Victor Hugo, son oeuvre poétique. Dupuy Ernest. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dupuy Ernest
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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fassent pas voler votre pensée entre elles.

      Ne levez pas vos yeux si haut que l'horizon,

      Regardez à vos pieds… —

      Louis, cette maison

      Qu'on voit, bâtie en pierre et d'ardoise couverte,

      Blanche et carrée, au bas de la colline verte,

      Et qui, fermée à peine aux regards étrangers

      S'épanouit charmante entre ses deux vergers,

      C'est là. – Regardez bien. C'est le toit de mon père.

      C'est ici qu'il s'en vint dormir après la guerre,

      Celui que tant de fois mes vers vous ont nommé,

      Que vous n'avez pas vu, qui vous aurait aimé!

      Alors, ô mon ami, plein d'une extase amère,

      Pensez pieusement, d'abord à votre mère,

      Et puis à votre sœur, et dites: «Notre ami

      Ne reverra jamais son vieux père endormi!»

      D'autres voyages suivirent de près celui de Blois. Victor Hugo se rendit à Reims, à l'occasion du Sacre de Charles X; il fit un détour pour visiter Lamartine à Saint-Point. Il suivit Nodier en Suisse, dans une excursion payée par l'éditeur Canel, qui se réservait de publier la relation des deux touristes. Un accident de voiture manqua de les faire périr, et la faillite de l'éditeur arrêta le projet de publication de l'ouvrage.

      Le mois de février 1827 marque un des moments caractéristiques de la vie de Victor Hugo. Il envoya au Journal des Débats, organe libéral sous la Restauration, sa fameuse Ode à la colonne de la place de Vendôme. Elle fut inspirée à l'auteur par un sentiment de patriotisme indigné. Dans une réception à l'ambassade d'Autriche, on avait refusé d'annoncer les Maréchaux de France en nommant les titres de noblesse napoléonienne, qui semblaient instituer des fiefs à l'étranger. Le fils de la Vendéenne s'était borné jusqu'à ce jour à célébrer le trône et l'autel, le double culte de sa mère; le fils du vieux soldat ne vit plus devant lui que l'image de la France, d'abord conquérante, toute-puissante, puis vaincue, accablée par la coalition, aujourd'hui injuriée, provoquée de nouveau par cet outrage à ses vétérans glorieux. Avec un élan poétique qui avait l'allure emportée d'un assaut, avec des expressions, des traits, des chutes de strophes qui semblaient des éclairs d'épée, il menaçait l'étranger du réveil de la nation assoupie:

      On nous a mutilés; mais le temps a peut-être

      Fait croître l'ongle du lion.

      Prenez garde! – La France, où grandit un autre âge,

      N'est pas si morte encor qu'elle souffre un outrage!

      Les partis pour un temps voileront leur tableau.

      Contre une injure, ici, tout s'unit, tout se lève,

      Tout s'arme, et la Vendée aiguisera son glaive

      Sur la pierre de Waterloo…

      Que l'Autriche en rampant de nœuds vous environne,

      Les deux géants de France ont foulé sa couronne!

      L'histoire, qui des temps ouvre le Panthéon,

      Montre empreints aux deux fronts du vautour d'Allemagne

      La sandale de Charlemagne,

      L'éperon de Napoléon.

      Allez! – Vous n'avez plus l'aigle qui, de son aire,

      Sur tous les fronts trop hauts portait votre tonnerre;

      Mais il vous reste encor l'oriflamme et les lis.

      Mais c'est le coq gaulois qui réveille le monde;

      Et son cri peut promettre à votre nuit profonde

      L'aube du soleil d'Austerlitz!

      Une fois évoqué par le poète, le souvenir de Napoléon devait pendant longtemps hanter son imagination. Nous voyons déjà que, chez V. Hugo comme chez tous les hommes de son temps, le libéralisme a commencé par l'admiration de la légende impériale et par le regret d'un passé dont l'éloignement avait déjà presque effacé les misères et les tristesses.

      La réputation venait à Hugo, et il n'en était plus réduit à colporter ses manuscrits chez des libraires dédaigneux. L'acteur Talma s'offrit à jouer un rôle dramatique écrit par l'auteur de Bug-Jargal, de Han d'Islande. Le poète entreprit son Cromwell. Talma mourut avant que l'œuvre fût finie; l'espoir d'une représentation immédiate s'en allait avec lui. Victor Hugo, renonçant à l'idée de porter le drame à la scène, le développa tout à son aise. Il écrivit une préface, où ses théories dramatiques se trouvaient exposées, et le livre parut en décembre 1827. Il souleva les applaudissements des uns, les clameurs irritées des autres. Ce fut le signal de la guerre littéraire entre les romantiques et les classiques. Victor Hugo fut reconnu le chef de l'école nouvelle; autour de lui se rangèrent tous les soldats pleins de talents dont se composa le groupe appelé le cénacle: Alfred de Vigny, les deux Deschamps, Sainte-Beuve, Alfred de Musset, alors à ses débuts, Théophile Gautier. Mérimée, l'illustre conteur, allait de ce groupe littéraire au groupe des politiques, où dominaient les figures de Benjamin Constant, de Stendhal (Henri Beyle). Il y présenta Victor Hugo.

      Au mois de janvier 1829 parurent les Orientales. L'impression que produisit ce volume de vers, musical comme une riche symphonie, coloré comme le chef-d'œuvre d'un peintre, fut immense. C'était un nouveau monde poétique, dont la flore éblouissante ou la faune monstrueuse surgissaient tout à coup devant les regards des lecteurs. Quelques jours après, au mois de février, paraissait ce récit en prose, d'une émotion poignante jusqu'à la souffrance, le Dernier jour d'un condamné. La même main qui venait de jeter au public une œuvre lyrique et un pamphlet, apportait un drame. Marion De Lorme fut refusé par la censure, et le poète ne put obtenir ni du ministre, M. de Martignac, ni du roi Charles X, qu'il visita à ce sujet, le retrait de l'interdiction jetée sur une œuvre où l'on peignait un roi de France avec les couleurs peu flatteuses de la vérité. Faute de pouvoir produire cet ouvrage dramatique, Victor Hugo en donna un second: le 25 février 1830, Hernani fut représenté au Théâtre-Français. Nous reviendrons sur cette œuvre capitale; il faut rappeler ici l'effet prodigieux qu'elle produisit sur les contemporains. Hernani fut pour eux ce que fut le Cid pour la génération qui versa d'héroïques pleurs aux premiers vers tragiques de Corneille.

      Entre la représentation d'Hernani et celle de Marion De Lorme, qui eut lieu après la chute des Bourbons, le 11 août 1831, au théâtre de la Porte-Saint-Martin, Victor Hugo publia le grand roman de Notre-Dame de Paris et le poème des Feuilles d'automne. Le roman a gardé l'immortelle saveur de la poésie; le poème eut, dès le premier jour, la vogue d'une œuvre romanesque.

      De 1832 à 1836, Victor Hugo produisit quatre drames: Le roi s'amuse, interdit par le pouvoir royal sous prétexte d'immoralité, et qui n'eut qu'une représentation, puis Lucrèce Borgia, Marie Tudor, Angelo, œuvres dramatiques écrites en prose; un nouveau pamphlet sous forme de récit, Claude Gueux; un quatrième recueil de vers, les Chants du Crépuscule; un volume de critique sous le titre de Littérature et Philosophie mêlées; un opéra tiré de Notre-Dame de Paris, la Esméralda. De l'été de 1837 au printemps de 1840, il donna un drame, Ruy-Blas, et deux recueils de poésies lyriques, les Voix Intérieures, les Rayons et les Ombres. Le 2 juin 1841, il prononçait son discours de réception à l'Académie française. Il n'y entrait qu'après avoir échoué trois fois, et s'être vu préférer des littérateurs comme Cabaret-Dupaty, le comte Molé et Flourens.

      L'année 1843 fut marquée par un grand échec littéraire de Victor Hugo, et par le premier de ces revers douloureux qui devaient affliger sa vie en le frappant successivement dans ses plus chères affections. La trilogie dramatique des Burgraves fut représentée