Moll Flanders. Defoe Daniel. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Defoe Daniel
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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pas appris autrefois; si le plus grand seigneur du pays m'offrait le mariage maintenant, je pourrais répondre non de très bon cœur.

      – Voyons, mais, ma chérie, dit-il, que peux-tu lui répondre? Tu sais fort bien, ainsi que tu le disais l'autre jour qu'il te fera je ne sais combien de questions là-dessus et toute la maison s'étonnera de ce que cela peut bien signifier.

      – Comment? dis-je en souriant, je peux leur fermer la bouche à tous, d'un seul coup, en lui disant, ainsi qu'à eux, que je suis déjà mariée à son frère aîné.

      Il sourit un peu, lui aussi, sur cette parole, mais je pus voir qu'elle le surprenait, et il ne put dissimuler le désordre où elle le jeta; toutefois il répliqua:

      – Oui bien, dit-il, et quoique cela puisse être vrai, en un sens, cependant je suppose que tu ne fais que plaisanter en parlant de donner une telle réponse, qui pourrait ne pas être convenable pour plus d'une raison.

      – Non, non, dis-je gaiement, je ne suis pas si ardente à laisser échapper ce secret sans votre consentement.

      – Mais que pourras-tu leur répondre alors, dit-il, quand ils te trouveront déterminée contre une alliance qui serait apparemment si fort à ton avantage?

      – Comment, lui dis-je, serai-je en défaut? En premier lieu je ne suis point forcée de leur donner de raisons et d'autre part je puis leur dire que je suis mariée déjà, et m'en tenir là; et ce sera un arrêt net pour lui aussi, car il ne saurait avoir de raisons pour faire une seule question ensuite.

      – Oui, dit-il, mais toute la maison te tourmentera là-dessus, et si tu refuses absolument de rien leur dire, ils en seront désobligés et pourront en outre en prendre du soupçon.

      – Alors, dis-je, que puis-je faire? Que voudriez-vous que je fisse? J'étais assez en peine avant, comme je vous ai dit; et je vous ai fait connaître les détails afin d'avoir votre avis.

      – Ma chérie, dit-il, j'y ai beaucoup réfléchi, sois-en sûre; et quoiqu'il y ait en mon conseil bien des mortifications pour moi, et qu'il risque d'abord de te paraître étrange, cependant, toutes choses considérées, je ne vois pas de meilleure solution pour toi que de le laisser aller; et si tu le trouves sincère et sérieux, de l'épouser.

      Je lui jetai un regard plein d'horreur sur ces paroles, et, devenant pâle comme la mort, fus sur le point de tomber évanouie de la chaise où j'étais assise, quand, avec un tressaut: «Ma chérie, dit-il tout haut, qu'as-tu? qu'y a-t-il? où vas-tu?» et mille autres choses pareilles, et, me secouant et m'appelant tour à tour, il me ramena un peu à moi, quoiqu'il se passât un bon moment avant que je retrouvasse pleinement mes sens, et je ne fus pas capable de parler pendant plusieurs minutes.

      Quand je fus pleinement remise, il commença de nouveau:

      – Ma chérie, dit-il, il faudrait y songer bien sérieusement; tu peux assez clairement voir quelle est l'attitude de la famille dans le cas présent et qu'ils seraient tous enragés si j'étais en cause, au lieu que ce fût mon frère, et, à ce que je puis voir du moins, ce serait ma ruine et la tienne tout ensemble.

      – Oui-dà! criai-je, parlant encore avec colère; et toutes vos protestations et vos vœux doivent-ils être ébranlés par le déplaisir de la famille? Ne vous l'ai-je pas toujours objecté, et vous le traitiez légèrement, comme étant au-dessous de vous, et de peu d'importance; et en est-ce venu là, maintenant? Est-ce là votre foi et votre honneur, votre amour et la fermeté de vos promesses?

      Il continua à demeurer parfaitement calme, malgré tous mes reproches, et je ne les lui épargnais nullement; mais il répondit enfin:

      – Ma chérie, je n'ai pas manqué encore à une seule promesse; je t'ai dit que je t'épouserais quand j'entrerais en héritage; mais tu vois que mon père est un homme vigoureux, de forte santé et qui peut vivre encore ses trente ans, et n'être pas plus vieux en somme que plusieurs qui sont autour de nous en ville; et tu ne m'as jamais demandé de t'épouser plus tôt, parce que tu savais que cela pourrait être ma ruine; et pour le reste, je ne t'ai failli en rien.

      Je ne pouvais nier un mot de ce qu'il disait:

      – Mais comment alors, dis-je, pouvez-vous me persuader de faire un pas si horrible et de vous abandonner, puisque vous ne m'avez pas abandonnée? N'accorderez-vous pas qu'il y ait de mon côté un peu d'affection et d'amour, quand il y en a tant eu du vôtre? Ne vous ai-je pas fait des retours? N'ai-je donné aucun témoignage de ma sincérité et de ma passion? Est-ce que le sacrifice que je vous ai fait de mon honneur et de ma chasteté n'est pas une preuve de ce que je suis attachée à vous par des liens trop forts pour les briser?

      – Mais ici, ma chérie, dit-il, tu pourras entrer dans une position sûre, et paraître avec honneur, et la mémoire de ce que nous avons fait peut être drapée d'un éternel silence, comme si rien n'en eût jamais été; tu conserveras toujours ma sincère affection, mais en toute honnêteté et parfaite justice envers mon frère; tu seras ma chère sœur, comme tu es maintenant ma chère…

      Et là il s'arrêta.

      – Votre chère catin, dis-je; c'était ce que vous vouliez dire et vous auriez aussi bien pu le dire; mais je vous comprends; pourtant je vous prie de vous souvenir des longs discours dont vous m'entreteniez, et des longues heures de peine que vous vous êtes donnée pour me persuader de me regarder comme une honnête femme; que j'étais votre femme en intention, et que c'était un mariage aussi effectif qui avait été passé entre nous, que si nous eussions été publiquement mariés par le ministre de la paroisse; vous savez que ce sont là vos propres paroles.

      Je trouvai que c'était là le serrer d'un peu trop près; mais j'adoucis les choses dans ce qui suit; il demeura comme une souche pendant un moment, et je continuai ainsi:

      – Vous ne pouvez pas, dis-je, sans la plus extrême injustice, penser que j'aie cédé à toute ces persuasions sans un amour qui ne pouvait être mis en doute, qui ne pouvait être ébranlé par rien de ce qui eût pu survenir; si vous avez sur moi des pensées si peu honorables, je suis forcée de vous demander quel fondement je vous ai donné à une telle persuasion. Si jadis j'ai cédé aux importunités de mon inclination, et si j'ai été engagée à croire que je suis vraiment votre femme, donnerai-je maintenant le démenti à tous ces arguments, et prendrai-je le nom de catin ou de maîtresse, qui est la même chose? Et allez-vous me transférer à votre frère? Pouvez-vous transférer mon affection? Pouvez-vous m'ordonner de cesser de vous aimer et m'ordonner de l'aimer? Est-il en mon pouvoir, croyez-vous, de faire un tel changement sur commande? Allez, monsieur, dis-je, soyez persuadé que c'est une chose impossible, et, quel que puisse être le changement de votre part, que je resterai toujours fidèle; et j'aime encore bien mieux, puisque nous en sommes venus à une si malheureuse conjoncture, être votre catin que la femme de votre frère.

      Il parut satisfait et touché par l'impression de ce dernier discours, et me dit qu'il restait là où il s'était tenu avant; qu'il ne m'avait été infidèle en aucune promesse qu'il m'eût faite encore, mais que tant de choses terribles s'offraient à sa vue en cette affaire, qu'il avait songé à l'autre comme un remède; mais qu'il pensait bien qu'elle ne marquerait pas une entière séparation entre nous, que nous pourrions, au contraire, nous aimer en amis tout le reste de nos jours, et peut-être avec plus de satisfaction qu'il n'était possible en la situation où nous étions présentement; qu'il se faisait fort de dire que je ne pouvais rien appréhender de sa part sur la découverte d'un secret qui ne pourrait que nous réduire à rien, s'il paraissait au jour; enfin qu'il n'avait qu'une seule question à me faire, et qui pourrait s'opposer à son dessein, et que s'il obtenait une réponse à cette question, il ne pouvait que penser encore que c'était pour moi la seule décision possible.

      Je devinai sa question sur-le-champ, à savoir si je n'étais pas grosse. Pour ce qui était de cela, lui dis-je, il n'avait besoin d'avoir cure, car je n'étais pas grosse.

      – Eh bien, alors, ma chérie, dit-il, nous n'avons pas le temps de causer plus longtemps maintenant; réfléchis; pour moi, je ne puis qu'être encore d'opinion que ce sera pour toi le meilleur parti à prendre.

      Et là-dessus, il prit congé, et d'autant plus à