La Daniella, Vol. I. Жорж Санд. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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en loin, des troupeaux abandonnés tout le jour à eux-mêmes, sur un sol non moins abandonné de l'homme. Quelque paysagiste que l'on soit, on a le coeur serré, en voyant qu'ici la nature elle-même est une ruine muette et délaissée.

      Le soleil baissait rapidement, et, de temps à autre, j'apercevais le dôme de Saint-Pierre dans la brume, moins imposant, à coup sûr, que je ne l'avais rêvé, terne, lugubre, semblable à un mausolée dominant un vaste cimetière. D'une des médiocres hauteurs où je pus atteindre, je me souvins de l'avertissement de Brumières; mais je cherchai en vain la diligence, et, comme il commençait à faire frais, je poursuivis ma route.

      Un peu plus loin, quelques pierres sortant de l'herbe attirèrent mon attention. C'était un vestige de ces constructions antiques dont la campagne est semée; mais, comme c'était le premier que je voyais tout près de la route, je m'en approchai et m'arrêtai machinalement pour le regarder. J'étais auprès d'une petite butte déchirée à pic, et, par l'effet du hasard, je me trouvais caché à quatre escogriffes de mauvaise mine, adossés au revers de cet accident de terrain. Le sol herbu avait amorti le bruit de mes pas, et, au moment où j'allais m'éloigner sans me douter de leur présence, je les aperçus tapis dans les broussailles comme des lièvres au gîte. Il y avait quelque chose de si mystérieux dans leur attitude et dans leur silence, que je crus devoir me tenir sur mes gardes. Je me retirai doucement, de manière à mettre tout à fait le pli du terrain entre eux et moi. Au même moment, j'entendis, sur le chemin que je venais de franchir, un bruit de roues, et, pensant que c'était la diligence, j'allais abandonner mon système de précautions, lorsqu'à ce même bruit mes quatre gaillards se relevèrent sur leurs genoux, rampèrent comme des serpents dans le petit creux qui aboutissait à la route et se trouvèrent à portée du véhicule, qui approchait rapidement et qui n'était pas la diligence, mais bien une voiture de louage traînée par de bons chevaux de poste.

      Je reconnus aussitôt cette voiture pour y avoir vu transporter, à Civita-Vecchia, le bagage de lady Harriet et de sa famille. C'était une grande calèche ouverte. Un domestique, dépêché quelques jours d'avance pour l'envoyer, de Rome, au-devant des illustres voyageurs, était resté à la ville pour achever de préparer leur logement. J'ai su ce détail après coup. Il n'y avait donc, dans la calèche que lord B*** (je sais son nom maintenant), sa femme et sa nièce. La femme de chambre italienne était sur le siége.

      Le projet de mes bandits me parut assez clair, et je me demandai aussitôt comment je pourrais m'y opposer. Rongés par la misère ou par la fièvre, ils ne me paraissaient pas bien solides, sauf un grand chenapan qui n'avait ni le type ni le costume indigènes, et qui me sembla fortement constitué. Je n'avais pour arme qu'une canne à tête de plomb, et je regardais attentivement ce qu'ils traînaient dans l'herbe avec précaution. Quand ils se redressèrent à demi dans le fossé, je vis que c'était simplement de gros bâtons, circonstance qui acheva de me donner confiance dans le succès de ma défense. Ils devaient avoir quelques couteaux sous leurs habits, car ils ne paraissaient pas gens à se permettre un grand luxe de pistolets. Il s'agissait de ne pas leur donner le temps de faire usage de ces lames, bonnes ou mauvaises.

      J'avais l'avantage de me trouver sur les derrières sans avoir été aperçu. Pendant que je faisais ces réflexions, me débarrassant de mon caban qui m'eût gêné, la calèche arrivait au lieu marqué pour le coup de main. Le postillon, sur une brève sommation, arrêtait ses chevaux, se jetait à genoux et se tournait la face contre terre avec une résignation vraiment édifiante. Cela réduisait d'un tiers les moyens de la défense. Je crus devoir agir prudemment; et, comme lord B***, ouvrant la portière avec flegme, regardait devant lui à combien d'ennemis il avait affaire, je lui fis signe de ne pas résister encore, ce qu'il comprit avec un admirable sang-froid. Il mit donc pied à terre en leur disant avec un sourire calme:

      – Dépêchez-vous, mes bons amis: la diligence est derrière nous.

      Cette menace parut ne pas les inquiéter, et, voyant qu'il n'y avait pas tentative de résistance, que les femmes ne criaient pas, et que, d'elle-mémes, elles descendaient précipitamment pour leur abandonner la calèche, ils parlèrent d'accommodement à l'amiable; et cela, dans des termes d'une courtoisie comique, rendant grâce à la gentilezza del cavaliere et hommage à la beauté des dames.

      En ce moment, j'étais sur leurs talons, et, m'adressant au grand chenapan, qui ne disait rien et tenait son bâton levé sur la tête de lord B*** par manière d'intimidation, je déchargeai sur la sienne un si bon coup de ma canne, qu'il tomba comme mort.

      Ramasser le bâton qui s'échappait de cette main défaillante, et en assommer le bandit obséquieux qui traitait avec lord B*** fut pour ce dernier l'affaire d'un instant. Le troisième larron, qui tenait les chevaux, ne m'attendit pas: il prit la fuite. Le quatrième ne fit guère mieux, et, après avoir essayé de montrer son couteau, disparut également.

      Nous restions là avec un homme qui demandait grâce, un autre, étendu à terre, qui ne donnait pas signe de vie, un postillon, toujours prosterné, qui ne voulait rien voir de ce qui se passait, et trois femmes plus ou moins évanouies sur les bras.

      Quand le drôle terrassé par lord B*** vit qu'il ne lui restait aucun espoir de sortir de ses mains, il prit le parti ingénieux de s'évanouir aussi. C'était nous créer un embarras, dans le cas où nous eussions voulu le faire prisonnier.

      – Je connais ces histoires-là, me dit lord B***, qui ne me parut nullement ému; si nous nous arrêtons à attendre la diligence, qui est encore loin et au pas, nous risquons de voir arriver du renfort à ces gens-ci, et alors, la vengeance se mêlant de l'affaire, nous n'en sortirons pas vivants. Si nous avançons, nous laissons échapper ces messieurs, qui ne sont peut-être pas si morts qu'ils en ont l'air. Le mieux est de retourner vers la diligence et de la forcer à marcher vite jusqu'ici, où nous aviserons à faire constater le fait et à nous emparer de ces deux blessés avant qu'ils aient pu se relever.

      C'était le meilleur avis possible. Il fallut rosser le postillon pour le faire revenir de son émotion. Dans l'opinion de son mari, lady Harriet aurait peut-être eu besoin du même stimulant pour retrouver le marchepied de la voiture. Elle avait la tête perdue. La nièce était d'un calme héroïque. Lord B*** voulut me faire monter avec elle. Je m'y refusai. Après avoir remis sur son cheval le postillon éperdu, et lui avoir fait tourner bride, je sautai sur le siége auprès de la soubrette, dont la frayeur ne se manifestait que par des torrents de larmes.

      Je n'eus guère le temps de m'occuper de ses nerfs.

      Rencontrer la diligence, l'arrêter, raconter l'aventure, et reprendre les devants pour montrer au conducteur et aux voyageurs la preuve des faits déclarés, tout cela fut accompli en moins d'un quart d'heure. Mais, ô surprise! comme on dit dans les romans; quand nous fûmes sur le lieu du combat, bien reconnaissable pour moi, grâce au fragment de ruine que j'avais exploré à dix pas du chemin, plus de morts, plus de blessés, plus de trace de l'aventure. Pas une goutte du sang de celui à qui j'avais fendu le crâne, pas un haillon enlevé dans la lutte à ses acolytes, pas même l'empreinte du piétinement des chevaux effrayés, ni celle des roues de la voiture sur le sable. Il semblait qu'un coup de vent eût tout balayé, et pourtant il n'y avait pas un souffle dans l'air.

      Lord B*** était plus mortifié que surpris. Il était surtout blessé de l'air de doute du postillon de la diligence. Celui de la calèche était muet comme la tombe, défait, tremblant, peut-être désappointé. Brumières et quelques voyageurs ajoutaient foi à ma parole; d'autres se disaient tout bas, en riant, que nous avions rêvé bataille, et qu'une panique nous avait troublé la cervelle. Quelques bergers, à la recherche de leurs troupeaux errants, riaient aussi et juraient n'avoir rien vu, rien entendu. Lord B*** avait fort envie de se mettre en colère et de se livrer à une minutieuse perquisition; mais la nuit approchait, la diligence voulait arriver; lady Harriet, nerveuse et malade, s'impatientait de l'obstination de son mari. Brumières, enchanté de retrouver sa princesse, et jaloux du bonheur que j'avais eu de lui porter secours, profitait de l'occasion pour faire l'empressé autour d'elle. Quand on se remit en marche, je ne sais comment la chose s'était passée, mais j'étais dans la diligence et Brumières dans la calèche avec les dames, milord sur le siége avec la soubrette.

      Cette soubrette est, par parenthèse, assez jolie, et,