Monsieur de Camors — Complet. Feuillet Octave. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Feuillet Octave
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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ne veux pas dire en ce moment... mais toujours?

      — Toujours.

      — Ma tante de la Roche-Jugan vous traite durement?

      — Sans doute. Elle craint que je ne séduise son fils... Oh! grand Dieu!

      — Les petites Tonnelier sont jalouses de vous?.. et mon oncle Tonnelier... vous tourmente, n'est-ce pas?

      — Indignement, dit-elle.

      Et deux larmes jaillirent de ses yeux comme deux diamants.

      — Mademoiselle Charlotte, que pensez-vous de la religion de ma tante?

      — Que voulez-vous que je pense d'une religion qui ne donne aucune vertu et qui n'ôte aucun vice?

      — Ainsi vous êtes peu croyante?

      — On peut croire à Dieu et à l'Évangile sans croire à la religion de votre tante.

      — Ma tante vous pousse au couvent... Pourquoi n'y entrez-vous pas?

      — J'aime la vie.

      Il la regarda un moment sans parler, et reprit:

      — Oui, vous aimez la vie, — le soleil, la pensée, les arts, le luxe, tout ce qui est beau comme vous... Eh bien, mademoiselle Charlotte, tout cela est sous votre main... Pourquoi ne le prenez-vous pas?

      Elle parut surprise et comme inquiète.

      — Comment? dit-elle.

      — Si vous avez, comme je le crois, autant de force d'âme que vous avez d'intelligence et de beauté, vous pouvez échapper pour jamais à la sujétion misérable où le sort vous a jetée. Souverainement douée comme vous l'êtes, vous pouvez être demain une grande artiste, indépendante, fêtée, opulente, adorée, maîtresse de Paris et du monde.

      — Et la vôtre, n'est-ce pas? dit l'étrange fille.

      — Pardon, mademoiselle Charlotte... Je ne vous ai soupçonnée d'aucune pensée équivoque quand vous m'avez offert de partager mon incertaine pauvreté... Rendez-moi, je vous prie, la même justice en ce moment. Mes principes en morale sont fort larges, c'est vrai; mais je suis aussi fier que vous, et je ne vais pas à mon but par des voies souterraines. Quoique je vous trouve infiniment belle et séduisante, j'étais dominé par un sentiment supérieur à tout intérêt personnel. J'ai été profondément touché de votre élan sympathique vers moi, et je cherchais à vous en témoigner ma reconnaissance par les conseils d'une amitié véritable... Dès que vous me supposez l'honnête dessein de vous corrompre à mon bénéfice, je me tais, mademoiselle, et je vous rends votre liberté.

      — Continuez, monsieur.

      — Vous m'écoutez avec confiance?

      — Oui.

      — Eh bien, mademoiselle Charlotte, vous avez peu vu le monde; mais vous l'avez vu assez cependant pour le juger et pour savoir le cas que vous devez faire de son estime. Le monde, c'est votre famille et la mienne; c'est M. Tonnelier, madame Tonnelier, mesdemoiselles Tonnelier, madame de la Roche-Jugan et le petit Sigismond... Eh bien, mademoiselle Charlotte, le jour où vous serez une grande artiste, riche, triomphante, idolâtrée, buvant à pleine coupe toutes les joies de la vie, ce jour-là assurément mon oncle Tonnelier invoquera la morale outragée, madame Tonnelier s'évanouira de pudeur dans les bras de ses vieux amants, et ma tante de la Roche-Jugan lèvera en gémissant ses yeux jaunes vers le ciel... mais, en vérité, mademoiselle, qu'est-ce que cela peut vous faire?

      — Vous me conseillez d'être une courtisane?

      — En aucune façon. Je vous conseille uniquement d'être une artiste, une comédienne, en dépit de l'opinion, parce que c'est la seule carrière où vous puissiez trouver l'indépendance et la fortune. Il n'y a pas de loi, d'ailleurs, qui empêche une artiste de se marier et d'être une femme honorable comme le monde l'entend, vous en avez plus d'un exemple.

      — Sans mère, sans famille, sans appui j'aurais beau faire, un jour ou l'autre, je serais une fille perdue... Est-ce que je ne vois pas cela!

      M. de Camors ne répondit pas.

      — Pourquoi ne dites-vous rien?

      — Mon Dieu! mademoiselle, parce que nos idées sur ce sujet délicat sont fort différentes, que je ne puis changer les miennes, et que je désire vous laisser les vôtres... Moi, je suis un païen.

      — Comment!.. pour vous le bien et le mal sont indifférents?

      — Non, mademoiselle; mais pour moi le mal, c'est de craindre l'opinion des gens qu'on méprise, c'est de pratiquer ce qu'on ne croit pas, c'est de se courber sous des préjugés et sous des fantômes dont on connaît le néant; le mal, c'est d'être esclave ou hypocrite, comme les trois quarts et demi du monde; le mal, c'est la laideur, l'ignorance, la sottise et la lâcheté. Le bien, c'est la beauté, le talent, la science et le courage... Voilà tout!

      — Et Dieu? dit-elle.

      Il ne répondit pas. Elle le regarda fixement pendant une minute sans pouvoir rencontrer ses yeux, qu'il détournait. Elle laissa tomber sa tête avec une sorte d'accablement; puis, la relevant tout à coup:

      — Il y a, dit-elle, des sentiments qu'un homme ne peut comprendre. Cette vie libre que vous me conseillez, j'y ai souvent songé dans mes heures d'amertume... mais j'ai toujours reculé avec horreur devant une pensée... une seule...

      — Laquelle?

      — Peut-être ce sentiment m'est-il particulier... peut-être est-ce un orgueil excessif... mais enfin j'ai un grand respect de moi, de ma personne: elle m'est comme sacrée. Quand je ne croirais à rien, comme vous, et j'en suis loin, Dieu merci!.. je n'en resterais pas moins honnête et pure, et fidèle à un seul amour, simplement par fierté... J'aimerais mieux, ajouta-t-elle d'une voix basse et contenue, mais saisissante, j'aimerais mieux profaner un autel que moi-même!

      Elle se leva sur ces mots, fit de la tête un signe d'adieu un peu hautain, et sortit.

      M. de Camors, à la suite de cet entretien, demeura quelque temps singulièrement préoccupé: il était étonné des profondeurs qu'il avait entrevues dans ce caractère; il était assez mécontent de lui-même, sans trop savoir pourquoi, et, par-dessus tout, il était violemment épris de sa cousine. Toutefois, comme il avait une faible idée de la franchise des femmes, il se persuada de plus en plus que mademoiselle de Luc d'Estrelles, lorsqu'elle était venue lui offrir son cœur et sa main, n'ignorait point qu'il était encore pour elle un parti très avantageux: il se dit que, quelques années auparavant, il eût pu être dupe de cette candeur perfide, il se félicita de n'être point tombé dans ce piège attrayant et d'avoir su vaincre un premier mouvement de crédulité et d'émotion sincère. — Il aurait pu s'épargner ces compliments. Mademoiselle de Luc d'Estrelles, ainsi qu'il devait le savoir bientôt, avait été dans cette circonstance, comme les femmes le sont quelquefois, parfaitement vraie, désintéressée et généreuse. Seulement, lui arriverait-il jamais de l'être encore à l'avenir? Cela était douteux, grâce à M. de Camors. Il n'est pas rare qu'en méprisant trop les hommes, on les corrompe, et qu'en se défiant trop des femmes, on les perde.

      Une heure plus tard environ, on frappa de nouveau à la porte de la bibliothèque. Camors eut une légère palpitation. Il espéra secrètement voir reparaître mademoiselle Charlotte. Ce fût le général qui entra.

      Il vint à lui à pas comptés en souillant comme un monstre des mers, et, le saisissant au collet:

      — Eh bien, jeune homme? lui dit-il.

      — Eh bien, général?

      — Que faites-vous là?

      — Je travaille, général.

      — Parfait!.. Asseyez-vous donc!.. Non, non, asseyez-vous!