Victor Hugo, son oeuvre poétique. Dupuy Ernest. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dupuy Ernest
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
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s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là!

      Il a exprimé les raisons de son refus dans cette autre formule: «Quand la liberté rentrera, je rentrerai.» Sa pensée continuait à franchir le détroit qui le séparait de la terre natale. Il envoyait le meilleur de lui-même à ses compatriotes. Mais le public banal et la presse vénale, que les Châtiments venaient d'irriter, que les Contemplations n'avaient pu émouvoir, étaient incapables de s'émerveiller devant ce prodige de résurrection qui s'appelle la Légende des siècles.

      Jeté en dehors de la patrie française, Victor Hugo se fit concitoyen de tous les pays, comme il s'était déjà fait contemporain de tous les âges. Par delà les mers, il tendait la main à Garibaldi et lui prêtait, à défaut d'épée, l'appui des souscriptions. Il élevait la voix en faveur de John Brown; il arrachait au gibet les condamnés de Charleroi; il répondait au Russe Herzen; il réconfortait les proscrits de toute nation, tournés vers lui, comme vers une étoile. Enfin il tirait de son cœur ému les Misérables, ce roman colossal qui devait exciter l'admiration de la France, de l'Europe et du monde.

      Son fils François-Victor travaillait à une œuvre restée unique dans son genre, la traduction complète et littérale de Shakespeare. Un an avant que cette traduction parût, Victor Hugo donna, en guise de préface, tout un volume en prose, l'étude critique intitulée William Shakespeare. En 1865 parurent les Chansons des rues et des bois, recueil lyrique qu'on a défini heureusement «le printemps qui fait explosion.»

      En 1866 parut le roman des Travailleurs de la mer, moins vaste, mais aussi puissant et plus parfait que les Misérables. Et au moment où l'auteur semblait le plus absorbé par les fantômes que créait, qu'animait son imagination, il ressentait l'émotion de toutes les grandes choses qui se faisaient en Europe au nom du droit et de la justice pour le bonheur ou l'honneur de l'humanité. Il était de la commission chargée d'élever une statue au philanthrope Beccaria; il envoyait l'hommage de ses vers au centenaire de Dante; il demandait au gouvernement britannique la grâce des rebelles d'Irlande ou fenians, et il était assez heureux pour l'obtenir; il demandait vainement aux Mexicains révoltés la grâce de leur roi détrôné, Maximilien.

      La renommée littéraire de Victor Hugo était une renommée européenne, universelle. Quand la France convia l'univers entier à venir dans les murs de Paris, à l'occasion de l'exposition de 1867, elle s'adressa au proscrit pour écrire les premières pages d'un livre auquel une élite d'écrivains français collabora. Les Parisiens eurent la surprise de trouver au bas de la préface de Paris-Guide le nom de Victor Hugo. Il n'en fallut pas davantage aux directeurs de théâtre pour s'attacher aussitôt à remonter ses pièces. Un vent d'opposition à l'Empire commençait à s'élever. La reprise d'Hernani à la Comédie-Française, le 20 juin, provoqua des acclamations d'enthousiasme. L'Odéon préparait, de son côté, une reprise de Ruy Blas. Le gouvernement s'inquiéta. Il interdit la représentation de Ruy Blas, et fit retirer Hernani de l'affiche.

      L'année suivante fut affligée par des deuils domestiques. Victor Hugo vit mourir son premier petit-fils, et il perdit sa femme.

      En 1879, il envoyait un nouveau roman, l'Homme qui rit, pour servir de feuilleton à un journal nouveau, le Rappel, fondé par les deux fils du poète, avec la collaboration d'Henri Rochefort, d'Auguste Vacquerie, de Paul Meurice. Ce journal fut un des béliers qui ébranlèrent l'absolutisme impérial. L'année d'après, le plébiscite eut lieu. La guerre avec la Prusse fut déclarée; les défaites se succédèrent; la révolution du 4 septembre détrôna «l'homme de décembre,» et Victor Hugo vint réclamer sa place sur le sol de la patrie envahie. Il rentra dans la capitale assez tôt pour assister au siège. Le 20 octobre, une édition des Châtiments paraissait à Paris; les droits d'auteur du premier tirage furent offerts à la souscription pour les canons. Deux lectures publiques du livre eurent lieu aux théâtres de la Porte-Saint-Martin et de l'Opéra. Avec le produit des places on fit deux canons, le Victor Hugo et le Châtiment. «Usez de moi comme vous voudrez pour l'intérêt public, disait le poète; dispensez-moi comme l'eau.» Il s'est dépeint lui-même, dans cette page de l'Année terrible écrite le 1er janvier 1871:

      Enfants, on vous dira plus tard que le grand-père

      Vous adorait; qu'il fit de son mieux sur la terre,

      Qu'il eut fort peu de joie et beaucoup d'envieux,

      Qu'au temps où vous étiez petits il était vieux,

      Qu'il n'avait pas de mots bourrus ni d'airs moroses,

      Et qu'il vous a quittés dans la saison des roses;

      Qu'il est mort, que c'était un bonhomme clément;

      Que dans l'hiver fameux du grand bombardement,

      Il traversait Paris tragique et plein d'épées,

      Pour vous porter des tas de jouets, des poupées,

      Et des pantins faisant mille gestes bouffons;

      Et vous serez pensifs sous les arbres profonds.

      Il faut relire aussi la pièce qui a pour titre: «Lettre à une femme. Par ballon monté, 10 janvier». Elle rend à la fois la physionomie du siège et l'état d'âme du poète, qui était venu communiquer aux assiégés sa flamme d'héroïsme.

      Moi, je suis là, joyeux de ne voir rien plier.

      Je dis à tous d'aimer, de lutter, d'oublier,

      De n'avoir d'ennemi que l'ennemi; je crie:

      «Je ne sais plus mon nom, je m'appelle Patrie!»

      Quant aux femmes, soyez très fière, en ce moment

      Où tout penche, elles sont sublimes simplement.

      Ce qui fit la beauté des Romaines antiques,

      C'étaient leurs humbles toits, leurs vertus domestiques,

      Leurs doigts que l'âpre laine avait faits noirs et durs,

      Leurs courts sommeils, leur calme, Annibal près des murs,

      Et leurs maris debout sur la porte Colline.

      Ces temps sont revenus. La géante féline,

      La Prusse tient Paris, et, tigresse, elle mord

      Ce grand cœur palpitant du monde à moitié mort.

      Eh bien! dans ce Paris, sous l'étreinte inhumaine,

      L'homme n'est que Français, et la femme est Romaine.

      Elles acceptent tout, les femmes de Paris,

      Leur âtre éteint, leurs pieds par le verglas meurtris,

      Au seuil noir des bouchers les attentes nocturnes,

      La neige et l'ouragan vidant leurs froides urnes,

      La famine, l'horreur, le combat, sans rien voir

      Que la grande patrie et que le grand devoir;

      Et Juvénal2 au fond de l'ombre est content d'elles.

      Après le siège, le Tyrtée de Paris vaincu fut envoyé à l'Assemblée nationale par plus de deux cent mille voix. Son attitude l'y rendit vite impopulaire. Il parla contre la paix; il demanda que les députés d'Alsace-Lorraine gardassent leur siège de représentants; il protesta contre le transfert du gouvernement hors de Paris. Il souleva de tels orages, que, le 8 mars, après avoir longtemps occupé la tribune au milieu du tumulte, il donna sa démission de député. Mais en renonçant à son mandat, il n'abandonnait pas la défense de ce qui lui semblait la vérité.

      Un mois après la perte de son fils Charles, qui mourut à Bordeaux le 13 mars, d'une rupture d'anévrisme, Victor Hugo, retenu à Bruxelles par les intérêts de ses petits-enfants dont il fallait régler la succession, apprenait par les journaux les tragiques horreurs de la guerre civile, et une fois de plus il poussait son superbe appel à la concorde, à la clémence. Le 15 avril, dans la pièce intitulée Un cri, il disait:

      Combattants!


<p>2</p>

Juvénal, poète satirique latin.