Annette Laïs. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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seras la coqueluche de mon salon!»

      Je riais encore, quand on mit la table; Laroche grave, roide, maussade, présida aux préparatifs et se retira. Pour un peu, ce soir-là, il se serait fait carmélite, comme la Vallière.

      Ma cousine me servit une tranche de foie gras et fit mousser le champagne dans mon verre. Je n'en étais plus à m'étonner.

      «Nous sommes en partie fine, me dit-elle.

      – Si mon cousin revenait, repartis-je d'un ton où mon innocence avait déjà quelque alliage de scélératesse.»

      Elle me donna de son pain sur les doigts et murmura:

      «Ce n'est pas lui qui m'occupe.»

      Hélas! c'était Laroche. Laroche venait de temps en temps, sous prétexte de servir. Pour donner une idée des progrès qu'on peut faire à Paris en une soirée, l'idée me passa que ce coquin de Laroche avait bien pu s'asseoir une fois ou l'autre à ma place, châtiant ainsi de plus d'une manière les inconvenances de M. le président.

      Laroche, du reste, me gênait peu. J'avais un appétit d'enfer, et je trouvais le souper exquis. Mme de Kervigné ne mangeait pas comme ma tante Nougat, mais c'était néanmoins une forte convive. Elle avait des façons ravissantes de tenir son verre à champagne. Je trouvais à Laroche des airs d'Othello qui me divertissaient sincèrement.

      Au dessert, je savais par cœur la maison de ma cousine. Elle avait eu soin de m'apprendre que la partie du métier de camériste, à laquelle Laroche était décidément impropre, était confiée à la lingère, vieille fille bossue que le président respectait. Le décorum une fois bien établi, Aurélie, car elle m'avait permis de l'appeler ainsi pour alterner avec petite maman, Aurélie dis-je, passa aux confidences, ou plutôt à la confession générale de son mari. Son mari n'en faisait pas beaucoup plus que les autres, me dit-elle; car la mode parmi les hommes graves était aux fredaines. Cela ne ressemblait pas tout à fait aux orgies publiques de la régence: c'étaient des débauches de juste milieu, timides, parcimonieuses, vilaines. Ces palais mignons de la volupté qu'on appelait jadis des folies ou de petites maisons, étaient remplacés tout uniment par des chambres garnies. Le Parc-aux-Cerfs du président était à Bagnolet, près d'une fabrique de plâtre, et lui coûtait six cents francs par an. Quand sa fantaisie allait jusqu'à mettre Paméla dans ses meubles, il avait un abonnement au faubourg Saint-Antoine et un billet de mille francs lui faisait voir le bout de l'aventure.

      Ma cousine connaissait par le menu la carte de cette rouerie au rabais. Il y avait des tenants et des aboutissants qui ne laissaient pas d'être curieux. Ainsi, le président, pourvu d'un pseudonyme, comme les vaudevillistes qui ont un bureau, était actionnaire de plusieurs petits théâtres. Son argent lui rapportait ainsi d'assez bons intérêts et une influence. Il était roi dans ces coulisses de bas ordre et n'enviait point les fous qui payent si cher le droit de s'égarer dans les couloirs de l'Opéra. On passe précisément par les petits théâtres avant de grimper dans les grands. Le président buvait le Nil à sa source.

      Il faisait débuter comme un commissaire du gouvernement. Ce qui coûte les yeux de la tête à un Anglais lui rapportait sept pour cent l'an, outre la paix profonde de l'incognito, car le théâtre Beaumarchais et les Délassements-Comiques sont à cent lieues du Palais de justice.

      Pour le moment, la divinité régnante était une demoiselle Annette Laïs, qui sortait Dieu sait d'où. Le président l'avait fait débuter depuis peu au théâtre Beaumarchais. Il était fou d'elle, à ce qu'on disait. Il allait la voir avec une perruque blonde et des lunettes bleues. Ma cousine ne me cacha pas qu'elle était tout particulièrement curieuse de contempler cette merveille.

      Car Annette Laïs avait un succès étourdissant au théâtre Beaumarchais, et on la disait belle comme un astre.

      Je pense que je bâillai. Du moins, ma cousine se leva précipitamment et ordonna à Laroche de me conduire à mon appartement. Ce serait de l'effronterie, si je disais que je songeai longtemps à la bizarrerie de mon entrée dans la maison du président de Kervigné. J'avais trois jours et trois nuits de diligence dans la cervelle, et je m'endormis en tombant dans mon lit, absolument comme si j'avais soupé à la table d'une famille toute unie et pareille à la mienne. L'image d'Aurélie, ma nouvelle maman, ne vint pas du tout me visiter, quoique mes doigts gardassent son parfum comme si j'eusse manipulé du savon aux mille fleurs. Je m'endormis, Breton que j'étais, et, chose étrange, si un nom vibra à mon oreille au moment où je perdais connaissance, ce fut celui de cette fillette que mon cousin avait fait débuter au théâtre Beaumarchais, et qui sans doute allait lui coûter mille francs chez son marchand de meubles du faubourg Saint-Antoine: le nom d'Annette Laïs.

      VII.

      ANNETTE LAÏS

      Annette Laïs! Ce nom tintait encore dans l'air autour de moi quand je m'éveillai le lendemain matin, dans une chambre d'excellente tournure, commodément meublée, et dont les deux belles croisées donnaient sur les jardins de l'hôtel. De mon lit, je pouvais voir les arbres en pleine feuillaison que la brise matinale balançait. Je devais tout avoir à Paris, même des arbres.

      Et je me disais:

      «Les gens de Vannes se figurent qu'il n'y a point d'arbres à Paris. Je ne connaissais pas à Vannes d'acacias si grands ni de si gros tilleuls. Nos braves du Morbihan connaissent tous Paris à la façon de l'oncle Bélébon.»

      Justice du ciel! ce souvenir de l'oncle Bélébon, qui avait tout l'esprit de la famille, me sembla dater du déluge. Vincent disparaissait pour moi à des distances incalculables. Je voyais mes deux tantes Kerfily-Nougat et Kerfily-Bel-Œil perdues tout au bout des lointaines perspectives du passé. Un siècle s'était écoulé depuis mon départ de Bretagne.

      Pauvre bonne mère! Elle avait Charlot et Mimi qui devaient bien l'empêcher de me regretter! Et mon père! Ah! celui-là je l'entendais:

      «A la soupe, saperbleure! Bon appétit, bonne conscience! Depuis mon dernier repas, je n'ai rien mangé! Apportez le potage, que je le mette dans mes bottes.»

      Et ma sœur, jolie, mais un peu maussade; et le prudent abbé Raffroy, et ma pauvre vieille Renotte, vaillante comme un grenadier…

      Annette Laïs! Ce nom inconnu me revenait comme ces tyranniques refrains qu'on voudrait chasser et qui vous obsèdent. Notez qu'en dehors du nom, il n'y avait rien pour moi; celle qui le portait ne m'inspirait ni intérêt ni curiosité. Je n'étais même pas comme ma cousine de Kervigné, qui avait envie de la voir.

      «J'ai ordre de savoir si M. le chevalier prend du chocolat ou du café, prononça la belle voix du baryton Laroche à ma porte entre-baillée.

      – Du café, répondis je, et envoyez-moi mon Breton.»

      Laroche referma la porte.

      Il fallut cela pour me rappeler ce qui aurait dû être ma préoccupation principale: ma conversation avec la présidente. Je n'aurais point su dire pourquoi j'avais répugnance à tourner mon souvenir de ce côté. Mes aventures du soir précédent se présentaient à moi comme une histoire à la fois biscornue et invraisemblable. Il y avait déception: j'avais compté sur une tante, et cette cousine, qui venait de passer ses vingt-huit ans, m'apparaissait ce matin sous une forme fantastique. Il n'y avait pas jusqu'à son bouquet violent qui n'eût pour moi odeur de fleurs fanées. Je ris pourtant un peu en songeant à Laroche, sa camériste, et aux entreprises intestines du président, mais j'aurais mieux aimé ne pas rire.

      Joson Michais arriva avec ma tasse de café au lait. Il était tout blême.

      «Quoique çâ, me dit-il d'une voix qui avait déjà perdu quelque chose de son redoutable mordant, comment que nous en vâ, dâ matin, monsié el chevâlier!

      – Es-tu malade, Joson? lui demandai-je.

      – Point d'en tout, éj'ne mens point.

      – As-tu bien dormi dans ton écurie?

      – Ah! dame, assez tout de même; c't'etchurie-là est plus plaisante qu'un logis.

      – Qu'as-tu donc?

      – Ej'vâs vous dire: ej'mennuie