui égrène le chapelet bénit. Il n'est pas saint dans le calendrier qu'ils n'invoquent, en mêlant à leur litanie plaintive de grotesques ordures, quand ils croient qu'on ne les comprend pas.

      Tel est l'accueil, tel est le spectacle qui attendent le passager dès qu'il a mis le pied sur les États de l'Église. J'avais entendu raconter tout cela. Je croyais à de l'exagération, à de la mauvaise humeur. Je n'aurais pas pu m'imaginer l'existence d'une population n'ayant rien, ne faisant rien, et vivant littéralement de l'aumône des étrangers.

      Nous avions suivi quelque temps les rives de la mer, courant assez vite sur un chemin tortueux, parmi des monticules sans arbres, mais couverts d'une végétation sauvage, luxuriante. Pour la première fois, j'ai vu des anémones roses percer les touffes de bruyère. Il y a là une profusion et une variété de plantes basses qui attestent la fertilité de ces plages incultes. Un peu plus loin, nous vîmes quelques essais de culture.

      Après le dernier relais, comme nous étions en pleine campagne romaine, le postillon s'arrêta court. Il avait oublié son manteau. On voulut le faire marcher, on invoqua l'autorité du conducteur.

      – Impossible, dit celui-ci; un homme qui se trouverait, sans manteau, revenir à la nuit dans la campagne de Rome, serait un homme mort.

      Il paraît que cela est certain; mais quelque chose de certain aussi, c'est que, tout en dépêchant un gamin pour lui aller chercher son manteau, le compère lui avait parlé bas avec un sourire expressif. Cela signifiait: «Prends ton temps;» car l'enfant s'en alla lentement, se retourna, et, sur un signe d'intelligence, ralentit encore sa marche. Cet homme avait-il, pour agir ainsi, une autre raison que celle de se venger de Brumières, lequel l'avait menacé de mettre pied à terre pour le corriger de quelque parole impertinente à son adresse? C'est ce que j'ignore, ce que nul de nous ne saura jamais.

      Comme il faisait beau temps, et que l'incident, vu tous ceux qui l'avaient précédé, menaçait d'être interminable, je calculai devoir arriver à Rome en même temps que la diligence; je descendis et pris les devants sur la via Aurélia. Brumières avait voulu m'en empêcher.

      – Cela ne se fait guère, m'avait-il dit: bien que depuis longtemps, dit-on, on n'ait dévalisé personne, on ne voyage pas seul et à pied dans ces parages. Ne perdez pas trop de vue la diligence.

      Je le lui promis, mais je l'oubliai vite. Il ne me semblait pas possible, d'ailleurs, qu'aux portes d'une capitale, en plein jour et sur un sol complètement découvert, on ne pût pas faire impunément quelque mauvaise rencontre.

      J'étais, depuis une demi-heure environ,