La fabrique de mariages, Vol. II. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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est à Paris trois ou quatre cents gaillards, frais et bien portants, qui arrêtent les passants avec cette formule: «Nous sommes sept enfants à la maison et nous n'avons pas de pain.»

      Quelle bourse ne dénoue pas ses cordons à cet appel.

      Et pourtant, quand on réfléchit, est-il vraisemblable que ces jeunes gaillards aient tout justement six petits frères.

      Jamais la formule ne varie, jamais! Ils sont toujours sept enfants à la maison.

      L'histoire de la dame qui a une couronne de comtesse ne varie pas davantage: fille de chambellan, femme de diplomate étranger… forcée de s'ingénier un peu à cause de l'insuffisance de la libéralité conjugale.

      Il se trouve sans cesse des simples pour les croire, – si elles sont jolies, – et même si elles sont laides. Certains architectes vivent à faire exclusivement le petit hôtel pour la femme de diplomate, fille de chambellan, que son mari a eu le tort de ne point comprendre.

      Pourquoi l'épousa-t-elle si jeune!

      Vers l'année 1810, au cœur de l'Empire, une petite demoiselle débarqua à Paris par le coche de Bordeaux. Elle avait ces traits affilés, ce type de furet de celles qui vont fouillant, sapant, et qui prennent la fortune par la mine; mais elle avait aussi le regard vaillant des conquérantes. La brèche ouverte, celle-là devait monter à l'assaut bravement.

      Elle n'était pas jolie, mais elle avait une de ces figures qui frappent fort et qu'on n'oublie pas. Cela vaut mieux parfois que d'être jolie. Du reste, à cet égard, on ne pouvait guère la juger. Sa taille n'était point encore formée; elle était dans la mue. En outre, sa pauvre toilette ne la montrait point à son avantage.

      C'était la fille d'un courtier de commerce de Bordeaux. Elle se nommait Flavie Soyer. Elle avait bientôt quinze ans. Elle s'était enfuie de la maison paternelle toute seule pour venir à Paris.

      Il s'en trouve comme cela: des natures belliqueuses et hardies qui n'ont pas besoin de l'amour pour s'envoler hors du nid avant l'âge. Flavie Soyer avait rêvé Paris. Ce n'était point pour y être aimée; c'était pour y combattre, pour y vaincre, que sais-je! une ambition déjà implacable et naïve encore cependant, comme tout ce qui est dans l'esprit d'une fillette innocente.

      Nous voudrions avoir le temps de vous dire au juste et en détail ce que c'était que l'innocence de Flavie Soyer. – Son cœur n'avait point encore parlé, mais il devait toujours se taire. Ses sens restaient dans les limbes: on pouvait deviner qu'ils auraient le réveil violent. Elle n'avait jamais lu ni romans ni poésies: son père la faisait travailler aux livres de commerce comme un petit employé.

      Mais son intelligence diabolique avait deviné le monde par des trous de serrure. Elle savait à peu près. Il ne lui fallait qu'un grain d'expérience pour jouer sous jambe les prudents et les forts.

      Dans le compartiment de la voiture où elle avait loué sa place se trouvait un jeune militaire nommé Garnier, qui allait rejoindre à Paris. Ce Garnier eût été bon commis voyageur: il voulut s'amuser aux dépens de la fillette. Celle-ci vécut à ses crochets tout le long de la route (quatre jours et quatre nuits en 1810) et se moqua de lui.

      On arriva. Garnier était le fils d'un honnête homme qui remplissait le rôle de domestique de confiance auprès de M. le marquis de Sainte-Croix, vieux gentilhomme fort riche encore, malgré les pertes essuyées sous la République. Flavie avait raconté à Garnier ce qu'elle avait voulu. Garnier la mena chez sa mère, près de qui Flavie joua le rôle de colombe persécutée avec une rare perfection.

      Madame la marquise de Sainte-Croix, pour son malheur, eut besoin d'une lectrice. Le père et la mère Garnier étaient déjà épris de cette petite Flavie presque autant que leur fils. Elle fut présentée à madame la marquise comme un trésor. La marquise la mit auprès d'elle.

      Deux ans après, la marquise était en terre, et Flavie se nommait madame la marquise de Sainte-Croix.

      Une chose semblable peut arriver tout naturellement, et nous n'avons rien à en dire.

      Garnier vint passer un semestre chez le marquis. – Celui-ci était un bonhomme assez doux de mœurs qui n'aimait ni le monde, ni le luxe, ni le bruit, ni rien de ce qu'adorait Flavie. Par une belle nuit d'été, le marquis se laissa mourir en son château de la Sologne. Il fut assisté à ses derniers moments par Flavie et Garnier fils. Le médecin de campagne, arriva trop tard.

      Quand elle devint veuve ainsi, Flavie avait dix-neuf ans.

      Feu son mari lui laissait tous ses biens par testament.

      Les héritiers du marquis de Sainte-Croix lui firent un procès qu'elle gagna. Elle prit tout de suite la position d'une jeune femme très-sévère, très-amie du luxe, très-prodigue et très-décidée à ne point se remarier.

      La fortune du marquis de Sainte-Croix, toute considérable qu'elle était, ne pouvait suffire à ses dépenses. Elle songea au jeu pour augmenter ses revenus. Du premier coup, elle fut une joueuse frénétique. Le sort ne lui fut pas favorable. Sa fortune croula – mais sans bruit.

      Elle garda son apparence et son crédit.

      Ce fut vers le moment de sa ruine qu'elle fit la connaissance de M. Rodelet, ancien fournisseur des armées et qui comptait par millions. M. Rodelet avait une fille unique, nommée Ernestine, qui passait pour un des meilleurs partis du commerce. – Garnier était alors un beau garçon, jeune, hardi et ne manquant pas d'expérience auprès des femmes. Pendant que la marquise s'attaquait au père, Garnier aurait pu se charger de la fille; mais Flavie ne l'entendait pas ainsi. Elle était jalouse de ce Garnier, si inférieure à elle sous tous les rapports: ils s'étaient promis de se marier quand leur fortune serait faite.

      On choisit un commis du fournisseur; Garnier l'endoctrina. Ernestine était charmante, et le commis voyait au dénoûment de cette intrigue d'amour l'éblouissante perspective de la dot. La marquise, introduite dans l'intimité de la famille, fit naître les occasions; elle jeta elle-même dans le cœur d'Ernestine, naïf et tout neuf, le germe d'une passion qui devait servir ses intérêts.

      Cela dura un an. – Le lieu de la scène était le no 81 de la rue de l'Université, où il y avait pour concierge une femme du nom de Marguerite Vital. Nous parlons ici de cette Marguerite Vital, parce qu'elle monta une fois chez M. Rodelet, avant la catastrophe, et qu'elle l'entretint pendant une grosse demi-heure. A la suite de cette entrevue, M. Rodelet était résolu à chasser son commis, à rompre avec la marquise et à fermer sa porte à Garnier.

      Voici maintenant ce qui résulta pour le public de toutes les peines et soins que voulurent bien se donner madame la marquise de Sainte-Croix et M. Garnier, son fidèle ami.

      D'abord, Ernestine devint enceinte. Le commis coupable s'embarqua un beau matin pour l'Amérique. – La raison de ce départ fut une scène admirablement jouée par Flavie et son éternel complice. On effraya le commis; on lui montra M. Rodelet implacable et les tribunaux toujours prêts à punir un détournement de mineure.

      Sans le départ du commis, Flavie et Garnier eussent perdu le meilleur de leur proie, car M. Rodelet, excellent homme et qui n'avait d'autre défaut que l'excès même de sa bonté dégénérant en faiblesse, aurait marié les deux enfants, – et tout eût été dit.

      Une fois le commis éloigné, les deux associés étaient maîtres de la place.

      Les amis de M. Rodelet apprirent un jour avec stupéfaction et tout à la fois les faits suivants qui s'étaient passés en quelques semaines.

      L'ancien fournisseur avait maudit et chassé sa fille déshonorée. Il s'était jeté à corps perdu, pour s'étourdir sans doute, dans une vie de désordres qui contrastait avec son âge et plus encore avec son caractère. – On l'avait vu ivre dans les maisons de jeu du Palais-Royal, où le dévouement de ce bon Garnier lui avait épargné encore quelques extravagances; car ce pauvre Garnier le suivait comme un chien et le suppliait sans relâche de mettre un terme à ses folies désespérées. – Madame la marquise de Sainte-Croix avait fait aussi tout ce qu'elle avait pu.

      Rodelet avait réalisé toute sa fortune le jour même