Moll Flanders. Defoe Daniel. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Defoe Daniel
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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de la semaine, mais ne trouva pas l'occasion de me joindre jusqu'au dimanche d'après, qu'étant indisposée, je n'allai pas à l'église, et lui, imaginant quelque excuse, resta à la maison.

      Et maintenant il me tenait encore une fois pendant une heure et demie toute seule, et nous retombâmes tout du long dans les mêmes arguments; enfin je lui demandai avec chaleur quelle opinion il devait avoir de ma pudeur, s'il pouvait supposer que j'entretinsse seulement l'idée de coucher avec deux frères, et lui assurai que c'était une chose impossible; j'ajoutais que s'il me disait même qu'il ne me reverrait jamais (et rien que la mort ne pourrait m'être plus terrible), pourtant je ne pourrais jamais entretenir une pensée si peu honorable pour moi et si vile pour lui; et qu'ainsi je le suppliais, s'il lui restait pour moi un grain de respect ou d'affection, qu'il ne m'en parlât plus ou qu'il tirât son épée pour me tuer.

      Il parut surpris de mon obstination, comme il la nomma; me dit que j'étais cruelle envers moi-même, cruelle envers lui tout ensemble; que c'était pour nous deux une crise inattendue, mais qu'il ne voyait pas d'autre moyen de nous sauver de la ruine, d'où il lui paraissait encore plus cruel; mais que s'il ne devait plus m'en parler, il ajouta avec une froideur inusitée qu'il ne connaissait rien d'autre dont nous eussions à causer, et ainsi se leva pour prendre congé; je me levai aussi, apparemment avec la même indifférence, mais quand il vint me donner ce qui semblait un baiser d'adieu, j'éclatai dans une telle passion de larmes, que bien que j'eusse voulu parler, je ne le pus, et lui pressant seulement la main, parus lui donner l'adieu, mais pleurai violemment. Il en fut sensiblement ému, se rassit, et me dit nombre de choses tendres, mais me pressa encore sur la nécessité de ce qu'il avait proposé, affirmant toujours que si je refusais, il continuerait néanmoins à m'entretenir du nécessaire, mais me laissant clairement voir qu'il me refuserait le point principal, oui, même comme maîtresse; se faisant un point d'honneur de ne pas coucher avec la femme qui, autant qu'il en pouvait savoir, pourrait un jour ou l'autre venir à être la femme de son frère.

      La simple perte que j'en faisais comme galant n'était pas tant mon affliction que la perte de sa personne, que j'aimais en vérité à la folie, et la perte de toutes les espérances que j'entretenais, et sur lesquelles j'avais tout fondé, de l'avoir un jour pour mari; ces choses m'accablèrent l'esprit au point qu'en somme les agonies de ma pensée me jetèrent en une grosse fièvre, et il se passa longtemps que personne dans la famille n'attendait plus de me voir vivre.

      J'étais réduite bien bas en vérité, et j'avais souvent le délire; mais rien n'était si imminent pour moi que la crainte où j'étais de dire dans mes rêveries quelque chose qui pût lui porter préjudice. J'étais aussi tourmentée dans mon esprit par le désir de le voir, et lui tout autant par celui de me voir, car il m'aimait réellement avec la plus extrême passion; mais cela ne put se faire; il n'y eut pas le moindre moyen d'exprimer ce désir d'un côté ou de l'autre. Ce fut près de cinq semaines que je gardai le lit; et quoique la violence de ma fièvre se fût apaisée au bout de trois semaines, cependant elle revint par plusieurs fois; et les médecins dirent à deux ou trois reprises qu'il ne pouvaient plus rien faire pour moi, et qu'il fallait laisser agir la nature et la maladie; au bout de cinq semaines, je me trouvai mieux, mais si faible, si changée, et je me remettais si lentement que les médecins craignirent que je n'entrasse en maladie de langueur; et ce qui fut mon plus grand ennui, ils exprimèrent l'avis que mon esprit était accablé, que quelque chose me tourmentait, et qu'en somme j'étais amoureuse. Là-dessus toute la maison se mit à me presser de dire si j'étais amoureuse ou non, et de qui; mais, comme bien je pouvais, je niai que je fusse amoureuse de personne.

      Ils eurent à cette occasion une picoterie sur mon propos un jour pendant qu'ils étaient à table, qui pensa mettre toute la famille en tumulte. Ils se trouvaient être tous à table, à l'exception du père; pour moi, j'étais malade, et dans ma chambre; au commencement de la conversation, la vieille dame qui m'avait envoyé d'un plat à manger, pria sa servante de monter me demander si j'en voulais davantage; mais la servante redescendit lui dire que je n'avais pas mangé la moitié de ce qu'elle m'avait envoyé déjà.

      – Hélas! dit la vieille dame, la pauvre fille! Je crains bien qu'elle ne se remette jamais.

      – Mais, dit le frère aîné, comment Mme Betty pourrait-elle se remettre, puisqu'on dit qu'elle est amoureuse?

      – Je n'en crois rien, dit la vieille dame.

      – Pour moi, dit la sœur aînée, je ne sais qu'en dire; on a fait un tel vacarme sur ce qu'elle était si jolie et si charmante, et je ne sais quoi, et tout cela devant elle, que la tête de la péronnelle, je crois, en a été tournée, et qui sait de quoi elle peut être possédée après de telles façons? pour ma part, je ne sais qu'en penser.

      – Pourtant, ma sœur, il faut reconnaître qu'elle est très jolie, dit le frère aîné.

      – Oui certes, et infiniment plus jolie que toi, ma sœur, dit Robin, et voilà ce qui te mortifie.

      – Bon, bon, là n'est pas la question, dit sa sœur; la fille n'est pas laide, et elle le sait bien; on n'a pas besoin de le lui répéter pour la rendre vaniteuse.

      – Nous ne disons pas qu'elle est vaniteuse, repart le frère aîné, mais qu'elle est amoureuse; peut-être qu'elle est amoureuse de soi-même: il paraît que mes sœurs ont cette opinion.

      – Je voudrais bien qu'elle fût amoureuse de moi, dit Robin, je la tuerais vite de peine.

      – Que veux-tu dire par là, fils? dit la vieille dame; comment peux-tu parler ainsi?

      – Mais, madame, dit encore Robin fort honnêtement, pensez-vous que je laisserais la pauvre fille mourir d'amour, et pour moi, qu'elle a si près de sa main pour le prendre?

      – Fi, mon frère, dit la sœur puînée, comment peux-tu parler ainsi? Voudrais-tu donc prendre une créature qui ne possède pas quatre sous vaillants au monde?

      – De grâce, mon enfant, dit Robin, la beauté est une dot et la bonne humeur en plus est une double dot; je te souhaiterais pour la tienne le demi-fonds qu'elle a des deux.

      De sorte qu'il lui ferma la bouche du coup.

      – Je découvre, dit la sœur aînée, que si Betty n'est pas amoureuse, mon frère l'est; je m'étonne qu'il ne s'en soit pas ouvert à Betty: je gage qu'elle ne dira pas NON.

      – Celles qui cèdent quand elles sont priées, dit Robin, sont à un pas devant celles qui ne sont jamais priées de céder, et à deux pas devant celles qui cèdent avant que d'être priées, et voilà une réponse pour toi, ma sœur.

      Ceci enflamma la sœur, et elle s'enleva de colère et dit que les choses en étaient venues à un point tel qu'il était temps que la donzelle (c'était moi) fût mise hors de la famille, et qu'excepté qu'elle n'était point en état d'être jetée à la porte, elle espérait que son père et sa mère n'y manqueraient pas, sitôt qu'on pourrait la transporter.

      Robin répliqua que c'était l'affaire du maître et de la maîtresse de la maison, qui n'avaient pas de leçons à recevoir d'une personne d'aussi peu de jugement que sa sœur aînée.

      Tout cela courut beaucoup plus loin: la sœur gronda, Robin moqua et railla, mais la pauvre Betty y perdit extrêmement de terrain dans la famille. On me le raconta et je pleurai de tout cœur, et la vieille dame monta me voir, quelqu'un lui ayant dit à quel point je m'en tourmentais. Je me plaignis à elle qu'il était bien dur que les docteurs donnassent sur moi un tel jugement pour lequel ils n'avaient point de cause, et que c'était encore plus dur si on considérait la situation où je me trouvais dans la famille; que j'espérais n'avoir rien fait pour diminuer son estime pour moi ou donner aucune occasion à ce chamaillis entre ses fils et ses filles, et que j'avais plus grand besoin de penser à ma bière que d'être en amour, et la suppliai de ne pas me laisser souffrir en son opinion pour les erreurs de quiconque, excepté les miennes.

      Elle fut sensible à la justesse de ce que je disais, mais me dit que puisqu'il y avait eu une telle clameur entre eux, et que son fils cadet jacassait de ce train, elle me priait d'avoir assez confiance en elle pour lui répondre bien sincèrement à une seule question. Je lui dis que je le ferais et avec la plus extrême simplicité et sincérité.