Victor Hugo, son oeuvre poétique. Dupuy Ernest. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dupuy Ernest
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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vous tuez l'honneur, la raison, l'espérance!

      Quoi! d'un côté la France et de l'autre la France!

      Arrêtez! c'est le deuil qui sort de vos succès.

      Chaque coup de canon de Français à Français

      Jette – car l'attentat à sa source remonte, —

      Devant lui le trépas, derrière lui la honte.

      Verser, mêler, après Septembre et Février,

      Le sang du paysan, le sang de l'ouvrier,

      Sans plus s'en soucier que de l'eau des fontaines!

      Les Latins contre Rome et les Grecs contre Athènes!

      Qui donc a décrété ce sombre égorgement?

      Dans la pièce intitulée Pas de représailles, une semaine après, il protestait, avec une éloquence admirable, contre la loi du talion:

      Non, je n'ai pas besoin, Dieu, que tu m'avertisses;

      Pas plus que deux soleils je ne vois deux justices;

      Nos ennemis tombés sont là; leur liberté

      Et la nôtre, ô vainqueurs, c'est la même clarté.

      Quoi! bannir celui-ci, jeter l'autre aux bastilles!

      Jamais! Quoi! déclarer que les prisons, les grilles,

      Les barreaux, les geôliers et l'exil ténébreux,

      Ayant été mauvais pour nous, sont bons pour eux!

      Non, je n'ôterai, moi, la patrie à personne;

      Un reste d'ouragan dans mes cheveux frissonne.

      On comprendra qu'ancien banni, je ne veux pas

      Faire en dehors du juste et de l'honnête un pas;

      J'ai payé de vingt ans d'exil ce droit austère

      D'opposer aux fureurs un refus solitaire

      Et de fermer mon âme aux aveugles courroux;

      Si je vois les cachots sinistres, les verrous,

      Les chaînes menacer mon ennemi, je l'aime,

      Et je donne un asile à mon prescripteur même…

      La même voix, qui cherchait à fléchir par avance les rigueurs des assiégeants, flétrit, le jour venu, le stupide vandalisme des assiégés qui renversaient la colonne Vendôme et mettaient le feu aux merveilleux monuments de Paris.

      Si la Prusse à l'orgueil sauvage habituée,

      Voyant ses noirs drapeaux enflés par l'aquilon,

      Si la Prusse, tenant Paris sous son talon,

      Nous eût crié: – Je veux que vos gloires s'enfuient.

      Français, vous avez là deux restes qui m'ennuient,

      Ce pilastre d'airain, cet arc de pierre; il faut

      M'en délivrer; ici, dressez un échafaud,

      Là, braquez des canons; ce soin sera le vôtre.

      Vous démolirez l'un; vous mitraillerez l'autre.

      Je l'ordonne. – O fureur! comme on eût dit: Souffrons!

      Luttons! C'est trop! ceci passe tous les affronts!

      Plutôt mourir cent fois! nos morts seront nos fêtes!

      Comme on eût dit: Jamais! jamais! —

      Et vous le faites!

      Ces vers étaient écrits à la date du 6 mai dans la pièce qui a pour titre Les deux trophées. Dans Paris incendié éclataient d'autres reproches non moins indignés.

      O torche misérable, abjecte, aveugle, ingrate!

      Quoi! disperser la ville unique à tous les vents!

      Ce Paris qui remplit de son cœur les vivants,

      Et fait planer qui rampe et penser qui végète!

      Jeter au feu Paris comme le pâtre y jette,

      En le poussant du pied, un rameau de sapin!

      Pour qui travaillez-vous? où va votre démence?

      Mais, tout en répudiant le crime, le poète avait encore plus de pitié que de haine pour les criminels; il leur accordait le bénéfice des circonstances atténuantes, l'ignorance, la misère, l'inconscience.

      Il fit plus que de solliciter la clémence pour les vaincus; il leur offrit un asile, pour protester contre l'attitude du gouvernement belge qui leur refusait le titre de réfugiés politiques. Lui-même fut expulsé, après avoir vu sa maison assaillie et ses fenêtres lapidées par la jeunesse réactionnaire. Il revint en France, et dès que le journal le Rappel reparut, il y écrivit un mot que personne n'osait encore prononcer: amnistie.

      Victor Hugo atteignait ses soixante-dix ans. Chez la plupart des hommes, cet âge est celui du repos absolu et, trop souvent, de la caducité. Pour le grand poète, ce fut comme le début d'une renaissance, et pendant treize années encore il n'a cessé de produire, pareil à ces chênes plusieurs fois séculaires, dont le trône usé et dévoré menace ruine, mais dont la cime continue à verdir sous l'influence d'une sève circulant comme par miracle à travers les puissants rameaux.

      L'Année terrible, qui avait été écrite au jour le jour entre le mois d'août 1870 et le mois de juillet 1871, parut au printemps de 1872. Certains vers, qui avaient été supprimés à cause de l'état de siège, furent rétablis dans les éditions ultérieures. En septembre 1873, Victor Hugo ajoutait à son livre une dernière page admirable d'émotion patriotique, et dont un seul vers ne saurait être retranché: la Libération du territoire. Aucune pièce ne justifie mieux ce que, l'ancien proscrit Eugène Despois écrivait de l'Année terrible à son apparition: «Et maintenant, ô nos vainqueurs, vous avez conquis des milliards, des provinces, et les fracas des triomphes; il ne vous manque parmi tout cela qu'un rien, une superfluité, un accessoire, je veux dire un poète qui chante vos victoires comme nous en avons un pour pleurer nos désastres.»

      Le besoin d'oublier les tristesses et les hontes de l'heure présente poussa le poète à regarder, vers ce passé si glorieux où la France tenait tête à l'Europe coalisée; il se consola en remuant les souvenirs

      De tous nos ouragans, de toutes nos aurores

      Et des vastes efforts des Titans endormis.

      A la fin de l'année 1874, le grand roman, ou, pour mieux dire, l'épopée en prose de Quatre-vingt-treize paraissait. Ce livre avait été écrit en cinq mois et vingt-sept jours.

      Le 30 janvier 1875, Victor Hugo était repris par les occupations de la politique. Un siège de sénateur lui était offert par les électeurs de Paris. Ce fut pour lui l'occasion de réunir les écrits de la seconde et de la troisième série des Actes et paroles. Ces écrits furent publiés avec les sous-titres Pendant l'exil, Depuis l'exil.

      Le 26 février 1877, Victor Hugo donnait les deux volumes de la Seconde légende des siècles, et, le 14 mai, l'Art d'être grand-père. Le poète achevait à peine de parler, que le politique reprenait la plume pour conjurer les périls du présent en achevant le récit toujours frémissant des attentats passés. Le 1er octobre, l'Histoire d'un crime sortait des presses, et contribuait à faire avorter une conspiration. La suite de l'ouvrage parut au printemps de l'année suivante.

      D'avril 1878 à octobre 1880, Victor Hugo écrivit quatre poèmes qui forment comme les quatre parties d'un système philosophique dont nous donnerons ailleurs l'explication aisée. Ces poèmes ont pour titres le Pape, la Pitié suprême, Religions et Religion, l'Ane.

      Il semblait que la source fût épuisée. Comme si le poète eût abdiqué, on fêta triomphalement l'anniversaire de sa 80e année. Vivant,