Annette Laïs. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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de moi: je fus emporté comme en un rêve.

      A mon réveil, j'étais déjà sur la haute colline d'où l'on découvre pour la première fois, en venant de Paris, ce lac prodigieux, semé d'îles innombrables, mélange inouï de terre et d'eau qui se nomme «la petite mer» (Mor-bihan). J'occupais la place du milieu, dans le coupé, entre un officier de marine très coquet, mais très maltraité par la petite vérole, qui fumait abondamment, et un vieux monsieur qui dormait mieux qu'un juste. Le vieux monsieur ne cessa de dormir, et l'officier de marine de fumer qu'à Ploërmel, où chacun d'eux prit sa part d'un dîner, qu'aucune épithète ne saurait assez flétrir. Pendant le repas, le vieux monsieur ne dit rien, mais l'officier de marine nous apprit qu'il allait avoir le grade supérieur et la décoration. Il se nomma: c'était un de mes cousins; nous sommes tous cousins en Basse Bretagne. Je gardai l'incognito, afin qu'il ne m'écrasât point de ses succès.

      Brest, d'où il venait, est une glorieuse ville, entièrement habitée par des officiers de marine et par des dames qui sont folles des officiers de marine. A Brest, un citoyen qui n'a pas l'honneur d'être officier de marine s'attire dans les rues des regards pénibles, comme s'il était boiteux ou bossu, les enfants de Brest voient dans l'absence de l'épaulette une véritable difformité. On n'y connaît que le ministre de la marine; Paris n'y a d'autre raison d'être que les bureaux de ce même ministre. Volontiers y crierait-on, dans les fêtes nationales, selon les divers régimes: vive le roi, ou vive l'empereur, ou vive la république, qui nomme les officiers de la marine!

      Notre officier de marine du coupé allait à Paris pour voir le seul prince de la famille royale qui eût à Brest quelque notoriété, non parce qu'il était prince, mais parce qu'il était officier de marine. J'appris ici que les cendres de Napoléon avaient fait beaucoup d'effet à Paris, par la raison que la marine les y avait apportées. En arrivant à Rennes, le mot marine me battait le crâne comme un marteau de couvreur. J'avais encore pourtant deux jours et deux nuits à passer en tête à tête avec la marine.

      Le vieux monsieur ronflait, l'heureux mortel. Toute cette marine passait sur lui sans l'offenser. Aux portes d'Alençon, j'avais une migraine furieuse; à Chartres j'aurais voulu me changer en brûlot pour incendier la flotte française.

      A Paris, le vieux monsieur s'éveilla, la marine me dit adieu d'un signe de tête protecteur, et je me trouvai seul dans la cour des messageries.

      «Quoique çâ, dit derrière moi une voix raboteuse et plaintive, c'est peut-être un coup ed' ma tête que j'ons fait pour sûr et pour vrai.

      – Joson Michais m'écriai-je en un premier mouvement de joie.

      – C'est il que çâ vous fait du plaisir de me voir, monsié el chevâlier! me demanda le pauvre diable d'un air piteux.

      – Que viens-tu faire ici? et où t'es-tu caché tout le long de la route?

      – Je ne mens point: dans la diligence. Et j'voulais voir el grand bourg tout de même. Ah! mais dame, oui!

      – Et que vas-tu devenir?

      – Quoique çâ! Mes chemises sont dans vot'paquet, et j'vas aller d'avec mes chemises.

      Joson Michais me fit cette déclaration d'un air modeste, mais résolu. Il était assez coquettement costumé: je m'étonnai de n'avoir point remarqué au départ qu'il avait mis ses braies du dimanche, ses épinglettes de laine et son grand chapeau de Plouharnel. C'était un beau gros Breton, à tout prendre.

      «Charge la malle et viens avec moi,» lui dis-je.

      Il fit une lourde cabriole et je crois qu'il eut bonne envie d'entonner la chanson des gars de Locminé «qu'ont de la maillette dessous leurs souliers.»

      Nous allions partir, et Dieu sait comment nous aurions trouvé notre chemin, car je ne me donne pas pour un jeune homme de ressource, et l'idée ne m'était pas venue de prendre un fiacre, quand un grand laquais en deuil, avec une cocarde noire, large comme un ventilateur d'estaminet, sortit du bureau avec le conducteur qui me montra au doigt. Le grand laquais vint à moi aussitôt et me dit avec noblesse:

      «La voiture attend monsieur le chevalier.»

      Joson ouvrit des yeux énormes et faillit lâcher notre malle. Le fait est que ce grand laquais noir était de toute beauté.

      «Vous êtes à mon cousin le président de Kervigné? demandai-je un peu intimidé.

      – A madame la vicomtesse!» répliqua le grand laquais d'un ton de preux qui affirme sa dame.

      Puis, regardant Joson de haut en bas, il demanda:

      «Qu'est-ce que c'est que çà?»

      Je n'avais pas la tête trop loin du bonnet; malgré mon apparence paisible.

      «Comment vous nomme-t-on? demandai-je en me redressant.

      – Laroche, répondit mon beau drôle, dont la taille sembla diminuer de tout ce qu'avait gagné la mienne.

      – Eh bien! Laroche, repris-je, ça, c'est un gars de Bretagne qui vous cassera les os à la première occasion, si vous oubliez la politesse.

      – Je ne mens point! approuva Joson; quoique çâ, tout de même, ah! mais dame, oui!»

      Laroche s'inclina gravement et me montra la voiture qui stationnait dans la cour même des messageries. Certes, ma tante faisait bien les choses. La voiture était moins splendide que le grand laquais; à Vannes, néanmoins, elle eût passé encore pour un beau carrosse. J'entrai seul dans la caisse; Laroche s'assit auprès du cocher et Joson monta derrière avec la malle.

      «Voilà comme il faut se conduire à Paris, me disais-je le long de la route, encore tout ému de ma sortie contre Laroche. Du caractère, morbleu! du caractère!»

      Mais la réflexion vint et à moitié chemin, l'idée que Laroche allait faire son rapport à ma tante me donna la chair de poule. Etait-ce en matamore qu'il me fallait entrer dans cette maison hospitalière! Ce nigaud de Joson avait bien besoin de venir augmenter mes embarras!

      La nuit tombait quand nous arrivâmes rue du Regard, où la voiture s'arrêta devant un hôtel de fort bonne apparence.

      «Porte, s'il vous plaît!» cria Laroche, un des plus sonores barytons-laquais du faubourg Saint Germain.

      La porte s'ouvrit. La voiture entra dans une cour spacieuse, mais triste, entourée de vieux bâtiments qui me rappelèrent un peu notre hôtel de la place des Lices. Les fenêtres du premier étage étaient d'une hauteur démesurée. A l'une de ces croisées, une forme blanche s'appuyait au balcon de fer. C'était en vérité, une entrée traduite de l'allemand: rien ne manquait, ni l'antique manoir, ni la châtelaine.

      «Bonsoir, mon petit cousin, me dit une voix douce qui appartenait à la forme blanche du balcon, montez vite et venez me parler de notre chère Bretagne.»

      J'ôtai ma casquette en balbutiant:

      «Bonsoir, ma tante; vous avez beaucoup de bonté.

      – Et qu'allons-nous faire du gars, qui me cassera les os à la prochaine occasion? demanda ce perfide Laroche à haute et intelligente voix.

      – Quoique çâ… commença Joson.

      – Quel gars? interrogea la présidente.

      – Le valet de chambre de M. le chevalier.»

      J'entendis la forme blanche qui murmurait:

      «Est-ce que l'enfant est fou?..

      – Allons! ajouta-t-elle tout haut, montez, mes enfants, montez.

      – Le gars aussi? dit Laroche.

      – Tout le monde.»

      Nous prîmes le vaste escalier à rampe de fer forgé et nous fûmes introduit dans un boudoir tendu de lampas bleu sombre où régnait une douce clarté. Ce qui me frappa surtout, ce fut la bonne odeur de cette retraite. Les sauvages aiment l'atmosphère des boutiques de parfumeurs, et je n'étais qu'un sauvage.

      «Voilà, dit le grand laquais avec une liberté de ton, qui me surprit.

      – Ma tante… commençai-je