Victor Hugo, son oeuvre poétique. Dupuy Ernest. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dupuy Ernest
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
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cette manifestation, si spontanée et si frappante qu'elle fût, le cède encore au spectacle inouï que, trois années plus tard, devaient offrir les funérailles. Pourtant ce ne fut pas une pompe vulgaire que cette démarche de la ville de Paris, venant, par la bouche du préfet de la Seine, Hérold, lire à Victor Hugo le double décret qui attribuait son nom à une rue et à une place de la capitale française.

      Victor Hugo répondit à ces honneurs quasi posthumes en donnant une éclatante preuve de vitalité; le même mois de la même année (mai 1881), il publiait les Quatre vents de l'esprit, cet ouvrage dont la partie satirique rappelait les Châtiments, et par endroits les égalait sans les imiter, dont la partie tragique avait la fraîcheur des premiers drames et rayonnait de la même lumière idéale qu'Hernani ou Marion De Lorme, dont la partie lyrique semblait neuve après les Orientales, les Feuilles d'automne, les Chansons des rues et des bois, dont la partie épique apportait aux lecteurs et aux poètes à venir les éléments d'un merveilleux qui égalait, dans sa puissante nouveauté, celui des Milton et celui des Homère.

      Un an plus tard, Torquemada paraissait, et inaugurait une nouvelle série d'œuvres dont les titres seuls furent connus du vivant de Hugo. Plusieurs de ces écrits posthumes ont été édités par les soins des fidèles compagnons d'exil du poète, Auguste Vacquerie et Paul Meurice. Le Théâtre en liberté, publié tout d'abord, n'a rien ôté, mais n'a rien ajouté à l'idée qu'on pouvait se faire des ressources du poète dans la fantaisie dramatique. Aucune pièce de ce volume ne surpasse le chef-d'œuvre dramatique des Quatre vents de l'esprit, la seconde trouvaille de Gallus. Quant à l'épopée Miltonienne qui s'appelle la Fin de Satan, c'est une superbe ébauche, rappelant, en certaines parties, pour l'exécution impeccable, la merveille des Châtiments.

      Victor Hugo est mort à 83 ans deux mois vingt-six jours à la date du 23 mai 1885. Il s'en est allé, selon sa prophétie, «dans la saison des roses». Il repose au Panthéon, où tout un peuple l'a conduit; jamais triomphe d'empereur n'a égalé la majesté de ces obsèques de poète.

      Dans cette étude détaillée de la longue et laborieuse vie de Victor Hugo nous n'avons pas tracé un seul portrait de lui. Mais quel lecteur ne se représente, au seul nom de Hugo, un beau vieillard aux cheveux blancs, droits et serrés, au large front bombé, et comme agrandi par l'effort de la réflexion! Ceux qui ont eu le bonheur d'approcher l'homme, n'oublieront jamais ses yeux, d'une couleur un peu insaisissable, mais singulièrement lumineux et vivants; ils entendent encore, dans leur mémoire, l'accent profond de sa voix au timbre très pur; ils resteront toujours sous le charme de sa bonté.

      C'est là le Hugo des dernières années, celui du quatrième âge, semblable à quelque aède grec, qui se plaît dans les longs récits: c'est le Hugo des épopées.

      Si nous remontions de vingt-cinq ans en arrière, jusqu'au milieu de la période d'exil, nous rencontrerions, sur la grève de Guernesey, un promeneur solitaire, dialoguant avec le vent, avec la houle de la mer, et, comme l'antique orateur, jetant aux flots en rumeur des lambeaux de satire.

      Théophile Gautier compare le Hugo de cette époque à un lion. «Son front, coupé de plis augustes, secoue une crinière plus longue, plus épaisse et plus formidablement échevelée… Ses yeux jaunes sont comme des soleils dans des cavernes; et, s'il rugit, les autres animaux se taisent.»

      Cette attitude farouche de l'exilé répond à l'accent des poèmes que lui soufflait alors l'indignation; il semblait que le charbon dont parle Isaïe eût brûlé ses lèvres, et à voir ses traits comme irréconciliables, on se souvenait des prophètes hébreux.

      Trente ans plus tôt, Victor Hugo vient de remporter la grande victoire d'Hernani. Son chef-d'œuvre dramatique a soulevé les acclamations de tout ce qu'on nommait la jeune France. David d'Angers, le statuaire, va sculpter ce visage de poète triomphateur; il lui donnera la sereine beauté d'un marbre antique; mais les marbres antiques ne pensent pas; devant le buste moderne, on devine quel flot d'idées, d'images, de symboles bouillonne sous ce vaste front couronné de lauriers.

      Dix ans auparavant, Lamartine, déjà tout rayonnant de gloire, allait visiter Hugo, dont il avait lu et apprécié les premiers vers. «Dans une maison obscure, au fond d'une cour, au rez-de-chaussée, une mère grave, triste, affairée, faisait réciter des devoirs à des enfants de différents âges: c'étaient ses fils. Elle nous ouvrit une salle basse, un peu isolée, au fond de laquelle un adolescent studieux, d'une belle tête lourde et sérieuse, écrivait ou lisait: c'était Victor Hugo, celui dont la plume aujourd'hui fait l'effroi ou le charme du monde.»

      Ces quatre portraits, qui semblent différer si fort, offrent un trait commun qui domine les différences. Le front puissant, les yeux contemplateurs, se retrouvent aussi bien dans les rares lithographies représentant l'auteur des premières Odes, que dans les portraits répandus partout du «grand-père», du poète blanchi par les ans.

      L'ŒUVRE POÉTIQUE DE VICTOR HUGO

L'ŒUVRE POÉTIQUE DE VICTOR HUGO

      L'ODE

      Victor Hugo a ramené lui-même à quatre formes de poésie, ou, si l'on veut, à quatre inspirations tous les vers qu'il a pu écrire. La classification s'impose à nous.

      Il compare l'idéal à une croix immense dont les extrémités forment les quatre angles des cieux. Il personnifie la pensée dans l'aigle à quatre ailes; chacune de ses ailes a un nom: ode, drame, iambe, épopée. L'âme du poète ressemble à un sonore instrument dont les cordes sont agitées tour à tour par des souffles venus des quatre points de l'horizon. Chacun de ces «vents de l'esprit» produit une harmonie distincte et donne ainsi naissance à un genre spécial, et toute poésie est lyrique, ou dramatique, ou satirique, ou épique. Parfois pourtant deux souffles se mêlent, et l'œuvre est alors, comme il arrive si souvent chez Hugo, lyrique et satirique en même temps (les Châtiments, les Contemplations), ou dramatique et épique à la fois (les Burgraves). Et le rêve du poète, qui vécut vingt ans au seuil des tempêtes, c'était de rivaliser avec l'ouragan, de faire chanter toutes les voix de l'espace dans un seul écrit, d'inaugurer un concert tout-puissant où résonnât «toute la lyre.»

      De ces quatre vents de l'Esprit, celui qui le premier a fait frémir l'âme de Hugo, c'est le souffle lyrique. C'est par le chant que le poète de vingt ans a débuté, et l'on peut dire que ce lyrisme, qui s'est épanché à flots dans les Odes et Ballades, les Orientales, les Feuilles d'automne, les Chants du Crépuscule, les Rayons et les Ombres, n'a pas cessé de circuler à travers ses autres écrits. Drame, satire, épopée, tout genre poétique dans Hugo est soulevé, transposé, superbement dénaturé par une émotion, par un ébranlement d'images et d'idées qui appartient plus proprement à l'Ode. Hernanie ne vit pas seulement, il vibre; la satire des Châtiments n'est pas empennée comme une flèche qui vole à peine jusqu'au but; elle a l'aile des oiseaux de mer; elle plane au-dessus des flots et des écueils; elle surgit, vers le zénith, dans la lumière. En l'épopée de la Légende des siècles n'est-elle pas traversée de musique comme une tragédie d'Eschyle ou une comédie d'Aristophane? Rappelez-vous la sérénade de Zéno, la chanson des Aventuriers de la mer, et le Romancero du Cid Rodrigue de Bivar.

      Hugo, toute sa vie, a été un lyrique; mais, au début de sa carrière poétique, il l'a été plus exclusivement. Dès son premier recueil de vers, il prétendait renouveler le genre, et il avait quelques droits à cette prétention. Dans sa préface datée de décembre 1822, il indique très justement pourquoi l'ode française est restée monotone et froide. C'est qu'elle est toute faite de procédés, de moyens, pour ainsi dire, extérieurs. On y prodigue l'exclamation, l'apostrophe, la prosopopée. «Asseoir la composition sur une idée fondamentale» tirée du cœur et des entrailles du sujet, «placer le mouvement de l'ode dans les idées plutôt que dans les mots,» rejeter comme des oripeaux usés, fripés, les vaines ressources d'une mythologie que l'on avait cessé d'interpréter, et y substituer l'expression d'un sentiment religieux moins profond qu'exalté, mais moderne du moins, et, par certains côtés, sincère, telle était, dans ses traits essentiels, la doctrine poétique professée, je ne dis pas inventée,