La Daniella, Vol. I. Жорж Санд. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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elle m'accuse, en ce moment-ci, j'en suis sûr, de faire quelque débauche eu mauvaise compagnie… Et, si elle nous voyait ici, tête à tête, dînant avec sobriété, elle trouverait encore moyen de s'indigner. Elle dirait que le choix de ce petit restaurant de planches sur les roches est shocking, et que nous devrions être dans le pavillon le plus élégant de la Réserve… Comme si les clovis et les moules fraîches n'étaient pas aussi bons ici! Je déteste le confort, moi! Tout ce qui ressemble au luxe me rappelle ma femme. Heureusement, elle s'est imaginé de prendre avec elle une nièce très-belle, pour aller en Italie, et, comme elle craint que je ne la trouve pas laide… oh! mon Dieu, cela suffirait pour amener l'orage! elle me laisse un peu plus de liberté depuis quelque temps. C'est à cela que je dois le plaisir d'être avec vous. Voulez-vous venir fumer un cigare? Allons au vent, pour que mes habits ne sentent pas le tabac!

      Ils sont sortis, et, moi, je suis rentré dans la ville, à tâtons, par les sentiers coupés dans la roche. La mer n'avait plus que des plaintes harmonieuses, et cette harmonie dans les ténèbres avait un charme étrange. Mais je voulais vous écrire, et me voilà relisant vos lettres, vous serrant la main, et vous disant que vous êtes le meilleur des amis, mon meilleur ami, à moi!

      V

      Mercredi 14.

      Le mistral a recommencé hier et cette nuit. Le Castor ne veut pas sortir du port. J'ai pris le parti de faire de longues promenades pour remplir ces deux journées, et je vous écris au crayon sur une feuille de mon album, des hauteurs de Saint-Joseph. Je suis à quelques heures de marche de la ville; et, tandis que le froid y fait rage, je me baigne ici dans les rayons d'un vrai soleil d'Italie. Je viens de traverser une immense vallée et d'atteindre le pied des collines qui la ferment. Elles ne sont pas assez élevées pour l'abriter; mais, dans leurs plis étroits, on trouve tout à coup une chaleur ardente et une végétation africaine. Pour vous qui vivez avec les fleurs, je remarque les plantes que je foule. Elles sont toutes aromatiques; c'est le thym, le romarin, la lavande et la sauge qui dominent. Les courts gazons sont jonchés de petits soucis d'un or pâle et d'une senteur de térébenthine.

      Cette région-ci est admirable, et je comprends que la Provence soit si vantée. Ses formes sont étranges, austères, parfois grandioses. Elles attestent des efforts géologiques d'une grande puissance. En certains endroits, ce sont des crêtes déchiquetées qui sortent brusquement du sol et qui dressent d'immenses lignes de fortifications naturelles, quelquefois triples, sur la lisière des plateaux. Ces traînées de roches calcaires, aussi blanches que le plus beau marbre de Carrare, dont elles sont, je crois, cousines germaines, ressemblent à des vagues soudainement cristallisées, et quelques-unes sont penchées comme si elles pliaient encore sous le vent. Ailleurs, sur une étendue de plusieurs milles, les collines sont des escaliers naturels où la terre végétale est soutenue par des strates de pierre d'une régularité inouïe. On pourrait fort bien s'imaginer que chacune de ces collines était surmontée d'un palais magique, et que ces degrés gigantesques ont été taillés par la main des fées pour je ne sais quels êtres en proportion avec la nature primitive. Ce sont les gradins des amphithéâtres de quelque race de titans… Mais la science dit holà à la fantaisie, et se charge d'expliquer ces craquements formidables, ces exhaussements subits, ces soulèvements et ces écroulements, tous ces vomissements d'entrailles qui rayent la surface terrestre d'accidents incompréhensibles Elle voit tout cela d'un oeil aussi tranquille que nous les gerçures d'une pomme ou les rugosités d'une coque de noix.

      J'ai souvent pensé, avec les poëtes, que la science de ces faits était le bourreau de la poésie. Resté ignorant, j'avoue que je regrette parfois de savoir même l'infiniment peu que je sais. Mais, hier et aujourd'hui, j'ai compris que j'avais tort. Les peintres ne doivent pas être si poëtes que cela. La science regarde et mesure l'immensité. Le peintre doit-il être autre chose qu'un oeil qui voit? Or, pour voir, il faut comprendre.

      Je connais, depuis hier, un peintre qui s'en va à Rome et avec qui je voyagerai probablement. Nous étions partis ensemble ce matin, pour la promenade; mais il s'est arrêté au bout d'une heure, pour dessiner un petit coin qui lui plaisait. Je sais que, devant la vaste nature, le paysagiste ne peut que choisir le petit coin approprié aux convenances de son métier; mais, avant de s'en emparer, n'est-il pas nécessaire de comprendre l'ensemble, la charpente de ce grand corps qui, dans chaque contrée, a une physionomie, une âme particulière? Le petit coin peut-il nous révéler quelque chose, tant que l'ensemble ne nous a encore rien dit? Il y a là, je crois, plus que des accidents de lignes et des effets de lumière. Il y a des formes, une couleur générale dont il me semble que j'aurais besoin de m'imprégner. Si je m'écoutais, je resterais quelque temps ici; mais l'Italie! c'est mon rêve, et, puisqu'il m'appelle, il faut le suivre.

      Voici pourtant sous mes yeux et autour de moi un pays splendide. Je me rappelle ces paroles de Michelet à l'oiseau qui émigre: «Là, derrière un rocher, dit-il en parlant de la Provence, tu trouverais, je t'assure, un hiver d'Asie ou d'Afrique.» C'est vrai. La terre ici est saine et sèche. Après ces pluies et ces brumes de notre hiver de Paris, je suis tout étonné d'être couché sur l'herbe et de voir, dans le chemin, les troupeaux soulever des flots de poussière. Les pins maritimes se balancent sur ma tête dans une brise qui sent l'été. L'immense vallée qui me sépare de la mer est comme une rade de fleurs et de pâle verdure. Ce ne sont qu'amandiers blancs, abricotiers rosés, pêchers roses, et les oliviers au ton indécis flottant comme des nuages au milieu de toute cette hâtive floraison. Marseille, comme une reine des rivages, est là-bas assise au bord des flots bleus. La mer paraît encore méchante, car, malgré le chaud et le calme qui m'enveloppent ici, je vois bien les masses d'écume que le mistral fouette autour des âpres rochers du golfe, et même je distingue la rayure des lames, bien plus gigantesques encore que, de près, on ne se l'imagine, puisque, à la distance de plusieurs lieues, j'en suis le dessin et j'en saisis le mouvement.

      15 mars.

      Me voilà enfin sur le Castor, en vue des côtes d'Italie. La journée a été claire et fraîche à bord. Les rivages escarpés sont toujours magnifiques. Ce soir, le vent est tombé, la brume a envahi les horizons. Trois goëlands, qui nous suivaient au coucher du soleil et s'obstinaient à vouloir percher sur la banderole de fumée noire que notre vapeur lance à intervalles égaux, se sont enfin décidés à nous quitter après des cris d'adieu d'une douceur étrange. Le phare de Nice perce le brouillard. Presque personne n'est malade. Pour moi, je n'aurai jamais le plus petit malaise en mer, je sens cela. J'ai un coin pour vous écrire, et je vais vous raconter les incidents de la journée.

      D'abord, mon camarade le peintre, qui me prend pour un petit amateur paresseux, et par qui je trouve assez commode d'être piloté et protégé, m'a tenu compagnie tout le temps, et ne m'a pas fait grâce d'un terme du métier, en me montrant le ciel, la vague et les masses de rochers au milieu desquels le steamer nous promène. Il était tout étonné que je n'eusse aucune notion de l'argot des peintres, qu'il lui plaît d'appeler la langue de l'art. Car il faut vous avouer que, pour passer le temps, je me suis amusé à feindre la plus complète ignorance des us, coutumes et locutions de l'atelier. Il était bien près de me mépriser. Cependant la docilité que j'ai mise à l'écouter l'a un peu mieux disposé en ma faveur. Il m'a montré ensuite ses croquis de Marseille. C'est habilement fait, il y a ce qu'il appelle de la patte, une fière patte; mais cela n'est pas plus l'endroit dont je l'ai vu charmé, que tout autre endroit du monde. Les formes y sont, le sentiment n'y est pas. J'ai essayé de le lui faire entendre. À mon tour, je lui parlais une langue qu'il ne comprenait point et qui n'avait pas, comme son argot d'atelier, le mérite d'être amusante.

      C'est, du reste, un aimable garçon que ce Brumières. Il a une trentaine d'années, quelques petites ressources qui lui permettent de refaire le voyage de Rome, bien que ses études soient ce qu'il appelle terminées; une jolie figure, de la gaieté qui ressemble à de l'esprit, et un très-agréable caractère.

      Comme nous causions de l'itinéraire de notre voyage, un monsieur des troisièmes, c'est-à-dire un prolétaire voyageant au dernier prix, et qui avait une attitude dantesque, comme s'il se fût agi de naviguer sur l'Achéron, se mêla de notre conversation et nous conseilla de ne pas perdre notre temps à Gênes, ville pour laquelle il affichait un profond mépris.

      La