Le comte de Moret. Dumas Alexandre. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
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la surprise et la crainte, se fit entendre et passa, aux oreilles du prince, faible et mélodieux comme le soupir d'un sylphe ou la vibration d'une harpe éolienne.

      Le comte tressaillit; il venait d'éprouver une sensation complétement nouvelle, et par conséquent complétement inconnue.

      Cette sensation était délicieuse.

      – Oh! murmura-t-il, où êtes vous?

      – Ici, balbutia la voix.

      – On m'avait dit que je trouverais une main pour me guider, ne connaissant pas mon chemin. Cette main, me la refuserez-vous?

      Il y eut un moment sensible d'hésitation chez la personne à laquelle cette demande était adressée; mais presque aussitôt, cependant:

      – La voici, dit-elle.

      Le comte saisit de ses deux mains la main qu'on lui présentait et fit un mouvement pour la porter à ses lèvres, mais ce mouvement fut réprimé par un seul mot, qu'à son accent plein de prière, on ne pouvait interpréter autrement que comme le cri de la pudeur alarmée.

      – Monseigneur!

      – Pardon, Mademoiselle, répondit le comte d'une voix respectueuse, autant que s'il eût parlé à la reine.

      Puis il écarta cette main frémissante et craintive, déjà à moitié chemin de ses lèvres, et un silence se fit.

      Le comte la garda dans les siennes, et l'on n'essaya point de la retirer, mais elle y demeura immobile et comme si, par la force de la volonté, on lui avait enlevé jusqu'à l'apparence de la vie.

      C'était, si l'on peut se servir de cette expression, une main complétement muette.

      Mais ce mutisme qui lui était imposé n'empêchait point le comte de s'apercevoir qu'elle était petite, fine, douce, allongée, aristocratique et surtout virginale.

      Ce n'était plus contre ses lèvres que le comte eût voulu la presser, c'était contre son cœur.

      Il était, depuis qu'il avait touché cette main, resté immobile comme s'il eût complétement oublié la cause qui l'amenait.

      – Venez-vous, monseigneur? demanda la douce voix.

      – Où voulez-vous que j'aille? demanda le comte, sans trop savoir ce qu'il répondait.

      – Mais, où la reine vous attend, chez Sa Majesté.

      – C'est vrai! je l'avais oublié! – Et avec un soupir: Allons, dit-il.

      Et il se remit en marche, nouveau Thésée, guidé dans le labyrinthe, moins compliqué, mais plus obscur que celui de Crète, non point par le fil d'Ariane, mais par Ariane elle-même.

      Au bout de quelques pas, Ariane tourna à droite.

      – Nous arrivons, dit-elle.

      – Hélas! murmura le comte.

      Et en effet, on approchait d'un grand portail vitré donnant sur l'antichambre de la reine. Mais comme, vu son indisposition, Sa Majesté était censée dormir, tout était éteint à l'exception d'une lampe pendue au plafond, et qui, à travers le vitrage, ne laissait filtrer qu'une lueur pareille à celle qu'eût projetée une étoile.

      A cette faible lueur, le comte essaya de voir son guide, mais il ne distingua, pour ainsi dire, que les contours d'une ombre.

      La jeune fille s'arrêta.

      – Monseigneur, dit-elle, maintenant que vous y voyez assez pour vous conduire, suivez-moi!

      Et, malgré le léger effort que fit le comte pour retenir sa main, elle la dégagea, marcha la première, ouvrit la porte du corridor, et se trouva dans l'antichambre de la reine.

      Le comte la suivait.

      Tous deux traversaient silencieusement, et sur la pointe du pied, l'antichambre pour gagner la porte en face du corridor, laquelle était la porte de l'appartement d'Anne d'Autriche, lorsque tous deux s'arrêtèrent, frappés en même temps par un bruit qui allait se rapprochant.

      C'était celui que faisaient les pas de plusieurs personnes montant le grand escalier.

      – Oh! mon Dieu, murmura la jeune fille, serait-ce le roi qui aurait eu l'idée, en sortant du ballet, de venir prendre des nouvelles de Sa Majesté, ou plutôt de s'assurer si elle est réellement malade?

      – En effet, on vient de ce côté, dit le prince.

      – Attendez, fit la jeune fille, je vais voir.

      Elle s'élança vers la porte donnant sur le grand escalier, l'entrouvrit, et, revenant vivement vers le comte:

      – C'est lui, dit-elle. Eh! vite, vite, dans ce cabinet!

      Ouvrant alors une porte perdue dans la tapisserie, elle y poussa le comte et entra après lui.

      Il était temps! Comme la porte du cabinet venait de se refermer, celle donnant sur le grand escalier s'ouvrit, et, précédé de deux pages portant des flambeaux, suivi de Baradas et de Saint-Simon, ses deux favoris, derrière lesquels marchait Beringhen, son valet de chambre, le roi Louis XIII parut, et faisant signe à sa suite de l'attendre, entra chez la reine.

      CHAPITRE VIII.

      SA MAJESTÉ LE ROI LOUIS XIII

      Nous croyons que le moment est arrivé de présenter le roi Louis XIII à nos lecteurs, qui nous pardonneront, je l'espère, de consacrer un chapitre à cette étrange personnalité.

      Le roi Louis XIII, né le jeudi 27 septembre 1601, et, par conséquent, âgé, à l'époque à laquelle nous sommes arrivés, de vingt-sept ans et trois mois, était une longue et triste figure, au teint brun et aux moustaches noires. Pas un trait en lui qui rappelât Henri IV, ni dans la physionomie, ni dans le caractère; rien de français non plus, pas de gaieté, pas même de jeunesse. Les Espagnols racontaient avec une certaine probabilité, qu'il était fils de Virginio Orsini, duc de Bracciano, cousin de Marie de Médicis, et, en effet, à son départ pour la France, Marie de Médicis, déjà âgée de 27 ans, avait reçu de son oncle, le cardinal Ferdinand, qui, pour monter sur le trône de Toscane, avait empoisonné son frère François et Bianca Capello, Marie de Médicis avait reçu, disons-nous, cet avis:

      – Ma chère nièce, vous allez épouser un roi qui a répudié sa première femme, parce qu'elle n'avait pas d'enfants; vous avez un mois pour faire le voyage, trois beaux garçons à votre suite: l'un, Virginio Orsini, qui est déjà votre Sigisbé; l'autre Paolo Orsini; enfin, le troisième, Concino Concini; arrangez-vous de manière à être sûre, en arrivant en France, de ne pas être répudiée.

      Marie de Médicis avait, assuraient toujours les Espagnols, suivi de point en point le conseil de son oncle; elle avait mis dix jours à aller seulement de Gênes à Marseille. Henri IV, quoiqu'il ne fût pas impatient de voir «sa grosse banquière,» comme il l'appelait, avait trouvé la traversée un peu bien longue; mais Malherbe avait cherché une raison à cette lenteur, et, bonne ou mauvaise, l'avait découverte. Il avait mis ce retard sur le compte de l'amour que Neptune avait conçu pour la fiancée du roi de France.

      Dix jours ne pouvant se distraire

      Au plaisir de la regarder,

      Il a, par un effort contraire,

      Essayé de la retarder.

      Peut-être l'excuse n'était-elle pas bien logique, mais la reine Margot avait rendu son mari peu difficile sur les excuses conjugales.

      C'est ce bâtiment paresseux qu'entourent les Néréides, dans le beau tableau de Rubens qui est au Louvre!

      Au bout de neuf mois, le grand-duc Ferdinand fut rassuré: il apprit la naissance du dauphin Louis, surnommé immédiatement le Juste, parce qu'il était né sous le signe de la Balance.

      Dès son enfance, Louis XIII manifesta cette tristesse héréditaire chez les Orsini, en même temps qu'il eut de naissance tous les goûts d'un Italien de la décadence. En effet, musicien et même compositeur passable, peintre médiocre, il était apte à une foule de petits métiers,