Annette Laïs. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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petit neveu qui avait dit:

      «Cha'ot mal au ventre!

      – La Bretagne est décidément au-dessous de vous? me demanda ma sœur la marquise avec un peu d'ironie.

      – A table!» cria d'en bas mon père, pendant que la cloche sonnait.

      L'oncle Bélébon me prit par l'oreille, disant:

      «Allons! l'innocent! je n'ai jamais vu la capitale, mais je ne veux pas te laisser partir sans te mettre en garde contre les divers dangers qui y attendent les provinciaux inexpérimentés. Assois-toi près de moi à table, et tu vas voir si les Parisiens pourraient me faire prendre, à moi, des vessies pour des lanternes!»

      IV.

      CONSEILS ET RECOMMANDATIONS

      Après le potage, l'oncle Bélébon reprit d'un ton de professeur:

      «Il y a à Paris, sur le pont Neuf, diverses curiosités, attirant les badauds, autour de la statue de Henri IV. Tu ne sais pas grand'chose, chevalier, mais tu dois connaître l'histoire de la poule au pot. Elle est célèbre. Je t'engage à ne jamais passer sur le pont Neuf, qui est le rendez-vous des filous de toute sorte. Ils vous escamotent votre bourse en un clin d'œil, et vont jusqu'à couper les pans des redingotes, n'est-pas, marquis?

      – Autrefois, murmura mon beau-frère.

      – Mon neveu Tréfontaines, les gazettes en savent encore plus long que vous!

      – La chose certaine, glissa Julie, qui vengeait toujours son mari, c'est qu'Henri IV est sur le pont Neuf.

      – L'eau de la Seine donne des coliques, dit ma tante Kerfily-Nougat; il y a du plâtre dans le sucre et des cervelles de mouton dans le lait.

      – C'était au mois d'août, commença Bel-Œil, par une de ces tièdes soirées qui… enfin il faisait très chaud. Un jeune homme à la physionomie intéressante se promenait sur le boulevard. Il était solitaire au milieu de la foule et perdu dans la poésie de ses rêves…»

      Charlot poussa un long hurlement.

      «Tu vas en avoir, mon trésor, tu vas en avoir! s'écria ma mère. Cet enfant n'est pas bien; on l'aura contrarié!

      – Qu'est-ce qu'il veut? demanda mon père.

      – Cha'ot sait pas, répondit mon neveu avec une colère sauvage.

      – Tu vas l'avoir, mignon, tu vas l'avoir.

      – Cha'ot veut pas l'avoir.

      – Voyez s'il est raisonnable!

      – Cha'ot veut…

      – Tu l'auras.

      – Cha'ot veut pas…

      – Quel ange!

      – Le jeune homme, poursuivit Bel-Œil, avait de longs cheveux incultes…

      – Ils font le vin avec du bois de campêche! interrompit Nougat.

      – Ah! ah! s'écria l'oncle Bélébon, personne ne nous en remontrera sur Paris. On n'a pas besoin d'aller à Paris pour le percer à jour! Achètes-tu une paire de bottes chez un cordonnier? Tu sors, chaussé comme un prince, mais, au bout de la rue, le talon te quitte, la semelle part, les tiges fondent et tu marches pieds nus dans six pouces de crotte, allez! C'était collé.

      – Singulier pays! dit l'abbé Raffroy, bien que toutes ces anecdotes soient un peu exagérées.

      – Saperbleure! dit mon père, je ne sais pas ce que sera le dîner, mais je déjeune avec plaisir.

      – Il faudra prendre bien garde, mon pauvre René, chanta la voix moqueuse de ma sœur la marquise. Ne traverse jamais la rivière, ne mange pas de sucre, ne bois ni eau ni vin, ni lait, et fais venir tes escarpins de Landevan.

      – Cha'ot veut pas! intercala mon neveu.

      – Eh! eh! dit ce méchant drôle de Vincent à la tante Renotte: les escarpins de Landevan! C'est drôle! On vous arrange, vous, ici!»

      La tante Renotte n'avait pas encore ouvert la bouche. Elle étendait son beurre sur son pain d'un air qui menaçait tempête.

      «Le col de sa chemise, poursuivit Bel-Œil, acharnée à son histoire traduite de l'allemand, se rabattait négligemment sur sa cravate, dont le nœud révélait un grand dédain des petites choses…

      – Et les bas de soie aussi collés! clama l'oncle Bélébon, et les chapeaux neufs dont le bord s'envole au vent!..

      – Vole-au-Vent! applaudit Nougat. Bon, celui-là! Sers-nous du vole-au-vent, monsieur Kervigné!»

      La table entière répéta: Vole-au-vent! vole-au-vent! et mon père, soulevant le couvercle en pâtisserie de celui qui fumait devant lui, l'offrit à l'oncle Bélébon en disant:

      «Saperbleure! tu ne nous avais pas avertis! En voilà une sévère!

      – Il est joli, approuva l'abbé Raffroy. Vole-au-Vent!

      – Vole-au-Vent! dit mon beau-frère. Il est charmant!

      – Ce jeune homme, continua Bel-Œil, enflant avec désespoir sa voix sourde, venait des libres champs de la Germanie et s'appelait Ethelred.

      – Il m'en échappe comme cela, reprit l'oncle Bélébon qui triomphait avec modestie. Que voulez-vous? On n'est pas Parisien, mais on ne vient pas non plus de Landevan!

      – Attrape!» gronda Vincent à l'oreille de la tante Renotte.

      La tante Renotte ne dit mot.

      «Est-ce vrai, mon neveu, demanda Nougat au marquis, qu'on sert les chats à Paris pour des lapins de garenne?

      – Tout le monde le dit, chère tante.

      – En avez-vous mangé?

      – Je le crains.»

      Il souriait, le malheureux don Juan. C'est celui-là qui payait cher les orages de sa jeunesse!

      Bel-Œil le tira par la manche et lui dit en louchant de la façon la plus extravagante:

      «Il y a dans ces noms allemands quelque chose qui fait vibrer l'âme, n'est-ce pas, mon neveu de Tréfontaines?

      – Assurément, chère tante.

      – Ah! que vous comprenez bien ces choses-là! Ethelred avait vingt ans. Victime d'une sensibilité exaltée, il passait dans la vie comme un pauvre exilé…

      – Je croyais que c'était sur le boulevard qu'il passait, dit Nougat.

      – Ouvre l'oreille, René! ordonna l'oncle Bélébon. Tu te promènes au Palais-Royal. Un mirliflor se jette dans tes bras et te presse sur son cœur en criant: Ce bon Kergaradec! ou ce bon Kerenflech! ou ce bon Penfunteniou! Tu lui dis: Connais pas. Il s'excuse, c'est une méprise; pas d'affront! Il file… cherche ta montre!

      – Oui, dit Vincent, cherche ta montre!

      – Hein! marquis? fit l'oncle Bélébon.

      – Ah! dame, répondit mon beau-frère avec candeur, la montre fait comme les bords du chapeau.

      – Elle vole au vent.

      – On la vole au vent…

      – Pire!.. pire que le chapeau!

      – Vole-au-vampire!»

      Ce fut une vaste acclamation. Mon départ était oublié. Vincent put se verser trois verres pleins de suite sans être vu. Nougat devenait folle de joie. Charlot, effrayé du brouhaha, se mit à pousser des cris de paon.

      «Qu'y a-t-il donc? demanda ma mère.

      – Vole-au-vampire! lui répondit-on. Ah! vole-au-vampire?

      – L'oncle Bélébon est en veine!

      – Il faudra empailler celui-là?

      – M'écoutez-vous, monsieur de Tréfontaines? s'informa Bel-Œil.

      – Certes, ma tante, répondit mon malheureux