Monsieur de Camors — Complet. Feuillet Octave. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Feuillet Octave
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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quoi donc, général?

      — Quoi donc!.. quoi donc!.. Eh bien, est-ce que vous ne remarquez pas, depuis quelques jours, que je suis extraordinairement agité?

      — Mon Dieu! général, non, je n'ai pas remarqué.

      — Vous n'êtes guère observateur! — Je suis extraordinairement agité, cela crève les yeux! et c'est à tel point, qu'il y a des moments, ma parole d'honneur, où je suis tenté de croire que votre tante a raison et que j'ai quelque chose au cœur!

      — Bah! général, ma tante rêve... vous avez le pouls d'un enfant.

      — Vous croyez?.. Au surplus, je ne crains pas la mort... mais enfin c'est toujours ennuyeux!.. Eh bien, donc je suis trop agité... il faut que cela finisse, entendez-vous?

      — Oui, général... mais qu'y puis-je faire, moi?

      — Vous allez le savoir! — Vous êtes mon cousin, n'est-ce pas?

      — En effet, général, j'ai cet honneur-là.

      — Mais fort éloigné!.. J'ai trente-six cousins au même degré que vous!.. et, sacrebleu! en définitive, je ne vous dois rien!

      — Mais je ne vous demande rien, général.

      — Je le sais bien! — Vous êtes donc mon cousin fort éloigné... mais il y a autre chose... Votre père m'a sauvé la vie dans l'Atlas... Il a dû vous conter ça... Non?.. Eh bien, ça ne m'étonne pas... Il n'était pas bavard, votre père!.. C'était un homme! — S'il n'avait pas quitté l'épaulette, il avait un bel avenir... On parle beaucoup de M. Pélissier, de M. Canrobert, de M. Mac-Mahon, et cætera... Je n'en dis pas de mal: ce sont des jeunes gens instruits... du moins je les ai connus tels; mais votre père les aurait diablement distancés, s'il avait voulu s'en donner la peine... Enfin il ne s'agit pas de ça! — Voici l'histoire: nous traversions une gorge de l'Atlas... nous étions en retraite... je n'avais pas de commandement... je suivais en amateur, inutile de vous dire par quelle circonstance... Nous étions donc en retraite... il nous tombait de la lune une grêle de pierres et de balles... qui mettaient un peu de désordre dans la colonne... J'étais à l'arrière-garde... Paf! mon cheval est tué, et me voilà dessous!.. Il y avait sur un escarpement du défilé, à quinze pieds de haut, cinq brigands sales comme des peignes... que je vois encore... Ils se laissent glisser et tombent sur mon cheval et sur moi! Le défilé faisait un coude à cet endroit-là, de sorte que personne ne voyait mon embarras... ou que personne ne voulait le voir, ce qui revenait au même... Je vous dis qu'il y avait du désordre!.. Eh bien, je vous prie de croire qu'avec mon cheval et mes cinq Arabes sur le dos j'étais fort mal à mon aise, moi!.. j'étouffais... j'étais tout à fait mal à mon aise enfin... Ce fut alors que votre père accourut comme un gentil garçon et me tira de là... Je l'aidai un peu quand je fus relevé... mais n'importe, ça ne s'oublie pas! — Voyons, parlons net: auriez-vous une grande répugnance à jouir de sept cent mille francs de rente, et à vous appeler après moi le marquis de Campvallon d'Arminges. Répondez!

      Le jeune comte rougit légèrement.

      — Je m'appelle Camors, dit-il.

      — Vous ne voulez pas que je vous adopte?.. Vous refusez d'être l'héritier de mon nom et de mes biens?

      — Oui, général.

      — Voulez-vous que je vous donne le temps d'y réfléchir?

      — Non, général. Je suis sincèrement flatté et reconnaissant de vos intentions généreuses à mon égard; mais, dans les questions d'honneur, je ne réfléchis jamais.

      Le général souffla bruyamment comme une locomotive qui lâche sa vapeur, il se leva, fit deux ou trois fois le tour de la galerie, les pieds en dehors, la poitrine effacée, et vint se rasseoir sur le divan, qui gémit.

      — Quels sont vos projets? dit-il.

      — Je compte d'abord, général, essayer d'accroître ma fortune, qui est un peu mince. Je ne suis pas aussi étranger aux affaires qu'on le pense. Les relations de mon père et les miennes me donnent un pied dans quelques grandes entreprises industrielles et financières, où j'espère réussir avec beaucoup de travail et de volonté. En même temps j'ai quelque idée de me préparer à la vie publique, et d'aspirer à la députation quand les circonstances me le permettront.

      — Bien! très bien! il faut qu'un homme fasse quelque chose. L'oisiveté est la mère de tous les vices... J'aime le cheval comme vous; c'est un noble animal... Je prends un vif intérêt aux luttes du sport: elles améliorent la race hippique et contribuent puissamment à une bonne remonte de notre cavalerie; mais le sport doit être une distraction et non une profession... Hem! ainsi vous prétendez être député?

      — Avec le temps, général.

      — Parbleu! sans doute!.. Mais je puis vous servir, moi, dans cette voie-là. Quand le cœur vous en dira, je donnerai ma démission, je vous recommanderai à mes braves et fidèles électeurs, et vous prendrez ma place. Ça vous convient-il?

      — À merveille, général, et je vous remercie de tout cœur; mais pourquoi donner votre démission?

      — Ah! pourquoi, pourquoi! pour vous être utile et agréable d'abord, et puis ensuite parce que je commence à en avoir assez, moi, parce que je ne serai pas fâché personnellement de donner cette petite leçon-là au gouvernement. Je souhaite qu'elle lui profite!.. Vous me connaissez, je ne suis pas un jacobin; j'ai d'abord cru que ça marcherait... mais quand on voit ce qui se passe!

      — Qu'est-ce qui se passe, général?

      — Quand on voit un Tonnelier grand dignitaire... on voudrait avoir la plume de Tacite, ma parole! Lorsque je pris ma retraite, vers 48, — sur un indigne passe-droit qu'on m'avait fait, — je n'avais pas encore l'âge de la réserve, et j'étais encore capable de bons et loyaux services... J'aurais pu m'attendre peut-être dans un état de choses régulier à quelque dédommagement... Je l'ai trouvé, au reste, dans la confiance de mes braves et fidèles électeurs... mais enfin on se lasse de tout, mon jeune ami... Les séances du Luxembourg... je veux dire du Palais Bourbon, me fatiguent un peu... Bref, quelque regret que je doive éprouver en me séparant de mes honorables collègues et de mes chers électeurs, je me démettrai de mes fonctions quand vous serez prêt et disposé... N'avez-vous pas une propriété dans le département?

      — Oui, général, une propriété qui appartenait à ma mère.. Un petit manoir avec un peu de terre autour, qui s'appelle Reuilly.

      — Reuilly!.. à deux pas de Des Rameures!.. parfait!.. Eh bien, c'est le pied à l'étrier, cela!

      — Oui, mais il y a un malheur: c'est que je suis forcé de vendre cette terre.

      — Pourquoi diable?

      — Général, c'est tout ce qui me reste. Cela rapporte une dizaine de mille francs. Pour me lancer dans les affaires, il me faut quelques capitaux, une mise de fonds, et je désire ne pas emprunter.

      Le général se leva, et son pas martial et cadencé ébranla de nouveau le parquet de la galerie; après quoi, il se laissa retomber sur le divan.

      — Il ne faut pas vendre votre terre! dit-il. Je ne vous dois rien... mais j'ai de l'affection pour vous... Vous ne voulez pas être mon fils adoptif; je le regrette, et je suis bien forcé de passer à d'autres projets... Je vous avertis que je passe à d'autres projets!.. Il ne faut pas vendre votre terre, si vous tenez à être député. Les gens du pays, et Des Rameures en particulier, ne voudraient plus de vous. Cependant, vous avez besoin d'argent. Permettez-moi de vous prêter trois cent mille francs. Vous me les rendrez quand vous pourrez, sans intérêts, et, si vous ne me les rendez pas, vous me ferez plaisir!

      — Mais, en vérité, général...

      — Voyons, acceptez... comme parent, comme ami... comme fils d'un