La fabrique de mariages, Vol. II. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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Perlette passait. Elle s'agenouilla près de lui et voulut le panser. Le lieutenant lui dit:

      – Il n'est plus temps, ma belle… Sais-tu ta prière?

      Marguerite récita bien pieusement le Pater et l'Ave. – Il n'eût pas fallu lui en demander davantage.

      Le lieutenant détacha sa croix et la lui donna. – Comme Marguerite tendait sa main pour la prendre, le lieutenant toucha cette main de ses lèvres mourantes et lui dit:

      – Tu porteras ce baiser à ma mère… La croix est à toi.

      La charge battait. Le bataillon de Roger et de Garnier passait au pas redoublé. – Garnier montra du doigt, à Roger, le groupe formé par le lieutenant et la vivandière, au moment où Moreau confiait à Marguerite le baiser d'adieu pour sa mère.

      Roger, ce jour-là, ne fit point de quartier.

      Le soir, la Perlette était triste.

      – Porteras-tu le deuil de veuve? lui demanda Roger amèrement.

      Marguerite ne comprit point.

      Pendant qu'elle dormait, Roger fouilla dans son sac et trouva la croix du lieutenant.

      Il était jaloux. Garnier triompha.

      Vers le commencement de l'année 1810, Marguerite Vital devint enceinte pour la seconde fois. Vital avait trois ans. On lui avait fait un petit costume d'enfant de troupe. Quand Marguerite venait le voir au départ, c'étaient des joies et des caresses.

      – Voyez-vous bien cet enfant-là, disait-elle, – je parie qu'il sera général!

      Et tout le monde acceptait l'augure. Après Marguerite, ce que le régiment aimait le mieux, c'était son petit Vital.

      Un soir du mois de février, l'armée marchait malgré la neige. Il s'agissait de tourner la position des alliés, et il fallait, pour cela, s'ouvrir un passage à travers les grands bois d'Einengen. La nuit était sans lune; la marche n'était éclairée que par les vagues réverbérations de ce linceul blanc qui couvrait au loin la campagne.

      Des coups de feu se firent entendre sous bois, à quatre ou cinq cents pas de distance. – Le colonel, qui était tout près de la Perlette, dit:

      – C'est sous le château d'Einengen… Cela devait arriver… Le général S*** aura voulu revoir une dernière fois sa belle comtesse.

      Il fit faire halte et attendit quelques minutes.

      On crut entendre comme des gémissements sous le couvert.

      – Dix hommes de bonne volonté et une battue de trois minutes! dit le colonel, – mais pas de bruit!.. Le mouvement que nous opérons décidera peut-être du sort de la campagne!

      Dix hommes s'engagèrent aussitôt sous bois. Un officier les commandait; c'était le neveu du colonel.

      – Est-ce que celui-là a remplacé le lieutenant Moreau? dit Roger, qui toucha le bras de Garnier.

      Il en était là déjà.

      – Le neveu du colonel est riche, répondit Garnier; – mais tu vas trop loin!

      – Les femmes! grommela Roger.

      – Quant à ça, reprit Garnier, si tu n'avais pas une vivandière au cou, avec tes talents militaires, tu ferais un fier chemin!

      La Perlette s'était élancée sur les pas du détachement.

      Au bout de trois minutes, montre en main, le détachement revint, mais sans l'officier ni la Perlette.

      Le colonel ordonna:

      – En avant, marche!

      Sa voix tremblait et il avait les larmes aux yeux.

      Roger fit un mouvement pour se jeter hors des rangs.

      – Désertion en face de l'ennemi!.. murmura Garnier à son oreille.

      Le régiment continua sa route dans la nuit. – A l'appel du matin, le neveu du colonel ne répondit pas. Ce fut Marguerite Vital qui rendit compte de sa mort plus tard. Le jeune officier, ardent et désireux de rendre un bon office personnel à l'un des généraux les plus distingués de l'armée française, avait devancé imprudemment son détachement. Un corps ennemi l'avait cerné. Il était tombé comme d'Assas; car, au moment où les baïonnettes autrichiennes s'appuyaient déjà sur sa poitrine, il avait pu faire à haute et intelligible voix le commandement de rallier.

      Les dix hommes de bonne volonté, ignorant le sort de leur chef, avaient dû obéir.

      C'était tout près de la lisière du bois d'Einengen, à quelques centaines de pieds de la grille du parc. Il y avait, sur la droite, un ravin profond où les arbres, plantés drus, se croisaient au-dessus d'un cours d'eau qui était alors gelé. Marguerite avait fait comme le neveu du colonel; elle avait pris les devants. Le hasard l'avait fait passer à cinquante ou soixante pas de la patrouille autrichienne. Elle entendit le dernier cri du jeune officier français.

      Elle entendit encore autre chose. Des plaintes s'élevaient du fond du ravin. Marguerite était leste et brave. Elle descendit en s'aidant des pieds et des mains. Au bord du ravin, elle trouva un homme blessé auprès d'un cheval abattu.

      L'homme avait deux coups de feu, sans compter les blessures reçues dans sa chute. Le cheval ne bougeait plus. La Perlette fit fondre de la neige dans ses mains et lava les plaies avant de les bander. Tout à coup, au moment de poser la charpie, elle mit brusquement sa main sur la bouche du blessé, qui continuait de gémir par intervalles.

      Il se débattit; elle le maintint de toute sa force.

      On voyait une ombre noire qui rampait dans la neige sur le bord du ravin et qui descendait lentement vers l'eau.

      La Perlette resta un instant immobile et retenant son souffle. L'ombre avançait toujours. Quand la Perlette eut acquis la conviction que l'ombre venait droit à eux, elle ôta sa main qui comprimait la bouche du blessé. Celui-ci respira fortement et rendit une plainte.

      L'ombre s'arrêta; – puis elle recommença à descendre tout doucement, comme eût pu faire un animal sauvage en quête de sa proie dans cette sombre nuit.

      La Perlette laissa échapper ses bandes et sa charpie. Il ne s'agissait plus de cela. Elle glissa sa main droite derrière le corps du blessé et dégaina sans bruit son épée, qui était engagée sous le cheval. – L'épée n'avait pas été brisée dans la chute. – La Perlette eut comme un sourire.

      Elle attendit, immobile et calme. – Elle devinait bien que le groupe formé par elle, le blessé et sa monture, apparaissait vivement, comme une large tache noire parmi la blancheur de la neige, mais qu'on ne pouvait point voir de loin les mouvements ni la pose des personnages composant le groupe.

      Elle attendit.

      Arrivée au fond du ravin, l'ombre se releva. – C'était un grand diable de sous-officier bavarois avec un bonnet à poil long d'une aune et un costume tout chamarré de clinquant.

      Au moment où il dégainait sa latte, le blessé se réveilla en sursaut et le vit.

      – Mon épée! s'écria-t-il en faisant un effort pour se mettre sur ses genoux.

      La Perlette ne bougea pas plus que si elle eût été une statue de pierre.

      Le Bavarois poussa un hourra en brandissant son sabre. La Perlette le laissa venir. – A l'instant où le sabre tournoyait au-dessus de la tête nue du blessé, elle plongea l'épée jusqu'à la garde dans le cœur du Bavarois, qui tomba lourdement sans pousser un seul cri.

      Le blessé s'appuya de ses deux mains au sol pour la regarder, stupéfait qu'il était. Il ne l'avait pas encore aperçue.

      – Qui êtes-vous? demanda-t-il.

      – La paix, s'il vous plaît, mon général, répondit-elle à voix basse, – il y en a d'autres ici près, et nous ne sommes peut-être pas au bout de nos peines!

      Le général se tut. La faiblesse le reprit. Marguerite pansa ses blessures adroitement et vite.

      – Maintenant,