La fabrique de mariages, Vol. II. Féval Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Féval Paul
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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l'argent qui me chiffonne, reprit-il après avoir sifflé son verre d'absinthe; – pour faire les réparations, il faut de l'argent.

      – Un bonheur ne vient jamais seul, mon bon, répliqua l'habit bleu; – vos fonds ont gagné cinquante pour cent…

      – Est-ce vrai?..

      – Peut-être le double.

      – Et vous êtes en mesure de me rembourser?

      – Aujourd'hui, non… mais sous peu… Nous avons une affaire…

      Il se baisa le bout des doigts et ajouta:

      – Je ne vous dis que ça!

      – C'est que, fit Barbedor un peu refroidi, – nous en avons eu déjà tant comme ça, des affaires…

      Il baisa, lui aussi, le bout de ses doigts, mais d'un air incrédule.

      – Huit cent mille livres de rente! prononça solennellement l'habit bleu.

      – Et amoureux?

      – Comme un fou.

      – De la petite Maxence?

      – De mademoiselle Maxence de Sainte-Croix.

      – Ah! diable! on lui a donné les honneurs du nom, à celle-là?

      – C'est la fille unique de madame la marquise, répondit gravement l'habit bleu.

      – A la bonne heure! repartit le bonhomme, qui riait innocemment, – à la bonne heure! Nous avons eu assez de nièces, ça ne coûte pas davantage et ça sonne mieux… Fera-t-on quelque chose ici?

      – Peut-être… En tous cas, peut-on compter sur vous?

      – A la vie, à la mort! répliqua le bonhomme, qui posa le journal sur son cœur.

      – Le neveu ne mettra pas de bâtons dans nos roues?

      – Le neveu ira au diable!

      – Ne le brusquez pas!.. Qu'est-il venu faire ici?

      – Dîner.

      – Tout seul?

      – Avec maman Carabosse et un grand garçon que vous ne connaissez pas… un militaire.

      – Je connais plus de monde que vous ne pensez, papa… Comment appelez-vous ce militaire?

      – Le lieutenant Vital.

      – L'amant de mademoiselle la comtesse de Mersanz! s'écria Garnier, tandis que Barbedor le regardait ébahi; – celui-là, mon vieux, est de nos amis sans le savoir… je ne donnerais pas sa besogne pour vingt mille écus!.. Maman Carabosse nous sert aussi à sa manière… Donnez-leur un bon dîner et laissez-nous faire.

      – Par ici, lieutenant, par ici! cria en ce moment Jean Lagard, qui était à une fenêtre du premier étage.

      Garnier se leva aussitôt.

      – Je ne veux pas qu'il me voie, dit-il; – la petite bonne femme non plus… Venez! j'ai encore quelque chose à vous dire.

      – Lagard leur apprendra que vous êtes ici, objecta Barbedor.

      – Vous irez les retrouver comme si nous étions partis… Madame la marquise et moi, nous sommes espionnés… je ne peux plus la recevoir chez moi ni me présenter chez elle… Nous choisissons décidément votre maison pour nous réunir, vous sentez bien, mon bon, comme nous en pourrions choisir une autre: ce n'est pas là l'embarras… Remarquez un fait qui étonne toujours les observateurs: c'est quand on est près de toucher le but que les obstacles augmentent…

      Il entraîna Barbedor vers le bosquet, au moment où le lieutenant Vital se montrait au tournant de la ruelle.

      – Est-ce ici que dînent les officiers? demanda celui-ci de loin.

      – Juste, mon lieutenant, répondit Jean Lagard par la fenêtre.

      Vital regarda la maison, puis les alentours. Cet examen ne fut pas en faveur du château de la Savate, car un sourire d'étonnement se montra sous la fine moustache du beau lieutenant.

      – Drôle de pays! murmura-t-il; – je n'aurais jamais choisi cet endroit-là pour faire un repas de corps!

      – Voilà la chose, disait Garnier de Clérambault sous les marronniers. – Vous avez connu le capitaine Roger autrefois?

      – C'est mon cousin issu de germain… répondit Barbedor, ce qui fait que la comtesse de Mersanz, sa fille, est un peu ma nièce… et, si un autre que vous avait parlé d'amant à propos d'elle, il aurait fallu s'aligner!

      – Vous savez… fit l'habit bleu; – on dit ça… le monde…

      – Et puis, reprit le bonhomme, – c'est devenu fier depuis que c'est comtesse… Je n'ai seulement jamais eu l'idée d'aller la voir.

      – Il faut y aller, dit Clérambault, – dès demain.

      – Pourquoi faire?

      – Pas pour la fille… pour le père.

      – Bah!.. le vieux Roger est à Paris?

      – Et il a bonne envie d'en fumer une vieille avec vous.

      – Vrai?.. Il se souvient des anciens?

      – Pour ce qui est de moi, répliqua Clérambault avec embarras, – nous avons eu quelque chose ensemble… il me garde rancune… mais je sais par le sergent Michel qu'il a parlé de vous.

      – Et il est installé à l'hôtel du comte?

      – Installé, c'est le mot… comme chez lui… Toute la maison est à sa disposition… il tient table ouverte… et la cave du comte est bonne.

      – Oui-da! fit Barbedor: – eh bien, quand j'irai de ce côté-là…

      – Vous ne m'avez donc pas compris? dit l'habit bleu, qui le prit par un bouton de sa houppelande: – c'est demain qu'il y faut aller.

      – Pourquoi faire? demanda Barbedor étonné.

      – Causer, fumer, boire…

      – Voilà tout?

      – Causer haut, fumer fort, boire beaucoup.

      – Mais tout ça doit mal aller dans l'hôtel du comte.

      – Tout ça va très-bien… et puis ça n'est pas inutile pour le succès de notre affaire.

      Barbedor passa une bonne minute à se creuser la cervelle. Il ne pouvait pas deviner en quoi une bamboche commémorative, faite en compagnie du vieux Roger, pouvait aider aux projets de madame la marquise de Sainte-Croix.

      Car Barbedor savait que celle-ci était le véritable chef de file.

      – J'irai, dit-il enfin, – puisque le vin est bon… Si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal.

      C'était dans la chambre où nous avons vu déjà une fois réunis M. Garnier de Clérambault, Barbedor et une femme voilée, lors de l'entrevue projetée entre Justine et le baron allemand. Cette chambre, comme nous avons dû le dire, communiquait par un escalier de service avec la sortie ouverte sur les derrières de la maison.

      Clérambault et la marquise l'avaient choisie pour le lieu de leurs réunions. Seulement, l'expérience avait porté fruit. Pour éviter les yeux et les oreilles indiscrets, on avait mis une double porte du côté du corridor, en souvenir de Jean Lagard.

      Cette marquise de Sainte-Croix, qui buvait de l'eau-de-vie et qui venait s'installer sans façon au château de la Savate, n'était pourtant pas une aventurière à la douzaine. On en voit tant de ces grandes dames pour rire qui ont ramassé leur titre au pied d'une borne! C'est la mode, et toute fille de concierge qui a pu se faire donner un coupé, s'offre à elle-même un petit écusson qu'elle timbre pour le moins d'une couronne comtale. Une lorette qui n'est que baronne fait preuve de trop de modestie.

      Ce sont, en général, des noms allemands. Leur père était chambellan